5.2 Bifurcations et complexe de Morse
5.2.1 Bifurcation naissance/mort
Dans ce paragraphe, on consid´erera sur une vari´et´e M de dimension n une famille (ft, Xt), t ∈ (−ǫ, ǫ), ǫ > 0, de fonctions et de pseudo-gradients
associ´es tels que :
1) ∀t ∈ (−ǫ, ǫ) − {0}, ft est Morse
2) f0 n’est pas de Morse pour un point critique u, et pour t proche de 0, et
x proche de u, dans une carte o`u φ(u) = 0, ft est de la forme :
ft(x) = f0(u) + x31+ tx1 + q(x2, ..., xn)
3) ∀t ∈ (−ǫ, ǫ), Xt est un pseudo-gradient associ´e `a ftqui v´erifie la condition
de Smale
5.2 Bifurcations et complexe de Morse 43 on a pris un signe positif devant tx1 car on s’int´eresse dans un premier temps
aux naissances.
Proposition 5.2.1. Dans la configuration qu’on vient de d´ecrire, soit a et
b les deux points critiques qui apparaissent en t = 0. On pose ind(b) = k = ind(a) − 1. On note (C−, ∂−), et (C+, ∂+) les complexes de Morse avant et
apr`es la bifurcation. Les r´esultats qui suivent sont donn´es dans Z/2 car les signes d´ependent des choix d’orientation. Dans tous les cas, C+ est le mˆeme
complexe que C− auquel on a ajout´e le couple (a, b). Pour la diff´erentielle,
plusieurs configurations sont possibles, et de fa¸con g´en´erique pour les familles (ft, Xt) on aura :
1) Si n = 1, a et b vont naˆıtre sur une ligne de flot qui reliait deux points critiques d et c, avec ind(c) = 0 = ind(d) − 1. Dans ce cas, la diff´erentielle apr`es la bifurcation vaut : ∂+(d) = b + ∂−(d), ∂+(a) = b + c, et elle reste
inchang´ee pour les autres points critiques.
2) Si n > 1 et k = 0, a et b vont naˆıtre sur la vari´et´e stable d’un minimum
c. Alors, ∂+(a) = b + c, et ∂+ = ∂− ailleurs.
3) Si n > 1 et k = n − 1, a et b vont naˆıtre sur la vari´et´e instable d’un maximum d. Alors, ∂+(a) = b, ∂+(d) = b + ∂−(d), ∂+(b) = 0, et ∂+ = ∂−
ailleurs.
4) Dans les autres cas, ∂+(a) = b, ∂+(b) = 0, et ∂+ = ∂− ailleurs.
D´emonstration. D’apr`es la forme locale de la bifurcation de type naissance (voir la Proposition 5.1.2), deux points critiques d’indices cons´ecutifs vont apparaˆıtre en t = 0.
1) Pour n = 1, le seul cas de figure est localement diff´eomorphe `a la Figure
5.2.
Pour n > 1, `a l’aide du mod`ele local de la naissance, on voit qu’il y a une unique ligne de flot de ∂+ qui relie a `a b. Puis, pour les cas 2), 3), et
4), tout d´ecoule de l’id´ee suivante : si la codimension de la vari´et´e instable d’un point critique qui pourrait descendre par une ligne vers a ou b est stric- tement plus grande que 0, alors cette vari´et´e ´evite le point de naissance de fa¸con g´en´erique, et par cons´equent il ne descendra pas sur a ou b. On peut faire exactement la mˆeme chose pour une vari´et´e stable d’un point critique qui proviendrait de a ou b.
On va le montrer dans le cas d’un point critique x d’indice k + 1 qui pourrait descendre via une ligne vers b. Supposons que la codimension de sa vari´et´e instable soit plus grande ou ´egale `a 1. On appele N le point de naissance. Si la vari´et´e instable de x ´evite N alors il n y a rien `a changer. Si la vari´et´e instable de x touche N , alors en faisant une petite perturbation dans une direction suppl´ementaire `a l’espace tangent on aura ∀t ∈ (−ǫ, ǫ), Wu
Xt(x) ∩ N = ∅. Finalement, comme cette op´eration ne changera rien aux transversalit´es, en
44 Chapitre 5 : Bifurcations et Impacts sur le Complexe de Morse
Figure 5.2 – Naissance de deux points critiques en dimension 1
.
faisant cela avec tous les points critiques d’indices k + 1, aucun point critique ne descendra sur b.
