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PARTIE II. LES PREMIERS ÉCHANGES DE LA POLÉMIQUE

C. O Audouard réplique : « En réponse à son article "le duel tombé en

3. J Barbey d'Aurevilly, élève d'O Audouard

Si J. Barbey d'Aurevilly devient l'élève d'O. Audouard, c'est à cause de sa jeunesse présumée et de son manque de logique. Ce sont là les deux éléments qui fondent le contre-ethos que construit O. Audouard et ils sont inextricablement liés, comme O. Audouard l'indique dès le début de sa réponse : « à votre style toujours emporté et parfois pas assez mesuré, je suppose que vous êtes jeune, d'autant que vous manquez un peu de logique ». Elle détermine l'âge de son adversaire, qu'elle ne connaît pas, à partir de son discours et de son ethos. De manière intéressante, ce que J. Barbey d'Aurevilly montrait comme étant sa force, à savoir la virtuosité de son style, à savoir les paradoxes qui lui permettent de démasquer les ridicules et l'absurdité de son temps, O. Audouard les retourne en faiblesse. La virtuosité devient un manque de mesure, de contrôle de soi, les paradoxes un manque de logique. A partir de la posture humiliante de la vieille femme à laquelle il l'avaient renvoyée, O. Audouard répond en le renvoyant à la posture

120 A. Primi, « “Explorer le domaine de l’histoire” : comment les “féministes” du Second Empire conçoivent-elles le

passé ? », 2002, p. 121-126.

humiliante du jeune homme naïf, ignorant, immature, inconséquent. Dès lors, et dans la mesure où elle s'adresse à lui, elle multiplie les injonctions bienveillantes : « monsieur, écoutez-la », « profitez de ses avis », « soyez conséquent », « avouez », « ne vous rangez pas », ce qui illustre la relation professeure-élève qu'elle entend instituer avec lui.

En tant que professeure, elle le conseille sur son style et sa logique, et la leçon qu'elle entend lui administrer prend nécessairement pour objet ce qu'il écrit. Cela l'amène tout d'abord à citer les Femmes au XIXe siècle, puis l'article du Gaulois : « vous vous

écriez », « vous ajoutez », « vous dites », « plus loin, vous écrivez ». Si les citations qu'elle fait du premier article sont d'un seul tenant et servent d'embrayeur à la démonstration qui suit, les citations qu'elle fait de l'article du Gaulois sont très précises et portent uniquement sur les mots d'esprit qui la dénigraient. Il s'agit alors de montrer à J. Barbey d'Aurevilly son manque de galanterie, « ce nouveau style, fort peu régence ». En choisissant de produire des citations les plus courtes possibles, elle parvient à isoler les termes les plus excessifs et à les exhiber : « se passent », « fricasse », « la mer du

ridicule ». L'utilisation de l'italique permet de les mettre encore plus en valeur. Ces

citations de termes ou de phrases isolés dynamitent l'éloquence aurevillienne qui repose sur la concaténation, la surenchère, l'épanorthose. Le ton même qu'O. Audouard utilise pour citer J. Barbey d'Aurevilly contribue à disqualifier son discours, puisque ce ton est le pendant féminin du paternalisme, presque infantilisant : « c'était plus poli », « je comprends à la rigueur que vous n'ayez pu résister à la tentation d'inventer la mer du

ridicule, de m'en faire la Sapho ; mais n'auriez-vous pas pu trouver une phrase aussi naturelle et aussi élégante, tout en étant plus polie pour moi ! ». Outre ce ton

infantilisant, il faut sans doute voir de l'ironie dans la manière dont elle le renvoie à sa modernité, ce qui contredit son discours antimoderne : « d'un goût … bien moderne », « de mon temps, monsieur, on disait : ces dames vieillissent, mais non se passent ». J. Barbey d'Aurevilly et son discours sont des produits de leur époque, O. Audouard ne manque pas de le souligner.

Finalement, O. Audouard touche aussi à la relation de connivence que J. Barbey d'Aurevilly mettait en place avec son lectorat, connivence dont elle était exclue en tant que tiers. A ce J. Barbey d'Aurevilly qui se montre comme une figure d'autorité, qui maîtrise sa tribune et sa chronique, O. Audouard répond : « faites observer à la jeunesse actuelle... » et « encouragez les femmes à entrer dans la vie politique et littéraire, afin que leur présence introduise un peu d'urbanité dans les débats ». Elle se fonde sur sa posture tout en renversant le propos qu'il souhaite tenir à son lectorat. En effet, O.

Audouard, pour avoir lu les articles de son adversaire, ne peut ignorer la haine qu'il porte aux femmes qui sont dans la sphère publique. Il s'agit alors en réalité de le prendre dans les contradictions de son discours. Si lui et le lecteur de l'article adhèrent à la logique de la démonstration d'O. Audouard, ils ne peuvent qu'adhérer à sa conclusion. Elle appelle ainsi J. Barbey d'Aurevilly à prendre position et donc à montrer s'il est « conséquent », s'il est de bonne foi.

Dans ces premiers échanges, l'article de J. Barbey d'Aurevilly construit un ethos de connivence avec son lectorat, d'expertise, et un contre-ethos de vieille femme ridicule. O. Audouard répond sur ce contre-ethos et y substitue un ethos de vieille femme experte, modérée et logique, qui s'oppose à un contre-ethos d'immaturité et d'ignorance. Dès lors, comment peut répondre J. Barbey d'Aurevilly ? Continue-t-il à s'adresser à son lectorat et à parler d'O. Audouard à la troisième personne, ou consent-il à entrer dans le dialogue qu'elle lui propose ? Accepte-t-il la relation professorale qu'elle met en place ou cherche-t-il à la renverser ?

PARTIE III. SUITE DE LA POLÉMIQUE : REMANIEMENT

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