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Ces deux premiers chapitres sont les deux faces d’une même médaille. En nous intéressant successivement à chacune des faces, indépendamment de la seconde, nous avons montré les raisonnements que chacune d’elles permet de suivre, mais aussi les limites de chacun de ces raisonnements.

Le premier chapitre présente la chronologie suivie par la législation sanitaire maternelle et infantile, retraçant le mouvement paradoxal de l’élargissement de ce champ de la santé materno-infantile (avec des législations qui interviennent sur un nombre toujours plus important d’éléments de la vie quotidienne) et de la spécialisation de cette même législation (avec des lois de plus en plus précises, portant sur des événements de plus en plus intimes de l’univers personnel ou familial). En détaillant les champs d’intervention qui entrent au fur et à mesure sous le contrôle de l’État et les comportements nouveaux qui en sont attendus, nous voulions mettre en lumière l’établissement d’une anatomo-politique du corps humain (Foucault, 1976b) appliquée au domaine de la santé maternelle et infantile. En soulignant que ces différentes mesures s’appliquent au fur et à mesure à des pans toujours plus larges de la population, que leur mise en pratique est envisagée de manière toujours plus généralisée et systématique, prévoyant des modalités d’information globale et de comptabilité de la population afin de prévoir les actions à mettre en place, ce sont les contours d’une bio-politique de la population (ibid.) que nous retracions. Ainsi, et nous ne sommes pas les premiers à le dire, si « la santé publique se situe, dès son émergence à la fin du XVIIIème siècle, au cœur de ce projet normalisateur » (Fassin, 2000 : 176), la Protection Maternelle et Infantile est un « modèle de ce que Foucault a nommé le bio-pouvoir » (Thiaudière, 2005 : 23). Notre premier chapitre montre en effet que la protection maternelle et infantile telle qu’elle est décrite dans les textes législatifs qui l’établissent, compte tenu de la diversité des domaines qui y entrent en compte, de la variété des lieux

et des institutions compris dans cette législation, est une parfaite illustration de la gouvernementalité appliquée au corps de la mère et de son enfant.

C’est alors au chemin inverse que nous nous sommes livré au cours du second chapitre. Si la législation présente les structures et les institutions du bio-pouvoir et dessine les contours de cette gouvernementalité pour la considérer comme un fait, encore faut-il que celle-ci existe en dehors des textes de loi. Et c’est la déconstruction de ce modèle législatif que nous avons présenté. Alors que la succession des lois le construit, l’exposition des lacunes, des dysfonctionnements, des événements non réalisés remettent en cause la qualification simple et entière de bio-pouvoir. Ici non plus nous ne sommes pas les premiers à avancer un tel argument. Les recherches menées sur les moyens réellement mis à disposition des exécutants de la législation ont systématiquement prouvé l’existence d’écarts plus ou moins considérables entre l’injonction législative et la réalisation effective. En montrant l’inapplication de la loi, c’est à la théorie de l’exercice du pouvoir et du contrôle de la population et de son corps que le coup est porté. « Mesurée à l’aune des moyens de sa mise en œuvre, l’idéologie sanitariste, souvent dénoncée, n’a pas de quoi inquiéter » (Fassin, 2001a : 463). L’analyse directe des pratiques familiales, et non des lois ou manuels s’y rapportant, permet de pondérer l’efficience de l’action de la police des familles (Donzelot, 1977). Comme le souligne très justement Jean-Noël Luc dans la conclusion de son ouvrage sur

L’invention du jeune enfant au XIXème siècle : « dans les faits, la « police des familles » (…) n’a pas été aussi importante que le laisse supposer les généralisations hâtives des auteurs qui confondent les projets – présentés dans les sources imprimées, faciles d’accès – et leur mise en œuvre, et qui oublient, en plus, les capacités de résistances des publics visés » (Luc, 1997 : 418).

Il ne s’agit pas ici de remettre totalement en cause l’idée de l’exercice d’un bio-pouvoir ou de la potentialité d’une gouvernementalité. Il s’agit bien plus de la pondérer, d’en relativiser la prégnance. En mettant face à face la législation et ses réalisations c’est l’aspect limité de la gouvernementalité qu’il s’agit de pointer (Fassin, 2000). Les législations successives, inscrites dans leurs époques respectives, sont à la fois causes et conséquences des évolutions de la société. Si la bio-politique n’est alors pas directement observable et qu’il n’est, de fait, pas possible d’en relever les traces (Murard et Zylbermann, 1996) il nous semble pourtant impossible de renier totalement le concept de bio-pouvoir « à condition de ne lui attribuer aucune positivité, aucun contenu

observationnel ; bref, de l’entendre comme une idée (interprétation des buts) et non comme un concept (explication des faits par les causes) » (Murard et Zylberman, 1996 : 584). Notre démarche permet alors d’insister sur le fait que les mesures de santé publiques ne s’imposent pas toujours depuis le haut de l’État vers le peuple. Certaines sont demandées par le peuple, certaines sont subies et d’autres sont totalement rejetées.

Pour autant, on ne peut non plus nier que la dimension biologique et sanitaire d’une mesure législative est un argument considérable dans le devenir de celle-ci. « Ainsi faudrait-il évoquer une bio-légitimité d’avantage qu’un bio-pouvoir, sorte de reconnaissance de la population de la gestion politique des corps souffrants ou menacés dans leur maintien en santé » (Bourdelais, 2001 : 19). Cette notion de bio-légitimité

désigne alors le principe selon lequel l’aspect médical et sanitaire de certaines mesures se présente tout autant comme une voie d’accès à certaines population qui se tiennent à l’écart des politiques publiques que comme un moyen de légitimation de l’action publique auprès de celles-ci (Fassin, 1998a). Sans pour autant le placer au centre de l’ensemble de nos analyses, c’est d’avantage à cet usage du biologique et plus largement du sanitaire comme argument de légitimation d’interventions publiques et moyen d’accès à certaines populations que nous porterons attention dans la suite de ce travail.

Chapitre III.