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La bille de plomb

Lorsqu’à l’aube, Savéria ouvrit les rideaux, celle-ci prit bien soin de ne pas parler de leur discussion de la veille, espérant que Nova n’y penserait plus. Mais c’était sans compter sur l’obsti- nation de la jeune reine qui, déjà, tentait de trouver le moyen d’ouvrir, avec son sceptre, l’entrée du passage secret par lequel elle était arrivée le premier jour.

Après quelques essais, Nova finit par réussir et montra le ré- sultat à Savéria qui tenta une dernière fois de la raisonner en lui rappelant ses responsabilités et ses devoirs. En vain. Nova, jamais en manque d’arguments, mit en avant l’importance de tisser des liens avec le clan des antinomiques. Devant la détermination de la reine, Savéria l’aida à se préparer, espérant que tout se pas- serait bien.

Après un rapide petit-déjeuner, les deux jeunes filles se hâtèrent vers le bureau pour y retrouver le Professeur Ségalen et la leçon du jour. Comme à chaque fois depuis deux jours, elles arrivèrent juste à l’heure, ce qui ne sembla pas déranger le Pro- fesseur qui s’adonnait à son passe-temps favori : chercher déses- pérément un objet mystérieux au fond de son sac.

Après une petite introduction, le Professeur dit à Nova qu’ils allaient aujourd’hui apprendre à se servir du pouvoir magique à des fins utiles. La véritable difficulté n’était pas, en effet, de faire jaillir d’une pierre magique l’un des quatre pouvoirs, mais de lui faire effectuer quelque chose d’utile. Connaissant son souhait 100

d’apprendre à voler, le Professeur décida de commencer par un exercice qui allait lui apprendre les bases du vol d’un objet.

— Ma Reine, je vais vous laisser la matinée avec Savéria pour faire voler un objet. Lorsque vous aurez réussi, vous aurez fait un grand progrès dans votre apprentissage du vol.

Puis, tendant à Nova une bille en plomb de deux centimètres de diamètre, il lui souhaita bon courage avec un grand sourire.

— Professeur, dit Nova avec une grande assurance, ne vous éloignez pas trop. Je n’en aurai pas pour longtemps.

— Je vous le souhaite, répondit le Professeur, mais je ne pense pas vous revoir avant cet après-midi.

Quand elles furent seules, Savéria avoua à Nova que cet exer- cice était extrêmement difficile à effectuer. Si difficile que cer- taines personnes sachant voler n’avaient jamais réussi à faire voler la bille de plomb. Nova, très perplexe, demanda en quoi cet exercice était si difficile. Savéria lui expliqua que, comme elle l’avait découvert pour le vol de la plume, il existait deux tech- niques pour élever quelque chose dans les airs. La première consistait à exercer sous l’objet une poussée à l’aide du pouvoir du vent. Mais contrairement à la plume qui a une grande surface plane propice au vent pour prendre appui, la bille n’en avait pas. Il était donc aussi difficile de faire voler une bille de plomb avec cette technique que de la faire tenir en équilibre sur une aiguille. La seconde méthode consistait à créer un tourbillon autour de la bille pour la soulever. Mais la difficulté était alors de maintenir la bille au centre du tourbillon pour éviter qu’elle ne soit prise dans le vent tourbillonnant et projetée à l’extérieur. Cette mé- thode, plus simple à mettre en œuvre, présentait de grands risques durant son apprentissage. En effet, lorsque la bille quittait le centre du tourbillon — ce qui arrivait souvent aux débutants — elle prenait de la vitesse dans les vents tournants et se retrouvait alors expulsée avec force vers l’extérieur. Il était alors judicieux de ne pas être sur sa trajectoire…

Malgré sa confiance totale en Savéria, Nova pensait qu’elle exagérait la difficulté de l’exercice. Posant la bille de plomb sur le bureau, elle brandit son sceptre en prononçant son mot magique. Nova avait choisi d’utiliser la méthode qui consistait à exercer une poussée sous l’objet, l’autre méthode lui semblant quand même plus dangereuse : elle ne souhaitait blesser personne ! À sa grande joie, à peine avait-elle déclenché le pouvoir de son sceptre qu’un puissant vent localisé autour de la bille la souleva de quel- ques centimètres. Elle en ressentit une grande satisfaction.

Mais au bout de quelques secondes, la bille commença à se déplacer sur la droite. Pour compenser, Nova augmenta la poussée du vent sur ce côté, ce qui fit glisser la bille sur la gauche. Finalement, elle tomba par terre. Savéria lui dit que, pour un premier essai, elle s’était plutôt bien débrouillée mais Nova, loin d’être satisfaite, réessaya pendant plus d’une heure, sans succès. Ce fut un tel échec que son meilleur essai restait le premier.

Finalement, Nova décida de changer de méthode, d’essayer le tourbillon. Les deux amies prirent soin de se cacher derrière le bureau, à l’abri de toute projection éventuelle et Nova fit sa pre- mière tentative. Sa position inconfortable et son champ de vision restreint rendaient la chose presque infaisable. Après deux trous dans les murs et trois bibliothèques endommagées, Savéria réussit à convaincre Nova de faire une pose pour réfléchir à une autre approche puis, sans un mot de plus, sortit de la pièce.

— Savéria, allons ! Où vas-tu ? Je ne suis quand même pas si dangereuse, lui cria-t-elle en la regardant s’éloigner.

Moins de cinq minutes plus tard, Savéria était de retour, les mains pleines de quelque chose que Nova n’arrivait pas à voir.

— Je pense avoir la solution, s’exclama Savéria en ouvrant ses mains au-dessus du bureau devant lequel Nova était assise.

