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Axiomes de continuité de Hilbert

1 Formalisation des axiomes de continuité

1.2 Axiomes de continuité de Hilbert

Dans cette partie, nous allons décrire notre formalisation des axiomes de continuité de Hil- bert tels qu’ils sont présentés dans les dernières éditions des Fondements de la Géométrie [Hil77]. 1.2.1 Axiome d’Archimède

Le premier axiome de continuité utilisé par Hilbert est l’axiome d’Archimède7(fig.2).

V-1 : Axiome d’Archimède Si AB et CD sont deux segments quelconques, il existe un nombre entier n tel que le report du segment AB répété n fois à partir de C sur la demi-droite déterminée par D, conduit à un point situé au-delà de D8.

En d’autres termes, étant donnés deux segments AB et CD avec A distinct de B, il existe un entier n et n + 1 points A0,· · · , Ande la droite CD, tels que Aj se situe entre Aj−1et Aj+1

pour 0 < j < n, AjAj+1 et AB ont même longueur pour 0 ≤ j < n, A0= Cet D se situe entre

A0 et An. Sur la figure2, l’entier n est égal à 4.

A B C D A1 A2 A3 A4 A B C D A1 A 2 A3 A4

Figure 2 – Axiome d’Archimède

On dira qu’un espace géométrique est archimédien s’il vérifie l’axiome d’Archimède. Cet axiome peut être dérivé de A11, mais pas de A011, car il s’agit d’une propriété du deuxième

ordre.

En nous inspirant du travail de Jean Duprat [Dup10], nous avons défini l’axiome d’Archimède de façon inductive, sans introduire explicitement les entiers naturels. Pour cela, nous avons d’abord traduit le fait “il existe un entier n et n + 1 points A0,· · · , An de la droite AB, tels

que Aj se situe entre Aj−1 et Aj+1 pour 0 < j < n, AjAj+1 et AB ont même longueur pour

0≤ j < n, A0= Aet An = C” par le prédicat Grad : Grad A B C signifie que C appartient à

la demi-droite [AB et que la distance AC est un multiple de la distance AB.

Inductive Grad : Tpoint -> Tpoint -> Tpoint -> Prop := | grad_init : forall A B, Grad A B B

| grad_stab : forall A B C C’, Grad A B C ->

Bet A C C’ -> Cong A B C C’ -> Grad A B C’.

7. L’axiome d’Archimède était le seul axiome de continuité présent dans la première édition des Fondements de la Géométrie.

8. Par souci de cohérence avec notre développement Coq, nous avons interverti les rôles de AB et CD par rapport à la formulation de Hilbert dans [Hil77].

Axiomes de Continuité en Géométrie Neutre : une Étude Mécanisée en Coq Gries, Narboux et Boutry

Definition Reach A B C D := exists B’, Grad A B B’ /\ Le C D A B’.

Grad A B B’ indique que B0 fait partie de la graduation basée sur le segment AB. La

notation Reach A B C D signale donc que le segment CD est inférieur ou égal à un segment de la forme A0An basé sur le segment AB, c’est-à-dire qu’il existe un point E tel que CE est

congru à n copies de AB et que D est entre C et E. Nous pouvons donc en dériver une définition de l’axiome d’Archimède :

Definition archimedes_axiom := forall A B C D, A <> B -> Reach A B C D.

Notons que nous avons précédemment étudié une propriété analogue portant sur les angles, à savoir que tout angle aigu non nul peut être ajouté à lui-même jusqu’à obtenir un angle obtus. En nous inspirant de la démonstration présentée par Hartshorne [Har00], nous avons formalisé la preuve que cette propriété était une conséquence de l’axiome d’Archimède. Cependant, comme nous n’avons pas pu la relier à un autre axiome de continuité, nous n’en donnerons pas ici une définition formelle, qui nécessiterait d’introduire les notions nécessaires à la somme d’angles9,

ainsi que la variante du prédicat Grad associée. 1.2.2 Axiomes d’intégrité de Hilbert

Dans la première édition des Fondements de la géométrie [Hil99], l’axiome d’Archimède est le seul axiome de continuité. De la deuxième édition à la sixième édition, il introduit également l’axiome d’intégrité10, qui n’est pas utilisé dans le développement si ce n’est pour des considé-

rations métamathématiques. Dans la septième édition, suite à une remarque de Paul Bernays, l’axiome d’intégrité est remplacé par l’axiome d’intégrité linéaire, qui implique l’axiome d’inté- grité.