Un point qui pourrait descendre sur a (ou b) aurait une vari´et´e instable de codimension n − k − 2 (ou n − k − 1). Un point qui pourrait provenir de a (ou b) aurait une vari´et´e stable de codimension k (ou k − 1). Donc :
- Si n > 1 et k > 1 et k < n − 2, d’apr`es ce qui pr´ec`ede, ∂+(a) = b,
∂+(b) = ∂+2(a) = 0, et ∂+ = ∂− ailleurs.
- Si n > 1 et k = n − 1, alors a sera un maximum, et la naissance aura lieu sur la vari´et´e instable d’un maximum d qui ne pourra pas ˆetre ´evi- t´ee g´en´eriquement. Le mod`ele local de la naissance donne alors ∂+(a) = b,
∂+(d) = b + ∂−(d), ∂+(b) = 0, et ∂+ = ∂− ailleurs.
- Si n > 1 et k = n − 2, alors la naissance se fera sur la vari´et´e instable d’un maximum qui descendra sur a. Cependant, comme aucun point critique ne descendra sur b de fa¸con g´en´erique, il est impossible d’avoir ∂+(d) = a + ν
iei
(νi = ±1, et les ei sont des points critiques) car comme ∂+2 = 0, il serait
n´ecessaire qu’un autre point descende vers b. Par cons´equent, les chemins qui se rendent `a a depuis d sont de signes oppos´es, et le r´esultat sera le mˆeme que lorsque n > 1, k > 1, et k < n − 2 .
- Si n > 1 et k = 1, la preuve est presque identique au cas o`u n > 1 et
k = n − 2 (c’est la mˆeme avec g = −f ).
- Si n > 1 et k = 0, la preuve est presque identique au cas o`u n > 1 et
5.2 Bifurcations et complexe de Morse 45
5.2.2
Glissement d’Anse
D’apr`es la Proposition 5.1.5, lors d’une perte de transversalit´e, le com- plexe ne changera pas si cette perte concerne deux points critiques d’indices cons´ecutifs (les deux lignes s’annuleront dans la diff´erentielle). Les modifica- tions du complexe seront li´ees `a des glissements d’anse. On s’int´eressera ici aux chemins g´en´eriques (f, Xt) qui poss`edent un glissement d’anse tel que
celui d´ecrit `a la Proposition 5.1.5. On note c et c′ les deux points critiques
concern´es par la bifurcation tel que f (c) > f (c′).
Proposition 5.2.2. Soit A un morphisme de complexe de chaˆınes d´efini par
A(c) = c + c′ et qui vaut l’identit´e partout ailleurs. Alors, on a :
∂+|Ck+1 = A−1◦ ∂−|Ck+1
∂+|C
k= ∂−◦ A|Ck
D´emonstration. Dans un niveau L′ situ´e juste en dessous de c′ on a vu que
Wu
Xt(c)∩L
′ change par ajout d’une sph`ere parall`ele `a Wu Xt(c
′)∩L′ par somme
connexe orient´ee (voir la Proposition 5.1.5). Soit x un point critique tel que
∂−(c′) = x + .... Alors, comme l’intersection de Ws
Xt(x) avec W
u Xt(c
′) est
transverse (par hypoth`ese sur le chemin (f, Xt)) pour chaque point d’inter-
section entre Ws
Xt(x) et W
u Xt(c
′), il y en aura un de mˆeme signe entre Wu Xt(c) et Ws
Xt(x). Par cons´equent ∂
+(c) = ∂−(c) + ∂−(c′).
Dans un niveau juste au dessus de c, la mˆeme chose se produit mais la sph`ere ajout´ee est de co-orientation oppos´ee `a la sph`ere initiale. D’o`u, pour
d un point critique d’indice k + 1, tel que ∂−(d) = c + ... on aura ∂+(d) =
c − c′+ ....
