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Un avenir incertain pour les Créoles dans l’île Maurice en plein bouleversements

La décennie 1950 et le début des années 1960 sont marqués par des évolutions majeures qui affectent la population mauricienne et particulièrement les Créoles. La période de l’après-guerre modifie considérablement la société mauricienne, en l’ouvrant plus sur le monde mais aussi en introduisant une cruciale transition démographique. Malgré un timide redémarrage de l’économie sucrière, l’île est encore dans une situation précaire, le chômage y touche encore un grand nombre de travailleurs. À cela, vient s’ajouter une série de graves cyclones qui ravagent Maurice. Cependant, malgré ces difficultés, les Créoles paraissent vivre encore en bonne harmonie avec les autres Mauriciens, particulièrement dans certains quartiers multiethniques de la capitale.

Mutations sociétales et difficultés dans l’après-guerre

Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale sont marqués par des changements importants mais aussi par la persistance de certains phénomènes socio-économiques. L’île Maurice aborde le milieu du XXe siècle avec une déterminante et brève transition

démographique372. Ceci impacte beaucoup son devenir alors que l’économie est encore fragile

et qu’elle doit faire face à une criminalité en hausse. Alors que l’île s’apprête à amorcer sa marche vers l’indépendance, le Colonial Office n’est pas certain de sa viabilité sur le plan économique, une fois qu’elle aurait acquis son autonomie. L’historien mauricien Jocelyn Chan Low va jusqu’à lier la position britannique à « un profond pessimisme »373.

372 Koodoruth Ibrahim, « La baisse du taux de natalité dans les années soixante à l’île Maurice : une analyse sociologique », in Revue historique des Mascareignes, « Les Années soixante dans le Sud-Ouest de L’Océan Indien », 4ème année – n°4, 2002, p.233

373 Chan Low Jocelyn, « L’île Maurice dans les années soixante un survol. », in Revue historique des

La transition démographique

Environ 400.000 dans les années 1930, les Mauriciens sont 538.918 en 1954374. Soit

une croissance de 26% en vingt ans et qui se poursuit toujours dans la seconde moitié du XXe

siècle.

Le conflit mondial suscite à Maurice un certain nombre d’innovations techniques et d’améliorations nécessités par l’effort de guerre. Elles concernent les infrastructures de transport avec le développement du réseau routier et la création de l’aéroport de Plaisance.

Document 35 : Cliché de l’aéroport de Plaisance, décembre 1952375

Le cliché ci-dessus représente l’aéroport de Plaisance/Rose Belle (aujourd’hui l’aéroport international S. Ramgoolam), dans le Sud de l’île à proximité de Mahébourg. Une foule, plutôt composée de franco-mauriciens, si l’on se fie à la tenue, attend sans doute l’arrivée ou le départ d’un appareil. Les installations sont encore très rudimentaires au début des années 1950 (les gens patientent sur le toit) et ce nouveau système de transport ne doit encore

374 Advance, 14 septembre 1955. 375 C.f. : Vintage Mauritius

concerner que de petites élites ou des administrateurs en déplacement. L’aéroport va insérer Maurice dans le nouveau réseau mondialisé de transports qui se met en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale376. L’aéroport devient une porte d’entrée au pays au terme de

trajets plus rapides que ceux des navires transocéaniques qui desservaient l’île jusque-là. Maurice devient plus accessible, tout au moins pour ceux qui en ont les moyens et, en tout cas, les relations avec Londres en seront facilitées à un moment où s’y décide le sort de la colonie. Dans les années 1960, Plaisance est le cadre incontournable des retours de délégations officielles parties négocier les accords devant conduire à l’Indépendance. Des clichés immortalisent ces retours en grande pompe. Ci-dessous, au milieu de délégués et sans doute de notables venus les accueillir, le leader travailliste S. Ramgoolam. Il est paré d’un collier de fleurs offert peut-être par la jeune fille tout en blanc au premier plan à gauche. La délégation revient des déterminantes et fructueuses négociations londoniennes de 1961, étudiées dans notre chapitre 8.

Document 36 : Photographie du retour du Docteur Ramgoolam, suite à la première conférence constitutionnelle en tenue à Londres le 26 juin 1961377

376 Toussaint Auguste, Histoire des Iles Mascareignes, Paris, Berger-Levrault, 1972, p.289 377 C.f. :Mauritius Telecom, Maurice images d’un siècle, éditions Vizavi, Port-Louis, 1999.

