• Aucun résultat trouvé

Trois balises conceptuelles sont précisées dans le cadre de cette contribu-tion. D’abord, nous développons le concept d’alternance qui est au centre de notre questionnement. Ensuite, nous abordons la coévaluation en tant que dispositif qui la soutient. Nous terminons par clarifier le concept de ré-flexivité – un des enjeux de la coévaluation – en le contextualisant au stage en enseignement.

Un aller-retour entre les deux milieux de formation...vers quel type d’alternance ?

Dans le cadre de cette recherche, en référence à Villeneuve (1994), le stage est envisagé comme une période de formation pratique qui s’insère dans le cours d’un programme d’études et qui se réalise dans un milieu de travail

6. Les travaux du GRAPPE sont consultables via ce lien : https://greffe-formation.be/

7. Enseignant associé au Québec, praticien formateur dans le canton de Vaud, formateur de terrain à Genève ou encore maitre formateur en Valais.

préalablement choisi. Il s’agit d’une activité pédagogique structurée pou-vant prendre des formes variées au niveau des modalités ou des acteurs mobilisés (Gervais et Desrosiers, 2005).

Ainsi, le stage s’inscrit dans une logique d’alternance, entendue au sens d’espace de transition identitaire permettant à l’étudiant de faire évoluer son identité antérieure vers une identité en devenir (Kaddouri, 2008). Le stage, sous cette forme, permet au futur enseignant de questionner les ap-proches théoriques abordées à la HEP (Pentecouteau, 2012). Il est alors pos-sible, pour lui, de questionner l’écart entre ce qui est appris lors des activi-tés d’apprentissage à la HEP et la réalité du terrain professionnel.

Pentecouteau (2012) identifie trois types d’alternance : l’alternance de jux-taposition, l’alternance associative et l’alternance intégrative. Nitonde et Paquay (2011) relèvent, en plus, l’alternance de type application.

L’alternance de juxtaposition envisage la théorie et la pratique de façon indépendante, dans une logique de succession, sans liens explicites entre elles (Nitonde et Paquay, 2011).

Dans l’alternance de type application, le terrain sert à appliquer les apports théoriques reçus à la HEP, le tout s’inscrivant dans une relation linéaire uni-directionnelle (Nitonde et Paquay, 2011). Pour décrire ce type de fonction-nement, Malglaive (1990) évoque l’idée d’une « fausse alternance » et ques-tionne ainsi le manque de collaboration entre la HEP et le terrain profes-sionnel d’accueil (Pentecouteau, 2012). Le stage est alors un projet pensé et structuré uniquement par l’institut de formation ; il s’ajoute aux autres disci-plines dispensées à la HEP, seuls changent la forme et le lieu (Pentecouteau, 2012).

L’alternance associative est vue comme une alternative à la « fausse alter-nance » présentée supra. Elle est caractérisée par la contractualisation d’un réel partenariat entre les deux terrains de formation et nécessite la poursuite d’un objectif commun (Pentecouteau, 2012). L’ingénierie de formation est ainsi construite sur l’apparence d’une équité liée à ce partenariat entre la HEP et l’école de stage, et ce, malgré un partenariat éclaté lié à la singula-rité des contextes. Ce type d’alternance se construit principalement dans le suivi qu’offre l’institut de formation et moins par l’implication des terrains de stage.

L’alternance intégrative, aussi appelée « réelle » par Malglaive (1990), arti-cule la théorie et la pratique dans un rapport interactif pour permettre de travailler les expériences du terrain lors des activités d’apprentissage à la HEP et, inversement, de trouver un usage pratique aux apports de la HEP sur le terrain (Nitonde et Paquay, 2011 ; Pentecouteau, 2012). Ce type d’al-ternance nécessite un temps formatif présent dans les deux milieux, dans une logique d’interaction entre eux (Pentecouteau, 2012). Toujours selon cet auteur, une alternance intégrative rend possible un décloisonnement entre les savoirs théoriques et pratiques permettant ainsi d’accéder à un savoir professionnel que l’étudiant peut s’approprier, construire et transformer en compétences professionnelles.