Pour les bifurcations oppos´ees comme une bifurcation de type mort, ou un glissement d’anse avec un signe oppos´e, en suivant la mˆeme d´emarche on peut montrer que les modifications obtenues sont les inverses de celles pr´ec´edemment ´etablies.
Chapitre 6
Approche par Homotopie et
Cat´egories
L’approche par bifurcation nous a permis de connaˆıtre les modifications susceptibles de s’effectuer sur le complexe de Morse lors du parcours d’une famille `a un param`etre de couples fonction/pesudo-gradient (ft, Xt). Cette
approche nous a permis d’´etudier exhaustivement toutes les situations pos- sibles. Toutefois, en Homologie de Floer, r´ealiser cette description est bien plus complexe. Par cons´equent, il est int´eressant d’´etudier les modifications du complexe de Morse par une approche diff´erente qui pourrait ˆetre plus simple, et qui pourrait se transposer en Homologie de Floer. Dans ce cha- pitre on pr´esentera la m´ethode des homotopies pour l’´etude des modifications du complexe de Morse, puis on comparera ces r´esultats `a ceux de l’approche par bifurcation en terme de cat´egories.
6.1
M´ethode des homotopies
L’id´ee de cette m´ethode est de sortir de la vari´et´e de d´epart M pour travailler sur M × J, avec J un intervalle. Avec ce param`etre suppl´ementaire, on va pouvoir ´etudier les modifications du complexe de Morse grˆace aux lignes de flot d’une fonction sp´ecifique sur M × J.
Th´eor`eme 6.1.1. (M´ethode des homotopies [2]). Soit (f0, X0) et (f1, X1)
deux couples fonction/pseudo-gradient d´efinis sur une vari´et´e V de dimension
n, et v´erifiant les conditions de Morse-Smale. Alors, il existe un morphisme
de complexes :
Φ∗ : (C∗(f0), ∂X0) → (C∗(f1), ∂X1) qui induit un isomorphisme en homologie.
6.1 M´ethode des homotopies 47
Figure 6.1 – La fonction g. [2]
D´emonstration. Tout d’abord, avec une partition de l’unit´e, on construit une fonction F telle que :
F : V × [−1/3, 4/3] → R (x, s) 7→ F (x, s) = Fs(x) et ( Fs = f0 pour s ∈ [−1/3, 1/3] Fs = f1 pour s ∈ [2/3, 4/3]
On va montrer le th´eor`eme en trois ´etapes :
1) Soit g une fonction r´eelle `a valeurs r´eelles, poss´edant un maximum en 0 et un minimum en 1 (voir Figure 6.1), et telle que :
∀x ∈ V, ∀s ∈ (0, 1), ∂F
∂s(x, s) + g
′(s) < 0
Alors, la fonction ˆF = F + g est une fonction de Morse dont les points
critiques sont :
Crit( ˆF ) = Crit(f0) × {0} ∪ Crit(f1) × {1}
Les points critiques de f0 voient leur indice augment´e de 1 tandis que ceux
de f1 gardent leur indice constant. `A nouveau, avec une partition de l’unit´e
48 Chapitre 6 : Approche par Homotopie et Cat´egories
(
X = X0− grad g sur V × [−1/3, 1/3]
X = X1− grad g sur V × [2/3, 4/3]
(avec grad g le gradient euclidien de g). Alors X est transverse au bord de V × [−1/3, 4/3], et en le perturbant un peu on obtient ˆX qui v´erifie la condition
de Smale et est transverse `a V × {s} pour s = −1/3, 1/3, 2/3, 4/3. Cette petite perturbation ne change en rien les transversalit´es, et par cons´equent : (C∗( ˆF ), ∂X) = (C∗( ˆF ), ∂Xˆ). Ainsi, on aura :
(C∗( ˆF |V ×[−1/3,1/3]), ∂Xˆ) = (C∗(f0), ∂X0) et
(C∗( ˆF |V ×[2/3,4/3]), ∂Xˆ) = (C∗(f1), ∂X1)
Dans le complexe de Morse associ´e `a ( ˆF , ˆX) il y a deux types de trajectoires
entre points critiques. Celles qui restent dans la tranche s ∈ [−1/3, 1/3] (trajectoires de X0) ou dans la tranche s ∈ [2/3, 4/3] (trajectoires de X1), et
celles qui vont d’un point critique de f0 en s = 0 vers un point critique de f1
en s = 1. Comme :
Ck+1( ˆF ) = Ck(f0)LCk+1(f1)
on aura :
∂Xˆ : Ck(f0)LCk+1(f1) → Ck−1(f0)LCk(f1)
qui s’´ecrira dans cette base sous la forme matricielle suivante :
∂Xˆ = ∂X0 0
ΦF ∂ X1
!
