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CHAPITRE 4 : UNE STRATÉGIE INVOLONTARISTE ALTERNATIVE 77

4.2 Blâme doxastique d’état ou d'action ? Deux interprétations du

Jusqu’ici, j’ai caractérisé le déontologisme épistémique comme la thèse voulant qu’il soit parfois approprié de blâmer les gens pour leurs croyances. Or, cette idée peut être comprise d’au moins deux manières différentes.

Comme je l’ai expliqué lors du chapitre 1, la croyance est un état psychologique. Croire que P, c’est être dans l’état de croyance par rapport à P. Or, contrairement à un acte, un état n’est pas quelque chose pouvant être accompli ou complété au sens strict. En tant qu’état, la croyance n’est donc pas le genre de chose pouvant être accomplie. C’est pourquoi la majorité des volontaristes cherchent à défendre le volontarisme doxastique génétique plutôt que sa variante béhaviorale. Alors que le second affirme que croire que P peut être un acte volontaire (ce qui doit être écarté d’emblée étant donné que croire que P est un état et non un acte), le premier affirme que former la croyance que P peut être un acte volontaire. Contrairement à la croyance que P, former la croyance que P est quelque chose que l’on peut accomplir ou compléter. Il est donc légitime de se demander si c’est quelque chose que l’on peut accomplir volontairement. Or, cette distinction entre l’état de croire que P et l’acte de former la croyance que P implique une autre distinction entre deux manières possibles d’interpréter la thèse selon laquelle nous pouvons parfois être blâmés pour nos croyances. Bien sûr, cela peut vouloir dire que nous pouvons parfois être blâmés pour avoir accompli l’acte de former la croyance que P. Toutefois, les déontologistes peuvent aussi vouloir dire que nous pouvons parfois être blâmés pour le fait d’être dans l’état de croyance par rapport à P. Ainsi, selon la première interprétation, le déontologisme soutient que nous pouvons être blâmés pour avoir accompli un certain acte (ce que j’appellerai un blâme « d’action »), alors que selon la seconde, il soutient que nous pouvons être blâmés pour le fait d’être dans un certain état psychologique (ce que j’appellerai un blâme « d’état »). Je réfèrerai à la première interprétation du déontologisme comme la défense du « blâme doxastique d’action » et à la seconde comme la défense du « blâme doxastique d’état ».

Comme je l’ai expliqué, les anti-déontologistes rejettent la pratique du blâme doxastique sur la base du fait que nous ne pouvons jamais former nos croyances volontairement. Toutefois, cette objection n’a de sens que si on interprète le déontologisme comme la défense du blâme doxastique d’action. Si le déontologisme

est la défense du blâme doxastique d’état, alors le déontologisme ne peut être inquiété par AID. En effet, l’involontarisme ne peut constituer un problème pour le blâme doxastique d’état, car en tant qu’état, la croyance que P n’est pas quelque chose pouvant être accompli volontairement ou involontairement. La question de savoir si quelque chose peut être accompli volontairement peut uniquement être posée à propos de quelque chose pouvant être accompli tout court, c’est-à-dire un acte. Toutefois, lorsque l’on a affaire à un état, la question ne se pose pas puisqu’un état n’est pas le genre de chose pouvant être accomplie. Avec la première prémisse d’AID, les anti- déontologistes soutiennent que nous pouvons être blâmés pour une croyance seulement si nous l’avons formée volontairement. Or, si ce que les déontologistes veulent, c’est seulement blâmer S parce qu’il est dans l’état de croyance que P, alors le fait que S n’ait pas formé sa croyance volontairement n’a pas d’importance pour eux. Ce n’est pas pour cet acte de formation de croyance qu’ils veulent blâmer S. Ils veulent le blâmer pour quelque chose qui, d’entrée de jeu, ne peut être accompli volontairement ou involontairement. Il va donc de soi que, pour eux, le fait de pouvoir former volontairement sa croyance que P n’est pas requis pour pouvoir être blâmé pour elle.

Par conséquent, si le blâme doxastique d’état est possible et qu’il est plausible d’interpréter le déontologisme ainsi, alors, la première prémisse d’AID est fausse. Autrement dit, si on pouvait montrer qu’il est possible d’être blâmé pour quelque chose qui ne peut être accompli (volontaire ou non) et que l’état de croyance fait partie de ces choses, alors cela impliquerait que l’on peut être blâmé pour une croyance même si on ne l’a pas formée volontairement.

La question cruciale est donc de savoir s’il est plausible d’interpréter le déontologisme comme la défense du blâme doxastique d’état. Autrement dit, est-il plausible de dire que nous pouvons parfois être blâmés pour le fait d’être dans l’état de croyance par rapport à P et non pour avoir accompli l’acte consistant à former la croyance que P. Pour répondre à cette question, nous devons d’abord déterminer s’il est possible, de manière plus générale, d’être blâmé pour quelque chose qui n’est pas un acte, c’est-à-dire quelque chose qui ne peut être accompli (volontairement ou non). En effet, une réaction naturelle au propos de la présente section est de répondre que le blâme ne s’applique qu’aux actes justement parce que ce sont uniquement les actes qui peuvent être volontaires et que l’on peut seulement être blâmé pour ce que l’on accompli volontairement. Toutefois, un rapide examen de la pratique ordinaire du

blâme révèle que ce n’est pas le cas. Il est possible, en général, d’être blâmé pour quelque chose qui n’est pas un acte.