Pentecouteau (2012) souligne qu’« entre ces différents types d’alternance juxtapositive, associative et intégrative, l’ingénierie de formation évolue sur trois dimensions » (p. 5). La première est l’idée que la formation doit s’orga-niser en d’autres lieux que la HEP. De nombreux programmes de formation se sont donc éloignés des modèles traditionnels qui commencent par trans-mettre de la théorie d’abord dans des activités proposées à la HEP, avant que l’étudiant ne puisse vivre des expériences sur le terrain (Goodnough et al., 2009). La deuxième dimension est relative à la collaboration qui s’installe entre les acteurs de la HEP et ceux du terrain permettant de renforcer un partenariat formatif entre ces deux milieux. La troisième touche l’étudiant qui trouve, dans l’alternance associative et encore plus dans l’intégrative, une place active dans sa formation. En effet, il devient ainsi partenaire et acteur de ses savoirs qui se développent à travers une interaction construc-tive, par exemple, en participant à l’entretien de coévaluation.

Par conséquent, la manière dont l’aller-retour entre les milieux de formation s’organise aura un impact sur la relation qui s’établit entre les cours et la pratique, favorisant, peu ou prou, leur articulation. En ce sens, la coévalua-tion serait un dispositif qui soutient l’alternance intégrative grâce aux liens qu’elle optimise avec le terrain et l’attention portée aux trois dimensions relevées par Pentecouteau (2012) : deux lieux de formation, une collabora-tion entre les acteurs et la place active de l’étudiant dans sa formacollabora-tion.

Du stage... à la coévaluation

Par son essence, le stage est un espace de transition favorisant cet aller-retour entre la HEP et le milieu scolaire (Correa Molina & Gervais, 2011) ; il sert ainsi de « catalyseur de la mise en relation des savoirs théoriques et pra-tiques lors de la réalisation de tâches authenpra-tiques » (Leroux, 2019, p. 106).

C’est une expérience d’apprentissage accompagnée visant l’acquisition des connaissances, habiletés et attitudes nécessaires à l’exercice de la profes-sion (Villeneuve & Moreau, 2010).

Leroux (2019) identifie les trois principaux acteurs qui y sont impliqués : les superviseurs issus de la HEP, l’étudiant et le maitre de stage. Ils s’inscrivent dans un modèle triadique, largement documenté dans la littérature (Allen et al., 2014 ; Boutet & Rousseau, 2002 ; Goodnough et al., 2009 ; Gouin & Hamel, 2019), mettant en évidence l’accompagnement offert à l’étudiant par ces deux acteurs issus de la HEP et du terrain d’accueil.

En ce qui concerne le superviseur, l’accompagnement qu’il offre à l’étu-diant se structure autour de différentes étapes qui ont lieu avant, pendant et après le stage. Gervais et Desrosiers (2005) expliquent que ces moments peuvent être « l’animation de séminaires, des visites en milieu scolaire (dont le nombre s’accroit habituellement en cours de scolarité), le suivi d’un car-net de stage, la coévaluation et l’attribution de la note » (p. 22).

Dès lors, la coévaluation est à envisager comme un processus d’évaluation partagée (Deeley, 2014 ; Jorro & Van Nieuwenhoven, 2019) permettant à l’étudiant de confronter son autoévaluation à celles de ses accompagnateurs

(Allal, 1999 ; Minder, 1999). L’étudiant occupe donc un rôle central dans son évaluation (Colognesi & Van Nieuwenhoven, 2017) tout en laissant les for-mateurs à la manœuvre du jugement final (Dochy et al., 1999).

La finalité de l’entretien de coévaluation peut varier d’un contexte à l’autre, d’une HEP à l’autre mais aussi d’un stage à l’autre. Dans une visée forma-tive, celle-ci permet à l’étudiant, d’améliorer, de réguler son action en vue du stage suivant, en se basant sur l’identification de ce qui est ou n’est pas acquis à un moment donné (De Ketele, 2010). Dans une visée certificative, elle aboutit à la validation sociale (e.a. devant les autorités institutionnelles) des effets de l’action menée par l’étudiant durant son stage. Toutefois, les résultats de la recherche menée par Colognesi et Van Nieuwenhoven (2017) mettent en évidence que, malgré une visée et des balises institutionnelles définies, la perception qu’ont les superviseurs de la finalité de ce temps d’évaluation partagée peut être fort différente d’un superviseur à l’autre. En effet, cette étude a montré que des superviseurs d’une même HEP, évaluant un même stage, dans un contexte identique, envisagent soit la coévalua-tion comme un temps d’échanges, de formacoévalua-tion ou encore de vérificacoévalua-tion.