Pour tous les k compris entre 0 et n, la partie ΦF envoie les points critiques
d’indice k de f0sur des points critiques d’indice k de f1. Puis, comme ∂X2ˆ = 0,
dans Z/2, on aura :
ΦF ◦ ∂
X0 = ∂X1 ◦ Φ
F
et donc ΦF est bien un morphisme de complexe de chaˆınes.
2) Pour f1 = f0 et X1 = X0, en prenant le couple :
(F (x, s) = f0(x) + g(s), X = X0− grad g)
on v´erifie bien les conditions de Morse-Smale. De plus, pour tout point cri- tique a de f0, X(a, s) = (0, −grad g(s)), et par cons´equent il y a une unique
trajectoire de X qui lie (a, 0) et (a, 1). On a finalement ΦF = Id.
3) Soient un autre couple (f2, X2), F une interpolation entre f0 et f1, G
une interpolation entre f1 et f2, et H une interpolation entre f0 et f2.
6.1 M´ethode des homotopies 49
Figure 6.2 – L’interpolation K. [2]
V × [−1/3, 4/3] × [−1/3, 4/3], telle que K(x, s, t) = Ks,t(x) par :
- Ks,t= Ht pour s ∈ [−1/3, 1/3]
- Ks,t= Gt pour s ∈ [2/3, 4/3]
- Ks,t= Fs pour t ∈ [−1/3, 1/3]
- Ks,t= f2 pour t ∈ [2/3, 4/3]
Puis, on choisit une fonction g, avec la mˆeme forme qu’`a la Figure6.1 qui v´erifie : ( ∀s ∈ (0, 1), g′(s) + max(∂F ∂s(x, s), ∂G ∂s(x, s), ∂H ∂s(x, s)) < 0 ∀x ∈ V, ∀(s, t) 6= {(0, 0); (0, 1); (1, 0); (1, 1)}, g′(s) +∂K ∂s(x, s, t) < 0 Puis, on pose : ˆ K(x, s, t) = Ks,t(x) + g(s) + g(t)
On a ainsi construit une fonction de Morse dont les points critiques sont :
Crit( ˆK) =
50 Chapitre 6 : Approche par Homotopie et Cat´egories D’autre part, pour ˆK, les points critiques qui proviennent de f0 voient leur
indice augment´e de 2, les points critiques qui proviennent de f1 voient leur
indice augment´e de 1, les points critiques qui proviennent de f2 situ´es en
(0, 1) voient leur indice augment´e de 1, et les points critiques qui proviennent de f2 situ´es en (1, 1) gardent le mˆeme indice.
Figure 6.3 – La diff´erentielle ∂Xˆ et ses diff´erentes composantes. [2]
Soit X un pseudo-gradient adapt´e `a F , et Y un pseudo-gradient adapt´e `a G. On d´efinit X un pseudo-gradient pour K tel que :
-X (x, s, t) = X(x, t) − grad g(s) pour t ∈ [−1/3, 1/3]
-X (x, s, t) = X2(x) − grad g(s) − grad g(t) pour t ∈ [2/3, 4/3]
-X (x, s, t) = Y (x, s) − grad g(t) pour s ∈ [2/3, 4/3]
6.2 Cat´egories et Complexe de Morse 51