Le parc automobile en général et surtout le réseau de bus s’accroissent aussi considérablement. Plus pratique et moins onéreux que le train qu’il supplante dès les années 1950 (le dernier trajet ferroviaire Curepipe/Port-Louis date de 1956), le bus facilite les connexions à l’intérieur de l’île et permet à de nombreux Mauriciens vivant dans les campagnes de venir dans les villes, pour travailler ou faire des achats. Cette circulation développe les contacts entre les communautés. La vue de la station de bus de Victoria, au cœur de Port-Louis, à proximité des Casernes Centrales, de la place d’armes et du front de mer, donne une idée de l’importance de ce mode de transport. Ici des bus de la Rose-Hill Transport. Les parcs de stationnement des bus sont toujours d’importants lieux d’échanges. Des magasins donnent sur la place (ici au rez-de-chaussée du bâtiment à droite) et, généralement, des petits commerces s’y créent de façon spontanée ; des marchands ambulants, principalement de victuailles y circulent (on en voit un sur la photo). Des gens de différentes conditions sociales empruntent ces grands cars ou, tout au moins, se côtoient au stationnement, comme le suggèrent les personnes que l’on voit sur la photo. On a des hommes en costume, d’autres en chemise, tête nue ou avec un casque. Au second plan, le marchand ambulant pieds nus et une femme, d’un milieu plutôt modeste, un enfant dans les bras. De nos jours encore, les cars sont à Maurice un moyen de transport très pratique.

Document 37 : Photographie de Victoria Bus Station, Port-Louis, 1967378

Surtout, une véritable politique de santé est mise en place. Elle consiste notamment en de vastes campagnes de vaccinations qui entraînent une baisse du taux de mortalité379.

L’élimination de moustiques dans le cadre de la lutte contre le paludisme est également déterminante380. Cela se fait par l’épandage d’insecticides dans les zones humides et

l’utilisation de nouveaux médicaments développés pendant la guerre. Il en découle une réduction significative des décès dus à l’endémie palustre qui affectait la colonie depuis le milieu du XVIIIe siècle, causant environ 3.000 décès par an381. La mortalité infantile passe de

15,5% en 1944 à 6,9% en 1968382. En 1942, l’espérance de vie d’un Mauricien était de 33

ans ; en 1962 elle est passée à 59 ans383. La démographie de l’île repart à la hausse grâce à un

véritable baby-boom dans les années d’après-guerre, avec la diminution de la mortalité infantile. La majorité des personnes que j’ai interviewées, d’âge mûr aujourd’hui, sont issues de cette classe d’âge.

Cependant, il faut juguler cette envolée démographique dangereuse, au vu de l’exiguïté du territoire384. La densité s’élève à 455 habitants/km² en 1960385. La terre disponible (pour

l’agriculture et les logements) ne suffit déjà plus et l’île, comme nous l’avons déjà vu durant la guerre, n’arrive pas à subvenir elle-même à son ravitaillement. Rapidement, les autorités essayent d’intervenir. Une politique de régulation des naissances se met en place, avec notamment la création d’organismes de plannings familiaux et la promotion de la méthode Ogino dans les années 1960386. Sa réussite sera en demi-teinte ; en effet, du fait de certains

blocages culturels et religieux, elle a des résultats essentiellement sur la majorité hindoue387.

Sa portée est plus limitée dans les milieux musulmans et créoles, dont les représentants à l’assemblée vont en être les principaux détracteurs388.

379 Advance, 4 mars 1958.

380 Wickman Stephen, Indian Ocean five island countries, Washington, Foreign area Studies, The American University Edited by Frederica M. Bunge, 1982, p.138

381 Chan Low Jocelyn, « L’île Maurice dans les années soixante un survol. », in Revue historique des

Mascareignes, « Les Années soixante dans le Sud-Ouest de L’Océan Indien », 4ème année – n°4, 2002, p.8

382 J.H., « La population de l’île Maurice », in : Population, 27ème année, n°1, 1972, p.127

383 L’Express, 22 février, 1965.

384 Smith Simmons Adele, Modern Mauritius : The politic of decolonisation, Bloomington, Indiana University Press, 1982, p.146

