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2.3 Généralités sur les barrages

2.3.1 Les barrages au Maghreb

Si l’on se place dans un contexte géomorphologique plus proche de celui qui caractérise la zone étudiée, on peut comparer les résultats obtenus pour les barrages maghrébins avec celui du barrage de Verbois en Suisse, situé immédiatement en amont de la frontière avec la France.

De 1965 à 2007, ce barrage a accumulé environ 7 millions de m3 de sédiments, ce qui représente un envasement de 166.000 m3 par an, soit environ 264.000 tonnes de sédiments (Loizeau et Wildi, 2007). Le facteur d’envasement entre ce barrage suisse et la moyenne obtenue pour les barrages maghrébins est encore supérieur à 10 en faveur des barrages du Maghreb.

Des cas d’envasement très important hors Maghreb sont connus parmi lesquels nous pouvons citer les deux barrages australiens Moore Creek et Korrumbyn Creek Dam, érigés sur les cours d’eau Moore Creek et Korrumbyn Creek, qui ont été totalement envasés respectivement en 26 et 20 ans (Ammari, 2012).

En Asie, de 1951 { 2002, l’augmentation de l’envasement des barrages se dressant sur le fleuve chinois Yangtze est spectaculaire, passant de moins de 1 million de tonnes par an à 737 millions de tonnes par an, ce qui représente un accroissement annuel moyen de plus de 14 millions de tonnes. Ce phénomène s’accompagne d’une augmentation du transport sédimentaire en suspension spécifique passant de 1449 millions de t.km-2.an-1

en 1952, à 2427 millions de t.km-2.an-1 en 2002 (Yang et al, 2005).

Le taux de sédimentation du barrage des Trois Gorges, sur le fleuve Yangtze, atteint la valeur record de 134, 4 millions de tonnes par an pour la période juin à décembre 2003.

A titre de comparaison, le taux de sédimentation du barrage Gezhouba, lui aussi bâti sur le fleuve Yangtze, n’est que de 8,3 millions de tonnes par an. Dans ce même bassin versant, l’ouvrage produisant la plus forte rétention sédimentaire se situe sur le Wujiang, un affluent du Yangtze, et son taux d’envasement est de 72,8 millions de tonnes par an (Yang et al, 2005).

2.3.1 Les barrages au Maghreb

Les quelque 230 barrages en exploitation au Maghreb ont une capacité de stockage de 23 milliards de m3 d’eau et retiennent 125 millions de m3 de sédiments par an (Remini et Remini, 2003), d’où un déficit considérable en matériaux pour le littoral. La durée de vie moyenne de ces ouvrages est estimée à environ 30 ans (Remini, 2000), mais dans certains cas, ces barrages peuvent être comblés plus rapidement faute de chasses suffisantes et/ou d’erreur dans les calculs de sédimentation.

Si l’envasement des barrages est un problème global au niveau de la planète, celui-ci est encore plus aigu pour le Maghreb, où { l’érosion des sols, pouvant atteindre 5000 t.km-2.an-1, vient s’ajouter le manque d’eau (Walling, 1984). En Algérie (Fig. II.39), selon les bassins versants considérés, le taux d’envasement varie de moins de 0,5 % par an à plus de 3 % par an, ce qui est considérable (Remini et al., 2009). En plus de la perte de

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stockage en eau, les accumulations de sédiments peuvent endommager les barrages en bouchant les vannes et aller même jusqu’{ la rupture de l’ouvrage par dépassement de la masse retenue. En effet, la densité des sédiments étant comprise entre 1,5 pour les terrains à prédominance marneuse et 2,6 pour les substrats gréseux, cela représente donc une charge 1,5 { 2,6 fois supérieure { celle de l’eau, selon la nature géologique des bassins versants.

Comme, dans ce contexte climatique très particulier, il n’est pas concevable de perdre la moindre quantité d’eau inutilement, la pratique classique des chasses hydrauliques n’est pas toujours possible ou envisagée. Par exemple, en Algérie, seule la moitié des barrages peuvent être purgés par l’ouverture de vannettes de dévasement pour provoquer ces chasses hydrauliques (Remini et Hallouche, 2004).

En cas d’envasement très important et lorsque la topographie locale s’y prête, il est aussi possible de construire, en amont du barrage à protéger, un second barrage dit « de chasse » (Fig. II.13). Le but du barrage de chasse est de transformer les faibles débits arrivant de l’oued, en onde { grand débit. Lorsque ce barrage de chasse est rempli d’eau, l’ouverture de ses vannes va provoquer un courant de densité composé de particules fines. Ce courant de densité va se propager le long de l’oued et arriver dans la retenue d’eau du barrage principal que l’on veut nettoyer. Cette véritable crue artificielle va détacher une partie des sédiments consolidés au fond, et va les transporter près des vannes de vidange. L’ouverture de ces vannes au moment opportun permet ensuite leur évacuation en utilisant un minimum d’eau. Cependant, lorsque cette technique délicate est mal maitrisée, le barrage à désengorger risque de se retrouver avec un stock sédimentaire encore plus important { la fin de l’opération, cumulant les éléments solides des deux ouvrages (Remini et Avenard, 1998).

Figure II.13 : Fonctionnement d’un barrage de chasse (d’après Remini et Avenard, 1998).

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La technique alternative la plus simple, le dragage par des engins mécaniques de type pelleteuses, si elle ne consomme pas inutilement de l’eau, est en revanche très peu efficace, surtout dans ce milieu où l’érosion des bassins versants est extrême (Walling, 1984).

