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Chapitre I : Perspective théorique et méthodologique de l’analyse de

1.1.3. Bilan critique de la littérature

Ce bref survol de la littérature donne à l’évidence un aperçu assez succinct des arguments rencontrés dans la littérature et qui tentent de nous éclairer sur les facteurs explicatifs des transformations observées ou annoncées dans l’approche militaire française en Afrique. Malgré leur réelle contribution dans la compréhension de ce phénomène, ces arguments restent cependant quelque peu lacunaires. Tout d’abord, l’argument résolument utilitariste – notamment structurel - qui fait valoir qu’à cause des crises internes et des performances économiques insuffisantes l’Afrique se serait graduellement vue délaisser par la France désormais intéressée à trouver

53 Organisation Mondiale du Commerce, Statistiques du commerce international (Genève :

Organisation Mondiale du Commerce, 2001), 11-14. En ligne

http://www.wto.org/french/res_f/statis_f/its2001_f/stats2001_f.pdf (Page consultée le 12 mai 2008).

ailleurs les avantages promis par de nouveaux pôles de développement mérite d’être nuancé. La multiplication des crises ne saurait en effet faire perdre de vue une certaine réalité : la France détient encore une main mise assez ferme en Afrique francophone sur d’importants secteurs économiques lucratifs comme les mines, l’agroalimentaire, le bâtiment et les travaux publics, les télécommunications, l’électricité, les assurances et les banques55. À cet effet, et comme l’ont fait remarquer François Constantin et Bernard Contamin, la réorientation des axes dominant le système des échanges entre la France et l’Afrique ne peut se faire sous la forme d’un jeu à somme nulle, plusieurs opérateurs publics et privés ne pouvant tout simplement se désintéresser aussi soudainement d’un continent dans lequel ils ont tant investi en termes politiques, économiques, affectifs et symboliques56.

Aussi, au niveau européen, l’observation minutieuse des faits démontre que malgré d’importants développements dans le sens de l’intégration, le bilatéral et l’intergouvernemental continuent encore de primer sur la dimension communautaire dans les échanges euro-africains57.

De l’autre côté, les explications d’ordre conjoncturel semblent davantage ignorer la notion d’action humaine - individuelle ou organisationnelle. Elles mettent plutôt l’accent sur les variables systémiques matérielles et excluent le modèle de l’individu. Ce faisant, elles préviennent

55 Voir Roland Marchal, « France and Africa : the emergence of essential reform? »,

International Affairs 74 (2002), 360.

56 François Constantin et Bernard Contamin, « Perspectives africaines et bouleversements

internationaux », Politique Africaine 39 (1990), 57.

57 Voir Bruno Coquet, Jean-Marc Daniel, Emmanuel Fourmann, « L’Europe et l’Afrique :

la prise en compte des idées et de tout autre processus cognitif dans l’analyse. Et lorsqu’elles parviennent indirectement à intégrer la dimension humaine en invoquant l’effet des changements brusques de personnels politiques, elles insistent essentiellement sur le rôle des élites. Ce qui laisse ainsi à penser, pour emprunter à Peter A. Hall, que la politique serait globalement l’apanage des officiels publics opérant en toute indépendance des organisations sociétales58.

En 1993, Philip Gordon avait déjà affirmé qu’il n’était pas exclu que certains fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité de la France qui, d’après l’auteur, reposaient encore sur une vision et une conception gaullistes du rôle de la France dans le monde subissent des modifications majeures. À l’origine de cette évolution, l’auteur y voyait clairement le changement de génération. François Mitterrand, avait-il imaginé, aurait probablement été le dernier président français à avoir été adulte au moment de la Deuxième Guerre mondiale; et très peu de ses successeurs potentiels posséderaient selon Gordon un sens aussi élevée de la nation et de l’histoire que ce dernier partageait avec son illustre prédécesseur. L’actuelle génération de leaders politiques français, devait-il conclure, allait tôt ou tard céder la place à une génération nouvelle qui devrait reconnaître que les objectifs et les stratégies hérités de l’époque gaulliste n’étaient plus adaptés à ce monde considérablement bouleversé59. Dans la relation franco-africaine, l’analyse

58 Peter A. Hall, « Policy Paradigms, Social Learning, and the State : The Case of Economic

Policymaking in Britain », Comparitive Politics 25 (1993), 276.