L’axiome d’intégrité peut paraître déroutant au premier abord. En effet, cet axiome est une propriété à propos des modèles des autres axiomes :

Axiome d’intégrité Les éléments de la géométrie (les points, les droites et les plans) constituent un ensemble qui n’est susceptible d’aucune extension si les axiomes d’appar- tenance, d’ordre, de congruence et l’axiome d’Archimède sont conservés.

Nous avons interprété cette définition en considérant qu’un modèle M des axiomes de la géométrie respecte l’axiome d’intégrité s’il n’existe aucune fonction f de M dans un modèle archimédien M0 vérifiant les trois propriétés suivantes :

— f préserve les propriétés géométriques (ici l’interposition et la congruence) ; — f est injective (f envoie deux points distincts sur deux images distinctes) ; — f n’est pas surjective (certains points de M0 sont inaccessibles par f).

Une autre façon de le formuler est que sous l’axiome d’intégrité, toute fonction injective vers un modèle archimédien et préservant les propriétés géométriques est également surjective, ce qui fait de f un isomorphisme. Ainsi, les isométries sont des isomorphismes. On peut considérer les isomorphismes comme des extensions non propres, et qualifier de propres les extensions non surjectives.

9. Nous avons précédemment présenté en français notre définition formelle de la somme d’angles [GBN16]. 10. En allemand, le terme de complétude (Vollständigkeit) est utilisé pour décrire cet axiome. Richard Baldus a fait remarquer que la complétude obtenue n’est pas à comprendre au sens métathéorique. En effet, l’axiome des parallèles n’est pas mentionné dans l’axiome d’intégrité, la théorie n’est donc pas complète puisque l’axiome des parallèles est indépendant des axiomes considérés [Bal28].

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Remarquons que notre formalisation de l’axiome fait référence aux axiomes A1–A8de Tarski

en lieu et place des groupes d’axiomes d’appartenance (I), d’ordre (II) et de congruence (III) de Hilbert. Ce choix est motivé par souci de cohérence avec le reste de la bibliothèque GeoCoq mais n’a pas d’impact, puisque nous avons déjà formalisé la preuve que les systèmes d’axiomes en question sont mutuellement interprétables [BN12,BBN16].

Eduardo Giovannini a établi que Hilbert était familier avec l’axiome de continuité de Dede- kind A11. Hilbert aurait choisi l’axiome d’intégrité parce d’une part il n’implique pas l’axiome

d’Archimède (tandis que la conjonction de l’axiome d’intégrité et de celui d’Archimède carac- térise les espaces complets) et d’autre part, Hilbert n’aurait pas souhaité utiliser l’axiome de Cantor dont l’énoncé repose sur le concept de suite qui n’est pas purement géométrique [Gio13]. Nous avons pu formaliser la preuve que la négation de l’axiome d’Archimède implique l’axiome d’intégrité : un modèle non-archimédien ne peut disposer d’une extension (propre ou non propre) vers un modèle archimédien. À l’opposé, tout modèle (archimédien ou non) peut être muni d’une extension propre vers un modèle non-archimédien [Hil77] ; omettre l’axiome d’Archimède dans l’énoncé de l’axiome d’intégrité aboutit donc à un énoncé contradictoire. Le rôle de cet axiome et sa relation avec celui d’Archimède ont été analysés par Philip Ehr- lich [Ehr97].

Dans [Hil77], les espaces géométriques sont supposés être de dimension 3, même s’il est possible de modifier les axiomes pour travailler sur le plan ou en dimension quelconque. Cette formulation de l’axiome d’intégrité suppose donc implicitement que les deux modèles concer- nés sont de même dimension finie (en l’occurrence 3). Cette propriété est fondamentale pour l’intégrité de cet axiome : si on oublie cette hypothèse, on obtient un axiome contradictoire avec les espaces archimédiens. Ainsi, tout espace archimédien M0 de dimension 3 dispose d’un

infinité de sous-espaces M de dimension 2, pour lesquels l’inclusion de M dans M0 est une

extension propre. Ne disposant pas d’un prédicat pour exprimer le fait pour deux espaces d’être de même dimension finie, nous avons formalisé deux versions de cette axiome convenant res- pectivement aux espaces de dimension 2 et 3 : elles consistent à affirmer que toute extension vers un espace respectivement de dimension 2 ou 3 est non propre11.