385 J.H., « La population de l’île Maurice », in : Population, 27ème année, n°1, 1972, p.127

386 Le Cernéen, 26 avril 1961.

387 Lehembre Bernard, L’Ile Maurice, Paris, Karthala, 1984, p.130 388 Le Cernéen, 20 avril 1961.

Un contexte économique qui reste fragile

Le problème majeur de Maurice dans les années 1950 est en rapport avec l’économie. La monoculture de la canne reste la première source de devises ; « l’industrie sucrière est l’épine dorsale de l’économie mauricienne »389. Certes, la guerre a relancé les commandes et,

après le conflit, l’argent continue d’affluer. Mais cela ne dure que le temps de la remise en marche de l’industrie betteravière dans l’Europe en reconstruction. Dès les années 1950, le sucre de canne, redevenu trop cher, s’exporte moins bien et l’économie mauricienne connaît une certaine atonie390. La colonie est souvent citée comme un cas extrême de cette hyper

spécialisation sucrière à risques (un tiers du PIB et 99% des exportations)391. En 1963, l’île

exporte pour 407 millions de rupees ; en 1965, les exportations sont évaluées à 260 millions de rupees, presque moitié moins392. Maurice n’arrive pas à sortir du carcan de l’économie

sucrière, le seul moteur de sa croissance. Le PNB par habitant va chuter durant la décennie 1950 avant de remonter doucement à la fin des années 1960 393: il est de 192 dollars en 1952,

de 153 dollars en 1960 et de 188 dollars en 1968394. Tout au long de cette période, le

gouvernement travailliste tente néanmoins de combattre la pauvreté par de multiples mesures sociales. Santé et instruction primaire deviennent gratuites et des allocations pour les familles de plus de quatre enfants sont instituées395. Mais les forces de cet État-providence naissant

sont encore balbutiantes et les répercussions des mesures dans les milieux populaires limitées. L’une des premières conséquences majeures est la persistance du chômage : 15% de la population active est au chômage en 1958, 17% en 1959396. Ce sont les Tit’s Créoles port-

louisiens qui sont les plus affectés. On relèverait 25 % de chômeurs dans la capitale, soit 7.887 personnes sans emploi397. Sur le plan national, le chômage frappe aussi les travailleurs

agricoles indiens (28%) et les ouvriers des diverses industries, principalement des Créoles (18,6%). Le secteur des services qui embauche beaucoup d’employés issus du groupe créole est également concerné (environ 8% de chômeurs). Parallèlement avec le boom démographique, 5.000 jeunes Mauriciens arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Ce

389 Le Cernéen, 28 juillet 1960. 390 L’Express, 22 janvier 1965.

391 Hein Philippe, L’économie de l’île Maurice, L’Harmattan, Paris, 1996. p.19 392 L’Express, 23 novembre 1965.

393 J.H., « La population de l’île Maurice », in : Population, 27ème année, n°1, 1972, p.128

394 À titre de comparaison, en France le PNB par habitant sur la même période est d’environ 10.000 dollars, c’est 65 fois plus élevé que dans ce territoire insulaire. L’Ile Maurice est bel et bien une terre colonisée du Sud, non développée, malgré le train de vie opulent de son élite occidentalisée.

395 Chan Low Jocelyn, « L’île Maurice dans les années soixante un survol. », in Revue historique des

Mascareignes, « Les Années soixante dans le Sud-Ouest de L’Océan Indien », 4ème année – n°4, 2002, p.14

396 Le Cernéen, 3 octobre 1959. 397 La Vie Catholique, 5 octobre 1958.

sont eux qui ont le plus de difficultés à trouver du travail398. Leur manque d’instruction et de

formation freine d’ailleurs une éventuelle reconversion de l’économie vers le secteur secondaire. La situation du chômage révèle toujours une dichotomie dans une île où l’on manque de bras sur les plantations alors que les villes concentrent la majorité des sans- emplois. D’ailleurs, en 1959, 43% des chômeurs déclarent refuser de travailler dans l’agriculture399. On peut penser que nombre de salariés ne supportent plus les difficiles

conditions d’embauche sur ces exploitations, préférant attendre la reprise de l’économie dans les cités (pour les Créoles) ou cultiver des lopins de terre personnels (pour les Indiens).

Le plus grand nombre de Mauriciens vivent dans la pauvreté et le manque d’accès aux besoins de base (électricité, eau potable, logement décent, etc.). Même si, toutes communautés confondues, les bourgeoisies ont su profiter de la guerre et de la petite envolée des prix du sucre dans l’après-guerre pour asseoir leur aisance, la majorité de la population reste « en marge de la prospérité »400. Dans les milieux populaires, les familles ont beaucoup

plus d’enfants, vu le recul de la mortalité infantile. Mais elles n’arrivent pas toujours à les nourrir décemment. Elles continuent de vivre dans des logements insalubres. L’accès aux services essentiels (soins, enseignement, eau) fait grandement défaut. Et la mendicité est toujours très présente dans les rues des principales villes401. Comme durant la crise

économique des années 1930, des gens meurent de faim dans les rues de la capitale402.