Pour lutter contre l’envasement, d’autres choix que le dragage et le barrage de chasse sont également possibles :

- L’abandon du barrage et la construction d’un nouvel ouvrage en aval : cas extrême pas toujours réalisable pour des questions de topographie locale, et report du problème initial vers l’aval en plus du coût de construction du nouvel édifice.

- L’élévation de la digue : le problème de l’envasement n’est pas résolu, mais la capacité de stockage de l’eau est temporairement augmentée. Par contre il y a de gros risques de ruptures, l’ouvrage initial n’ayant généralement pas été conçu pour supporter de telles charges dues au surplus d’eau et de sédiments. La solution consiste alors à renforcer complètement le barrage existant, ce qui entraine de gros coûts financiers. L’Algérie a été un des premiers pays au monde à pratiquer cette technique, principalement après 1950 (Remini et al., 2009).

- Le barrage perméable de sédimentation, qui nécessite l’intervention humaine mécanisée après de grosses crues pour dégager les blocs et sédiments accumulés obstruant les barbacanes (Van Effenterre, 1982).

- Le transfert de sédiments vers l’aval de la retenue par curage et convoyage par camion. Si cette méthode { l’immense avantage de remettre les sédiments soustraits par les ouvrages { disposition du cours d’eau en aval, en contrepartie, son coût de mise en œuvre est très élevé. En effet, l’opération de curage ne s’effectue pas rapidement sur les retenues importantes, elle nécessite de gros moyens de transports des sédiments prélevés et elle a de plus, un impact indirect sur l’environnement par son bilan carbone élevé ainsi que par l’impact que les norias de camions provoquent sur les riverains (ce dernier argument est toutefois moins sensible en région semi-aride et aride). - Les transparences, qui abaissent le plan d’eau de la retenue en période de

crue en ouvrant en partie les vannes, libérant ainsi une partie des sédiments piégés. Ce concept se rapproche de celui de chasse hydraulique, mais est réalisé de façon moins « violente » (Orientations générales de gestion et de restauration).

Il faut aussi avoir { l’esprit qu’une partie de l’eau des réservoirs disparaît du fait de l’évaporation, de fuites dans les fondations, d’infiltrations dans le sol … Ces pertes peuvent représenter jusqu’{ 6,5 % de la capacité totale des barrages algériens (Remini et al., 2009).

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Face { l’augmentation des périodes d’aridités au Maghreb, les réservoirs de type collinaire prennent de plus en plus d’importance. Ces petits barrages de type « remblais » réalisés en terre compactée dont la hauteur de digue est comprise entre 1 m et 15 m, permettent la formation de petits lacs artificiels, principalement alimentés par les eaux pluviales ou par les cours d’eau secondaires des parties amont de grands bassins versants. Ces ouvrages sont équipés de déversoirs latéraux relativement sommaires, pouvant évacuer quelques dizaines de m3.s-1. Ils sont aussi quelquefois érigés dans le seul but de retenir les sédiments en amont et protéger les barrages plus importants en aval (Albergel et al., 2005). Si leur mise en place est rapide et peu coûteuse, leur capacité de rétention en eau reste réduite et leur surveillance doit être accrue du fait des risques de ruptures importants. Au Maroc, 54 barrages collinaires ont été érigés entre 1980 et 2009. Cependant, les problèmes d’envasement de ces ouvrages sont également présents, dus { l’érosion des sols et au ravinement (Abdellaoui et al., 2009). Par contre, il ne nous a pas été possible de quantifier l’impact sédimentaire de ces petites retenues, ce qui fera sans doute défaut dans nos bilans globaux, mais nous émettons l’hypothèse que comparativement aux « véritables » barrages, la rétention sédimentaire causée par ces ouvrages est négligeable.

On sait que plus on construit un barrage au bas d’un bassin versant, plus la proportion de sédiment retenu sera élevée par rapport à celle produite dans tout le bassin. Parmi les sites sélectionnés ci-dessous, un exemple permet d’illustrer l’importance de la position du barrage dans le bassin versant, celui du barrage Sidi El Barrak sur l’oued El Zouara en Tunisie. Lorsque l’on regarde sa position, on constate qu’il est situé { moins de 2 km de la mer alors que la longueur de l’oued est d’environ 45 km. Le ratio longueur totale de l’oued / distance du barrage { l’embouchure est dans ce cas de 22,5 et l’envasement de ce barrage, pourtant très moderne qui a été mis en service en 1999, est estimé à près de 12,4 millions de tonnes par an, ce qui est énorme. Le barrage marocain Mohamed V (1967) situé sur l’oued Moulouya, retient 18,44 millions de tonnes par an, valeur nettement supérieure à celles des vieux barrages algériens du Ain Zara, Ghrib et Oued Foda (~ 3,8 millions de tonnes par an), ce qui peut s’expliquer par le fait que ce barrage est situé { seulement 80 km de l’embouchure de l’oued Moulouya, alors que la longueur de cet oued est d’environ 500 km. On a un rapport longueur de l’oued, emplacement du barrage qui est de 6,25, bien au-dessus du ratio obtenu pour les autres barrages dont la rétention sédimentaire est importante. Le barrage du Ghrib est à plus de 200 km en ligne directe de l’embouchure de l’oued Cheliff dont la longueur totale est de 750 km (ratio=3,75). Le barrage Ain Zada est à 60 km de la mer, alors que l’oued Soummam mesure environ 200 km de long, soit un ratio de seulement 3,3. (Fig. II.14).

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Figure II.14 : Ratio position du barrage par rapport { l’embouchure (km) / longueur totale de l’oued (km) pour quelques barrages maghrébins ayant un taux d’envasement élevé.