• Aucun résultat trouvé

Bilan des études antérieures sur le traitement des informations émotionnelles

4. La question de la reconnaissance émotionnelle faciale et de la psychopathie

4.1 Bilan des études antérieures sur le traitement des informations émotionnelles

Les études concernant l’habileté des individus psychopathiques à traiter les informations émotionnelles verbales suggèrent fortement la présence de déficits (Blair, Budhani, Colledge, & Scott, 2005; Salekin, 2006). Par exemple, dans les tâches d’ordre lexical (décider si une chaîne de lettres est un mot ou non), il devrait être plus facile d’affirmer qu’un mot à connotation affective est un mot que c’est le cas pour un mot neutre. Le temps de réaction devrait être plus rapide, compte tenu de la valence émotionnelle associée aux mots positifs et négatifs (Loney, Frick, Clements, Ellis, & Kerlin, 2003; Salekin, 2006). Lors de l’exécution de ces tâches, les individus psychopathiques présentent une habileté significativement réduite. En fait, les résultats révèlent que les enfants et les adolescents ayant des traits psychopathiques (Blair et al., 2005a, 2005b; Loney et al., 2003; Stevens et al., 2001) ainsi que les adultes psychopathiques (Bagley, Abramowitz, & Kosson, 2009; Blair et al., 2002) ne démontrent pas un temps de réaction réduit face aux mots à connotation émotive comparativement aux groupes contrôles (Loney et al., 2003). De plus, ce déficit apparaît plus marqué pour les stimuli négatifs, soit les intonations de peur et de tristesse (Blair et al., 2002; Blair et al., 2005a, 2005b; Loney et al., 2003; Stevens et al., 2001).

Bien que la littérature sur le traitement de l’information affective verbale soulève de manière constante la présence de déficits chez les individus psychopathiques, l’évidence de déficits dans le traitement de l’affect facial demeure à ce jour équivoque (Kosson, Suchy, Mayer, & Libby, 2002). Un déficit généralisé de l’affect facial a été observé à la fois chez des enfants ayant des tendances psychopathiques (Blair et Coles, 2000; Munoz, 2009), des individus de la

3 Pour une synthèse des principales études recensées sur la reconnaissance émotionnelle faciale chez les individus

communauté (Gordon, 2004; Wai & Tilipoulos, 2012) et des criminels psychopathiques (Blair et al., 2004; Dolan & Fullam, 2006; Hastings, 2005; Hastings, Tangney, & Stuewig, 2008). Les résultats de plusieurs études suggèrent également la présence de déficits de nature spécifique chez les individus psychopathiques. La majorité de ces recherches ont permis de constater des habiletés de reconnaissance significativement réduites pour les expressions de peur et de tristesse, dans des échantillons de délinquants (Blair et al., 2004; Dolan & Fullam, 2006; Hastings, 2005; Hastings et al., 2008; Iria & Barbosa, 2009), des échantillons psychiatriques (Eisenbarth, Alpers, Segrè, Calogero, & Angrilli, 2008; Fullam & Dolan, 2006), mais également des échantillons d’enfants (Blair & Coles, 2000; Blair, Colledge, Murray, & Mitchell, 2001; Dadds et al., 2006, 2008; Stevens et al., 2001) et d’adultes provenant de la communauté (Gordon, 2004; Montagne et al., 2005; Wai & Tilipoulos, 2012). Toutefois, certaines données indiquent que la psychopathie serait aussi associée à des déficits de traitement des expressions de joie (Hastings, 2005; Hastings et al., 2008; Wai & Tilipoulos, 2012), de colère (Gordon, 2004; Wai & Tilipoulos, 2012) et de dégoût (Acharya & Dolan, 2012; Kosson et al., 2002).

Parmi ces études, certaines ont employé des tâches mesurant la sensibilité des individus psychopathiques face à des expressions émotionnelles de différentes intensités, ce qui a permis d’observer des déficits de reconnaissance de nature plus subtile. À l’aide d’émotions statiques à intensité faible (60 %) et élevée (100 %), les données de Hastings (2005) et Hastings et al. (2008) indiquent que la psychopathie serait associée à une certaine hyposensibilité émotionnelle. En utilisant un paradigme dynamique dans lequel les émotions évoluent à travers 20 stades d’intensité graduelle, Fullam et Dolan (2006) ont constaté qu’un niveau élevé de traits psychopathiques serait associé à un déficit de reconnaissance de la tristesse à faible intensité. Des résultats similaires ont été obtenus dans l’étude de Blair et al. (2001), où les enfants présentant des traits psychopathiques avaient besoin d’une intensité d’expression plus élevée afin d’être en mesure d’identifier correctement les émotions de tristesse. Cette méthode a été reproduite dans un échantillon de criminels psychopathiques adultes, indiquant une certaine insensibilité générale et particulièrement un déficit dans la reconnaissance des expressions de peur (Blair et al., 2004).

Contrairement à ces constatations, plusieurs études conduites dans des échantillons de criminels et d’individus de la communauté incitent plutôt à croire que la psychopathie n’est pas associée à des déficits de traitement de l’information émotionnelle faciale. Ainsi, les résultats de Glass et Newman (2006) ne témoignent d’aucune différence entre les délinquants psychopathiques et les délinquants non-psychopathiques. Similairement, l’étude de Book, Quinsey et Langford (2007) portant sur la performance de prisonniers ainsi que d’individus de la population générale suggère que la psychopathie ne serait pas associée à un déficit de reconnaissance des émotions. Lorsque la psychopathie est mesurée sous forme de construit dimensionnel, les analyses corrélationnelles n’indiquent aucune relation significative entre les mesures de la psychopathie au PCL-R (total, facteur 1 et facteur 2) et la reconnaissance des émotions dans un échantillon de délinquants (Kreklewetz, 2005; Pham & Phillipot, 2010). De manière surprenante, Hansen, Johnsen, Hart, Waage et Thayer (2008) ont constaté que le degré de traits psychopathiques serait positivement associé au traitement des expressions faciales de dégoût, cette habileté étant attribuable aux facettes impulsive et antisociale. Plusieurs recherches portant sur les traits psychopathiques dans la population générale arrivent aux mêmes conclusions et suggèrent que les individus avec un niveau élevé de traits psychopathiques présentent une performance équivalente à celle du groupe contrôle (Gordon et al., 2004 ; Schwartz, 2010) et ce, même dans une tâche utilisant des expressions faciales dynamiques (Seara-Cardoso et al., 2011). Il semblerait que les traits psychopathiques soient associés de manière différente au traitement des informations émotionnelles, la composante du détachement émotionnel étant liée à une meilleure performance dans la reconnaissance de l’affect facial (Habel, Kühn, Salloum, Devos, & Schneider, 2002) et particulièrement de la peur (Del Gaizo et Falkenbach, 2008).

En somme, il est difficile d’avoir une opinion claire quant à la question de la reconnaissance des émotions chez les individus psychopathiques. D’une part, certaines études suggèrent que la psychopathie serait associée à un déficit général de reconnaissance de l’affect facial. Certaines données indiquent plutôt que les individus psychopathiques seraient inaptes à distinguer certaines émotions spécifiques, principalement les émotions de détresse, tandis que plusieurs chercheurs soutiennent qu’ils réussissent aussi bien et même mieux que les groupes non-psychopathiques dans le traitement des informations émotionnelles faciales.