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4. Méthodologie

4.1.2 Biais des valeurs périphériques

Pour des raisons éthiques et méthodologiques, nous avons opté pour le prélèvement des endocannabinoïdes en périphérie tout en reconnaissant les biais possibles de valeurs plasmatiques. Il est certain que les concentrations endocannabinoïdes retrouvées en périphérie ne reflètent pas de façon linéaire les valeurs centrales. Une étude a d’ailleurs précisément reflété cette différence entre les valeurs plasmatiques et centrales dans un contexte clinique de schizophrénie80. De la même façon pour plusieurs neurotransmetteurs et neuromodulateurs, les valeurs dans le LCR ne sont pas directement associées aux valeurs périphériques et il pourrait être parfois plus avantageux et fiable de mesurer plutôt les métabolites.

De plus, connaissant l’implication des endocannabinoïdes dans de nombreux systèmes centraux et périphériques, plusieurs biais ont pu modifié nos résultats. L’influence peut être multiple selon différents phénomènes cliniques. Pensons notamment aux fonctions neuroendocriniennes des ECB qui permettent un pont entre différents systèmes et plusieurs états, stades ou mécanismes et qui peuvent influencer leurs valeurs. Et donc, nombreux sont les phénomènes physiologiques et pathologiques pouvant modifier les valeurs plasmatiques et ne pouvant être complètement contrôlés dans une étude clinique.

Effectivement, les ECB sont impliqués dans divers systèmes; cardiovasculaires, gastro- intestinal, reproducteur, neurologique, hématologique, immunitaire; pour n’en nommer que quelques-uns 81. Ils sont aussi impliqués dans la réponse au stress physique et psychosocial 82 et sont également au coeur des phénomènes de douleur 83.

Certes, une des principales influences dans un contexte de trouble psychotique demeure la consommation de substances. Nous n’avons qu’à considérer l’influence soit du type de drogue, de la fréquence de consommation ou de la voie d’administration sur les endocannabinoïdes. La présence de la toxicomanie a été directement considérée à travers le choix des groupes de sujets, ce qui a permis de distinguer plus précisément les altérations attribuables soit à la consommation, soit à la schizophrénie. Nous devons nous rappeler que des antécédents de consommation, malgré une abstinence récente prolongée, peuvent avoir modifié la plasticité synaptique dans le groupe sans toxicomanie. Il s’agit notamment de phénomènes de métaplasticité, c’est-à-dire un changement dans la capacité à générer une plasticité synaptique. Cela fait suite à une première amorce qui altère la capacité subséquente d’induire la dépression ou potentialisation à long terme. La consommation chronique sert ainsi d’amorce à la perturbation de la plasticité synaptique84, 85. Effectivement, la vulnérabilité à rechuter provient de neuroadaptations dans les circuits corticostriés où sont localisés les axones dopaminergiques. Cette vulnérabilité ancrée dans la neurotransmission est durable et la rechute peut survenir plusieurs années plus tard. La toxicomanie vient donc altérer nos

paradigmes de compréhension de la schizophrénie et nous en mesurerons l’impact plus en détails ultérieurement.

Par ailleurs, par leur nature lipophilique, les endocannabinoïdes agissent comme des médiateurs autocrines et paracrines en périphérie. Dans nos résultats, il faut considérer leur production par les lymphocytes et monocytes86. Nous pouvons ainsi entrevoir leur variation plasmatique comme tributaire de nombreux phénomènes inflammatoires et immunologiques. Par exemple, des élévations de l’hormone leptine diminuent la synthèse d’endocannabinoïdes en phase psychotique aiguë. Cependant, alors que dans une autre étude avec olanzapine87, l’abaissement de leptine a restauré les niveaux de ECB, dans notre étude, la quetiapine n’a pas modifié les valeurs. Ainsi, soit la quetiapine n’a pas les mêmes effets sur la leptine, soit elle ne modifie pas les endocannabinoïdes, soit les ECB sont des marqueurs liés à un trait et non à un état.

De la même façon, nous ne pouvons passer sous silence l’importance des ECB dans les phénomènes métaboliques. Ainsi, le lien entre les ECB et la prise de nourriture vient influencer étroitement ces substances endogènes88. Les mesures plasmatiques des ECB sont notamment influencées par les autres lipides périphériques et soumises aux effets périphériques sur les récepteurs CB1, ceux-ci particulièrement retrouvés sur les adipocytes89. Un contrôle des ponctions veineuses à jeun aurait notamment favorisé une meilleure fiabilité des résultats. Il pourrait être intéressant dans des analyses ultérieures de comparer les résultats aux valeurs du bilan lipidique standard (cholestérol total,

triglycérides, lipoprotéines de haute densité (HDL) et de basse densité (LDL)) et aux hormones métaboliques telles que la ghreline, la leptine et l’insuline. Nous savons effectivement que l’insuline est un modulateur négatif des endocannabinoïdes90-92 tout comme la leptine93. Les paramètres métaboliques tels que le poids sont aussi à considérer comme facteurs modifiant les cannabinoïdes endogènes. Dans des modèles multivariés, par exemple, l’anandamide périphérique était le seule ethanolamide associé de façon significative avec l’adiposité94. Certaines valeurs périphériques et centrales peuvent aussi varier selon la race et la dépense énergétique. Il faut donc considérer les valeurs plasmatiques des ECB comme un reflet de la relâche de médiateurs lipidiques des organes périphériques. Ainsi, ils sont abaissés en postprandial ou suivant une surcharge glycémique avec hyperinsulinémie euglycémique chez des personnes plus minces alors qu’ils sont abaissés chez des sujets obèses avec résistance à l’insuline ou avec diabète de type 2 90, 91, 95, 96.