Une autre étude (Jorro & Van Nieuwenhoven, 2019) a montré des constats similaires : des superviseurs d’une autre HEP, interrogés sur le processus de coévaluation, en ont des visions différentes. Certains l’envisagent dans sa dimension formative (en utilisant, pour le décrire, des verbes comme « pro-jeter », « planifier »), d’autres sont centrés sur la dimension certificative (avec un verbe comme « trancher »), et d’autres encore - la majorité - se situent à mi-chemin entre ces deux dimensions (avec des verbes comme « écou-ter » ou « accueillir »). En somme, ces résultats montrent que, même dans un contexte balisé par une commande institutionnelle (visée formative ou certificative), une tension existe entre les différentes perceptions qu’ont les superviseurs et la finalité de la coévaluation.

En lien avec la définition présentée ci-dessus, nous identifions la prise de décision finale comme un moment charnière de la coévaluation, permettant d’arriver à des pistes de régulation et/ou une note. Partant, il parait néces-saire de préciser les démarches qui constituent le processus évaluatif per-mettant de dégager cette prise de décision finale. En référence à une série de travaux (entre autres Allal, 2008 ; De Ketele, 2010 ; Maes et al., 2019), nous envisageons le processus évaluatif autour de quatre démarches : la prise d’informations de nature et de source différentes ; l’interprétation de celles-ci à la lumière de différents référentiels et de la singularité du contexte ; la prise d’une décision cohérente avec la fonction visée par l’entretien de coé-valuation (formative ou certificative) et prenant en compte les conséquences pour l’étudiant et la communication de celle-ci à l’étudiant.

La coévaluation : un tremplin pour le développement de la réflexivité ? Mercier-Brunel et Jorro (2009) expliquent qu’il est compliqué pour les su-perviseurs de formuler aux stagiaires des rétroactions permettant, dans une interaction formative, de déclencher chez eux une prise de conscience.

L’enjeu est alors de promouvoir la réflexivité afin que l’interaction entre les

acteurs ne se limite pas à des conseils formulés par le superviseur à desti-nation de l’étudiant ou des démonstrations d’expertise ne laissant pas aux étudiants la possibilité de se développer (Jorro & Van Nieuwenhoven, 2019).

Sur ce plan, Villeneuve (1994) soutenait déjà que la supervision est « un pro-cessus continu d’échanges qui permettent l’élaboration d’une analyse ré-flexive sur un objet de travail. Elle contribue au développement de la com-pétence professionnelle » (p. 27). La dimension réflexive se trouve au cœur des compétences professionnelles et est centrale tant pour l’accompagné que pour l’accompagnateur (Charlier & Biémar, 2012). Cela nécessite donc que l’étudiant adopte une posture de réflexivité quasi permanente (Perre-noud, 2012). Charlier et Biémar (2012) soulignent que cet accompagnement à l’analyse des pratiques est une compétence-clé pour le superviseur. Afin d’accompagner l’étudiant dans le développement de cette réflexivité, il est amené à être un compagnon réflexif ; c’est-à-dire le professionnel qui, en interaction avec l’étudiant, induit la réflexivité au sujet de la pratique (Don-nay & Charlier, 2008).

Pour Perrenoud (2012), « former de bons débutants, c’est justement former d’emblée des gens capables d’évoluer, d’apprendre au gré de l’expérience, en réfléchissant sur ce qu’ils voulaient faire, sur ce qu’ils ont réellement fait, sur ce que ça a donné » (p. 18), ce qui, pour Perez-Roux (2012), conduit à admettre les écarts existant entre le travail prescrit et le travail réel. Tou-jours selon cette auteure, afin de développer les compétences profession-nelles attendues, l’étudiant va mobiliser des savoirs de types différents. En effet, en lien avec les savoirs théoriques, apparaissent également des sa-voirs dans l’action (construits dans la pratique, lors du stage), des sasa-voirs sur l’action (en lien avec une analyse réflexive mené après l’action) et, enfin, des savoirs pour l’action (visant à réguler l’action). Ce qui conduit l’étudiant à adopter une posture de praticien réflexif (Paquay & Wagner, 2001 ; Schön, 1983 ; Vacher, 2011) qui réfléchit volontairement sur ses pratiques et met en perspective sa propre activité professionnelle afin de les améliorer (Carnus

& Mias, 2014 ; Perez-Roux, 2012).