Dès 1958, période de tournants politiques majeurs, le tout jeune et nouveau politicien créole, fraîchement revenu d’Europe, Gaëtan Duval, dénonce dans la presse la vie chère qui fragilise les plus humbles : retraités, veuves et orphelins403. Les personnes que j’ai interrogé

ont évoqué des difficultés de la vie au quotidien dans les villes. Cette précarité sévit dans les quartiers populaires port-louisiens des Salines (Jérôme Boulle, Jean Déodat et Marcel Poinen) et de Roche-Bois (Lindsay Morvan). Lindsay Morvan m’explique ainsi, qu’au début des années 1960, son père peut seulement acheter un roti (simple petite galette garnie d’une purée de légume) à chacun de ses enfants pour le déjeuner404. Jean Déodat me confie que ses parents

arrivent tout juste à lui payer les frais de scolarité et qu’ils doivent faire des « sacrifices » (l’école n’est pas alors entièrement gratuite)405. En zone rurale, la vie est tout aussi difficile

398 L’Express, 12 janvier 1965.

399 J.H., « La population de l’île Maurice », in : Population, 27ème année, n°1, 1972, p.128

400 Piat Maurice, La justice sociale moteur du développement, Ile Maurice, Lettre pastorale carême 1992, Diocèse de Port-Louis, 1992, p.7

401 Le Cernéen, 21 mars 1958. 402 La Vie Catholique, 13 juin 1954. 403 Le Cernéen, 26 mars 1958.

404 C.f. : Annexes, entretiens : Lindsay Morvan. 405 C.f. : Annexes, entretiens : Jean Déodat.

pour les Créoles ; les familles de pêcheurs semblent les plus touchées par le dénuement406.

Leur pêche est très artisanale et dépend de multiples facteurs variables tels que la météo ou les stocks pélagiques du moment. Ils y sont pourtant attachés depuis la période de l’affranchissement, la pêche offrant une activité perçue comme associée à une certaine liberté et autosuffisance, sans attaches avec le monde la plantation407. Pour nombre d’observateurs,

les classes sociales les plus humbles arrivent tout juste à se maintenir au niveau du minimum vital au cours de cette période408. Des assistantes sociales allemandes, en mission dans l’île,

donnent des descriptions frappantes du public en détresse qu’elles côtoient, notamment des familles de Bambous et de Pointes aux Piments (localités de l’Ouest et du Nord habitées essentiellement par des Créoles) vivant, selon elles, dans « la plus grande misère »409.

L’endettement des familles chrétiennes, créoles des classes populaires et moyennes, est encore bien récurrent, nuisant à la stabilité des foyers410. La Vie Catholique du 16 février 1964 offre

une bonne description de la génération de Créoles d’après guerre qui continue à vivre chichement. Nous pouvons citer en exemple, le cas d’une famille créole, considérée comme pauvre, évoqué par des membres d’une paroisse de Curepipe, bénévoles associatifs de leur église411:

« Origine du foyer : rurale, mais l’époux travaille en usine. Milieu familial très rustre, aussi bien chez l’un que chez l’autre. La femme est en outre, l’aînée de douze enfants. Niveau d’instruction tout à fait élémentaire. Ils sont catholiques et pratiquent régulièrement. Depuis leur mariage, ces époux vivent dans deux pièces proprement tenues mais très inconfortables

(pas d’eau) et très mal aérés (fenêtres minuscules) ».

Ce cas offre un exemple plutôt positif de la moyenne des conditions de vie des Tit’s Créoles, tout du moins pour les urbains. Il entre bien en résonance avec d’autres informations parcellaires que l’on peut trouver dans les sources écrites sur cette thématique. Ce couple peut être rattaché à la petite classe moyenne (cette fraction supérieure du groupe Tit’s Créole) : le mari est salarié en usine et les époux ont une petite maison proprette, bien tenue (par la

406 Piat Maurice, La justice sociale moteur du développement, Ile Maurice, Lettre pastorale carême 1992, Diocèse de Port-Louis, 1992, p.13

407 Gerbeau Hubert, La communauté créole de l’Ile Maurice un combat pour l’histoire, l’histoire d’un combat, in Annuaire des pays de l’Océan Indien, n°XV, 1997-98, Aix en Provence, Presse Universitaires d’Aix- Marseille, 1999, p.182

408 Piat Maurice, La justice sociale moteur du développement, Ile Maurice, Lettre pastorale carême 1992, Diocèse de Port-Louis, 1992, p.39.