Par ailleurs, nous ne pouvons écarter les effets de certains autres mécanismes physiopathologiques. Effectivement, le cycle de régulation du sommeil, par exemple, vient influencer les valeurs des endocannabinoïdes. Une étude a démontré chez des sujets sains un rythme circadien des concentrations plasmatiques d’anandamide. Ainsi, les valeurs sont trois fois plus élevées au réveil qu’au coucher et la privation de sommeil vient perturber cette relation97. De plus, les sujets de notre étude, des personnes atteintes de schizophrénie et/ou des toxicomanes, ont souvent un cycle de sommeil perturbé, que ce soit par désorganisation des habitudes de vie, par isolement social et dérèglement

d’un horaire de vie ou par la perturbation du sommeil liée aux troubles perceptuels, aux délires ou à la décharge adrénergique de la consommation. Une élévation plasmatique de OEA serait aussi présente chez des sujets avec une apnée du sommeil de façon significative par rapport aux autres endocannabinoïdes et aux contrôles98. Donc, autant chez les sujets sains que chez les sujets atteints, il serait préférable de relever l’heure de la prise de sang en lien avec le cycle de sommeil et d’éveil et de recueillir les informations concernant l’hygiène de sommeil.

En outre, plusieurs médicaments peuvent influencer les valeurs plasmatiques tels que les psychotropes, les analgésiques ou ceux pour la santé cardiovasculaire. Les médicaments psychotropes sur ordonnance ont été recensés dans l’étude. Les antipsychotiques semblent entraîner des modifications des récepteurs CB1 chez les animaux alors que cela n’a pas été reproduit chez l’humain 99. Certains antidépresseurs, tel que la fluoxetine, peuvent aussi influencer la densité des récepteurs CB1 chez l’animal sans modifier les ligands100. Étant donné que le système endocannabinoïde est impliqué dans la locomotion et interconnecté avec le système cholinergique, nous pouvons fortement suspecter une influence des médicaments anticholinergiques pris de façon répandue par les patients pour contrôler les symptômes extra-pyramidaux. Les hypolipémiants prescrits pour abaisser l’hypercholestérolémie et l’hypertriglycéridémie et les antidiabétiques agissent sur les mêmes systèmes endogènes et sont souvent prescrits chez les patients schizophrènes. Il est nécessaire de se rappeler que certains médicaments en vente libre peuvent aussi avoir un impact sur les ECB, notamment des

analgésiques couramment consommés. Effectivement, les anti-inflammatoires non- stéroïdiens (AINS) inhibent l’hydrolase d’acides gras aminés (FAAH) (ex: ibuprofen, indomethacin) et inhibent le transport d’endocannabinoïdes (ex: acétaminophène). Il faut se rappeler que les AINS de type inhibiteurs de cyclooxygénase 2 (COX 2) peuvent influencer le système cannabinoïde étant donné la cascade de dégradation de AEA et 2- AG impliquant fort possiblement COX2. Des variations dans les résultats plasmatiques des ECB sont soupçonnées en lien avec des mécanismes pharmacocinétiques selon la dose et la voie d’administration des médicaments101. De plus, il ne faut pas négliger le fait que l’anandamide est non seulement métabolisé par FAAH, COX-2 et des lipoxygénases, mais il est aussi un substrat du cytochrome P450 2D6 102, 103. Ainsi, des interactions médicamenteuses par la compétition avec des substrats d’affinité différente ou par l’effet de molécules inhibitrices du CYP 2D6 peuvent survenir.

Par ailleurs, il faut considérer plus particulièrement les différents symptômes psychiatriques rencontrés dans les tableaux cliniques et pouvant interférer avec les valeurs. En effet, particulièrement dans la schizophrénie, les corrélations des endocannabinoïdes avec les déficits cognitifs ou avec l’intensité et la prépondérance des symptômes positifs par rapport aux symptômes négatifs sont autant de facteurs à noter. De plus, l’hétérogénéité phénotypique, biologique et étiologique de la schizophrénie peut avoir une influence. Les sous-types cliniques, et donc la différence phénotypique, peuvent être attribuables aux différences individuelles génétiques et pathophysiologiques qui peuvent altérer les résultats 104. Il faut aussi noter la présence

des différentes comorbidités psychiatriques telles que la dépression et l’anxiété. Dans notre étude, des échelles de dépression et des mesures cognitives ont été utilisées. Des perturbations des valeurs endocannabinoïdes peuvent se retrouver particulièrement dans les conditions physiologiques et pathologiques associées aux émotions et à la cognition105. Certes, le système endocannabinoïde ne peut donc être considéré dans la schizophrénie sans l’influence des circuits de neurotransmission, ce qui sera revisité dans la prochaine section.

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