Definition inj {T1 T2:Type} (f:T1->T2) := forall A B, f A = f B -> A = B.

Definition pres_bet {Tm: Tarski_neutral_dimensionless} (f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm) := forall A B C, Bet A B C -> Bet (f A) (f B) (f C).

Definition pres_cong {Tm: Tarski_neutral_dimensionless}

(f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm) := forall A B C D, Cong A B C D -> Cong (f A) (f B) (f C) (f D).

Definition extension {Tm: Tarski_neutral_dimensionless}

(f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm) := inj f /\ pres_bet f /\ pres_cong f. Definition completeness_for_planes := forall

(Tm: Tarski_neutral_dimensionless) (Tm2 : Tarski_neutral_dimensionless_with_decidable_point_equality Tm) (M : Tarski_2D Tm2) (f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm), @archimedes_axiom Tm -> extension f ->

11. Dans notre développement, Tn désigne le contexte courant, à savoir les axiomes de Tarski pour la géométrie neutre.

Axiomes de Continuité en Géométrie Neutre : une Étude Mécanisée en Coq Gries, Narboux et Boutry forall A, exists B, f B = A.

Definition completeness_for_3d_spaces := forall (Tm: Tarski_neutral_dimensionless) (Tm2 : Tarski_neutral_dimensionless_with_decidable_point_equality Tm) (M : Tarski_3D Tm2) (f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm), @archimedes_axiom Tm -> extension f -> forall A, exists B, f B = A.

Considérons maintenant l’axiome d’intégrité linéaire :

V-2 : Axiome d’intégrité linéaire L’ensemble des points d’une droite, soumis aux rela- tions d’ordre et de congruence, n’est susceptible d’aucune extension dans laquelle sont valables les relations précédentes et les propriétés fondamentales d’ordre linéaire et de congruence déduites des axiomes I–III et de l’axiome V-1 (axiome d’Archimède). Remarquons que dans la septième édition des Fondements de la Géométrie, Hilbert donne une variante de cet axiome avec une liste plus restreinte des propriétés fondamentales va- lables dans l’extension. Werner Weber a montré que cette variante était contradictoire [Web38]. L’usage de la preuve formelle peut permettre d’éviter ce genre de désagrément.

Ce nouvel axiome présente l’avantage de ne nécessiter aucune hypothèse sur la dimension des espaces géométriques. En effet, il ne s’agit plus d’étudier les extensions de l’espace M lui-même, mais des droites de M ; pour satisfaire l’axiome d’intégrité linéaire, il suffit alors de vérifier que toute extension f d’une droite quelconque P Q couvre l’ensemble de la droite f(P )f(Q), ce qui ne dépend pas de la dimension de l’espace archimédien M0 dans lequel elle se trouve.

Nous avons donc pu formaliser cet axiome sans peine, après avoir défini le fait pour f d’être une extension de la droite P Q :

Definition inj_line {T:Type} (f:Tpoint->T) P Q := forall A B, Col P Q A -> Col P Q B -> f A = f B -> A = B.

Definition pres_bet_line {Tm: Tarski_neutral_dimensionless} (f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm) P Q := forall A B C, Col P Q A -> Col P Q B -> Col P Q C ->

Bet A B C -> Bet (f A) (f B) (f C).

Definition pres_cong_line {Tm: Tarski_neutral_dimensionless} (f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm) P Q := forall A B C D, Col P Q A -> Col P Q B -> Col P Q C -> Col P Q D -> Cong A B C D -> Cong (f A) (f B) (f C) (f D).

Definition line_extension {Tm: Tarski_neutral_dimensionless} f P Q := P <> Q /\ inj_line f P Q /\ pres_bet_line f P Q /\ pres_cong_line f P Q. Definition line_completeness := forall

(Tm: Tarski_neutral_dimensionless)

(Tm2 : Tarski_neutral_dimensionless_with_decidable_point_equality Tm) P Q (f : @Tpoint Tn -> @Tpoint Tm),

@archimedes_axiom Tm -> line_extension f P Q ->

forall A, Col (f P) (f Q) A -> exists B, Col P Q B /\ f B = A.

La démonstration de Paul Bernays prouve que l’axiome d’intégrité linéaire implique l’axiome d’intégrité dans les espaces de dimension 3. En plus de la formaliser, nous avons pu l’adapter pour les espaces de dimension 2.

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