409 L’Express, 6 août 1965.

410 La Vie Catholique, 21 février, 1960. 411 La Vie Catholique, 16 février 1964.

femme qui, bien sûr, n’est pas aidée par un personnel de service). Il est précisé que ces gens étaient auparavant des ruraux, issus de familles nombreuses. Peu instruits, ils étaient venus à la ville où ils paraissent avoir connu une petite ascension sociale. Néanmoins, leurs conditions de vie spartiate, sans confort dans un deux pièces et leur faible niveau d’instruction montrent la barrière qui les sépare de la bourgeoisie de couleur. En étant plus instruits, les enfants de ces nouveaux citadins peuvent espérer, à leur tour, une ascension sociale, en entrant par exemple dans la fonction publique ou en exerçant une profession libérale. Néanmoins, comme c’est le cas ici, une crise économique ou un accident de la vie (chômage, décès, etc.) peut les ramener à l’échelon inférieur du groupe, les exposant à une plus grande précarité ou, tout du moins, créer des problèmes difficiles à résoudre dans leur vie quotidienne.

À la Réunion, on trouve également au cours de cette période une semblable précarité dans les milieux populaires : malnutrition, analphabétisme, alcoolisme et maladies412. À

Rodrigues, la situation est sensiblement la même, sinon plus accentuée. En effet, la petite dépendance très excentrée, ne dispose pas d’un centre urbain susceptible d’insuffler un certain dynamisme. Par ailleurs les 20.000 habitants de Rodrigues ne profitent pas, à la différence des ressortissants de Maurice, de l’effectivité des politiques sociales des travaillistes (qui s’amorcent dès les années 1950). Cela entraîne un retard net dans le développement, toujours très perceptible dans les année 1960413.

Les Créoles des années 1950-1960 vivent mieux que ceux des générations précédentes, notamment ceux qui ont connu la crise de la décennie 1930, mais leur situation reste très fragile. Ils sont facilement mis en difficulté dès que se présente un problème, ainsi une crise économique. Cette précarité va d’ailleurs alimenter les tensions interethniques et exacerber le communalisme414. Les communautés s’affrontent entre autre pour le contrôle de

l’État et pour la redistribution des richesses publiques.

412 Oraison André, « L’obligation de non-reconnaissance de l’État d’Anjouan : Les problèmes posés par la nouvelle balkanisation de la République fédérale islamique des Comores », in Annuaires de pays de l’Océan

Indien, XV, 1997-1998, Presses Universitaires D’Aix Marseille, Faculté de droit et de science politique,

1999, p.215

413 L’Express, 1er avril 1965.

414 Wickman Stephen, Indian Ocean five island countries, Washington, Foreign area Studies, The American University Edited by Frederica M. Bunge, 1982, p.138

Déviances et criminalités

En lien avec la pauvreté, la criminalité croît. Cela transparaît nettement dans les sources. À côté des larcins courants, des vols et des bagarres, se développent des pratiques « déviantes », notamment une recrudescence de lynchages et d’actes dits de « sorcellerie », symptomatiques d’une perte de repères au sein de la population.

La presse signale fréquemment bagarres, vols et crimes de sang. Chaque semaine, les quotidiens, et pas seulement les pages du conservateur Cernéen, en font état, bien plus qu’auparavant415. Ainsi, de nombreux articles mentionnent une hausse de la délinquance dans

les agglomérations, même à Rose-Hill, ville jusque-là assez paisible (cette commune située au sud de Port-Louis est un lieu de résidence apprécié des classes moyennes supérieures de l’île : bourgeois indiens, musulmans et créoles)416. On se plaint également de violences récurrentes,

de vols et de bagarres « endémiques » dans les quartiers populaires, particulièrement dans les secteurs où les Tit’s créoles sont très présents (comme à Port-Louis ou dans la périphérie des villes du Plateau : Rose-Hill, Vacoas, Quatre-Bornes, Curepipe)417. Cela affecte même des

pompiers qui sont pris à parti et molestés dans un quartier populaire de Rose Hill alors qu’ils