59 Philip H. Gordon, A Certain Idea of France. French Security Policy and the Gaullist

minutieuse des faits tend pourtant à montrer que la mort de certaines personnalités, à l’instar d’Houphouët-Boigny (1993), Habyarimana (1994), Mitterrand (1996), Mobutu et Foccart (1997) ne peut être interprétée comme la fin des Réseaux. Selon Roland Marchal, une nouvelle génération a ouvertement démontré sa capacité et sa volonté à remplacer les personnalités disparues, suggérant ainsi le maintien de la politique traditionnelle de la France à l’égard de l’Afrique. Parmi ces nouveaux acteurs, l’auteur cite Pierre Pasqua (fils de Charles Pasqua), Jean-Christophe Mitterrand (fils de François Mitterrand) et Jacques Toubon (ancien ministre de la justice du gouvernement Juppé)60.

Le renouvellement des élites politiques, malgré le doute au sujet de son influence sur l’évolution de la politique militaire africaine de la France, suggère cependant la possibilité de l’impact des éléments cognitifs dans les transformations en ce domaine. Il présuppose, sans toutefois lui donner un contenu explicite, l’influence éventuelle de ce que Paul A. Sabatier appelle les systèmes de croyance, entendus comme les représentations sociales, les idées ou les valeurs des acteurs individuels ou collectifs61.

Basée sur une approche bien élitiste, cette explication néglige également de prendre en considération le poids et le rôle de plusieurs autres catégories d’acteurs, non-étatiques, qui interagissent entre eux et avec l’État. Pourtant comme il est désormais admis, à côté des acteurs institutionnels, la

60 Roland Marchal. 2002. « France and Africa : the emergence of essential reform? ».

International Affairs 74 (2), 355-372, 361.

61 Paul A. Sabatier and Hank C. Jenkins-Smith, « The Advocacy Coalition Framework. An

Assessment » dans Paul A. Sabatier, dir., Theories of the Policy Process (Boulder, Colorado: Westview Press, 1999), 121.

politique nationale implique depuis la fin du vingtième siècle, l’interaction d’une multitude d’acteurs aux ressources de pouvoir concurrentes. Certaines regroupent des acteurs économiques ou des firmes. D’autres représentent des réseaux de professionnels ou de scientifiques qui revendiquent une expertise ou une compétence dans des domaines précis. Peter M. Haas les appelle les communautés épistémiques62. D’autres enfin sont constitués de réseaux d’activistes motivés par des enjeux normatifs plutôt que matériels et liés entre eux par des systèmes de signification, des valeurs partagées, un discours commun et un échange nourri d’informations et de services63. Ces valeurs, selon l’argument de Thomas Ward, ont justement une capacité considérable non seulement d’influencer les États dans la manière dont ils poursuivent leurs intérêts primordiaux, mais, aussi, de façonner ces intérêts eux-mêmes64.

Partant des carences ainsi rattachées aux explications courantes et sans vouloir négliger le poids des éléments matériels dont nous admettons la réalité de l’influence, nous serons dans cette étude amené d’un côté à reconsidérer le rôle des idées et de l’apprentissage dans l’élaboration progressive d’une nouvelle politique militaire africaine de la France et, de l’autre, à repérer empiriquement les acteurs pertinents dans ce processus. Pour cela, nous nous appuierons sur l’Advocacy Coalition Framework. Parmi les schémas d’analyse contemporains, ce dernier, de l’avis d’Henri Bergeron

62 Peter Haas, « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination

». International Organization 46 (1992), 1-35.

63 Margaret E. Keck and Kathryn Sikkink, Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in

International Politics (Ithaca : Cornell University Press, 1998), 2.

64 Thomas Ward, The Ethics of Destruction. Norms and Force in International Relations

et ses collègues, « constitue certainement l’une des tentatives les plus stimulantes de modélisation et d’analyse des politiques publiques »65.

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