— Des cailloux ? l’interrogea Nova en la regardant avec des yeux incrédules. Sont-ils magiques ?

— Pas le moins du monde, répondit fièrement Savéria, mais j’ai la certitude que, grâce à eux, tu feras voler la bille de plomb avant midi.

— Je tiens à te dire que ton optimisme n’est pas du tout com- municatif, rétorqua Nova toujours aussi abattue.

Savéria lui expliqua alors son idée :

— Le Professeur t’a donné un exercice qui, à ton niveau, est presque impossible à réaliser. Le gros problème de cette épreuve tient dans le fait qu’il te demande de savoir marcher avec des échasses de deux mètres alors que tu viens à peine de faire tes premiers pas. Nous allons donc, dans un premier temps, faciliter l’exercice. Tu vas faire voler cette pierre plate pour commencer. Petit à petit, lorsque tu auras réussi, nous compliquerons avec des pierres de plus en plus rondes et de plus en plus lourdes jus- qu’à ce que tu réussisses à faire voler la bille de plomb. Si tu préfères, nous allons commencer avec des échasses qui sont à dix centimètres du sol pour finir avec celles qui sont à deux mètres.

Enthousiasmée par l’idée de Savéria qui faisait preuve d’une imagination débordante, Nova reprit immédiatement ses exer- cices. Le premier essai commença plutôt bien mais ne réussit pas. Ne se démontant pas, Nova réessaya et réessaya encore jusqu’à ce qu’elle finisse, au bout du quatrième essai, à maintenir la pierre plate en l’air, à son grand étonnement. Savéria semblait encore plus heureuse qu’elle et, après lui avoir fait faire encore deux essais concluants avec la première pierre, elle la remplaça par une autre un peu plus grosse.

Désormais, l’optimisme était de mise et les pierres succédaient aux pierres sans que Nova ne faillisse plus. En fin de matinée, Nova se trouvait à nouveau face à la bille de plomb. Elle fit quel- ques tentatives au cours desquelles la bille s’élevait dans les airs pendant plusieurs secondes mais, lorsqu’on leur annonça que le repas était servi, elle n’avait toujours pas réussi à maîtriser la bille en plein vol.

Savéria lui conseilla de s’accorder une pause et l’invita à se rendre à la salle à manger pour reprendre des forces, ce que Nova fit car elle avait appris à écouter son amie, décidément de très bon conseil. Forte de sa nouvelle influence sur la reine, Savéria tenta durant le repas de la raisonner au sujet de la fête des antino- miques, mais cette fois encore sans succès. Nova était plus têtue qu’une mule et Savéria décida de ne pas insister davantage.

Dès leur repas fini, elles retournèrent au bureau pour tenter une nouvelle fois de faire voler la bille de plomb. Nova y tenait particulièrement et n’osait imaginer le sourire moqueur de son Professeur s’il apprenait qu’elle avait échoué.

Quand deux heures arriva, Nova n’avait toujours pas réussi à faire voler cette maudite bille. En entendant les pas du Professeur dans le couloir, elle prit place à son bureau et fit comme si tout allait bien, consciente néanmoins que la première question du Professeur porterait sur l’exercice qu’il avait donné le matin.

Le Professeur entra dans la pièce, mais sans ce sourire en coin que Nova s’attendait à voir sur son visage. Il demanda comment s’était passé l’exercice du matin et Savéria proposa à Nova de lui montrer ce qu’elle parvenait à faire. Nova posa la bille sur le bureau du Professeur, leva son sceptre dans sa direction ce qui le fit immédiat reculer de deux pas, et prononça « Aliska ». La bille commença par trembler quelques secondes sur le bureau puis s’éleva doucement. Lorsqu’elle arriva à cinquante centimètres au- dessus de la table, elle vacilla un peu sur la droite, puis un peu sur la gauche et retomba en roulant jusqu’au sol. Alors que Nova semblait très contrariée par cet échec, le Professeur la félicita en lui disant qu’une fois de plus, elle avait réussi à l’étonner. Elle n’avait pas de quoi être contrariée car personne ne réussissait cet exercice en une journée. Pour les plus doués, une semaine mini- mum était nécessaire.

Le Professeur passa l’après-midi à lui donner des conseils pour qu’elle réussisse à maintenir la bille en l’air aussi longtemps

qu’elle le souhaitait. Les progrès de Nova étaient lents mais, soutenue par Savéria, elle réussit en fin de journée à maintenir la bille en lévitation à un mètre au-dessus du sol pendant presque cinq minutes.

À la suite de ce dernier essai, le Professeur les libéra en leur disant que, lors de la prochaine leçon, il appartiendrait à Nova non seulement de faire voler la bille en plomb mais aussi de la déplacer sur une trajectoire précise. Compte tenu des grandes difficultés que Nova rencontrait à maintenir la bille en l’air, elle n’était pas très pressée d’être au prochain cours.

Il faut dire que pour l’heure, sa principale préoccupation était la fête des antinomiques qui approchait à grands pas. Savéria conseilla à Nova de se rendre seule au souper pour ne pas éveiller les soupçons et lui proposa de l’attendre à la sortie du passage secret. Nova lui fit promettre de ne pas en profiter pour se rendre à la fête sans elle. Savéria avoua qu’elle y avait pensé mais qu’elle n’avait pas à s’inquiéter : elle l’attendrait à la sortie du passage secret comme prévu.

Au moment de se séparer, Savéria demanda une dernière fois à Nova si elle ne préférait pas se montrer raisonnable et rester en sécurité au palais. Mais la reine était maintenant survoltée à l’idée de rencontrer les antinomiques. Son obstination fit naître