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Chapitre 3 - Analy ses

3.2.2 Autonomie politique et cognitive des élèves

Quelle description de l’autonomie politique et cognitive des élèves dans leur apprentissage de l’orthographe des mots du vocabulaire font les parents, l’enseignante et les élèves

eux-mêmes ?

Autonomie politique

Deux des élèves font leurs devoirs par obligation. Une maman souligne que sa fille « a compris

qu’elle n’avait pas le choix » (maman de Zoé). Julien dit qu’il fuit parfois son travail si sa maman

ne l’y oblige pas pour pouvoir faire des jeux vidéo à la place. Il ne donne pas de sens à ce travail et s’autorise ainsi à s’écarter de l’esprit de discipline décrit par Durkheim (cité par Durler, 2015), relevant de l’intérêt même de l’individu de ne pas obéir qu’à ses désirs.

Les devoirs sont une obligation selon la LEO18. A l’intérieur de ce cadre légal, une marge autorisant des aménagements ou des différenciations, des initiatives personnelles ainsi que des compromis existe de manière implicite, selon l’enseignante19. Deux élèves confient ne pas oser demander une diminution des mots à apprendre. Si l’on s’en tient à la définition de l’autonomie politique de Lahire (2001), elle « a [...] partie liée avec l’existence de “règles de jeu“ explicites qui libèrent [les élèves] de la dépendance personnelle exclusive à l’égard de l’enseignant » (p. 155). Il poursuit en précisant que « lorsque l’enseignant n’explicite pas [...] les consignes ou les règles, il n’instaure pas de système qui ferait que les élèves sauraient, sans demander, s’ils ont le droit ou non de faire telle ou telle chose » (Lahire, p. 155).

Autonomie cognitive

Le choix du lieu de travail à la maison amène parfois des tensions dans deux des trois familles interrogées. L’oubli de matériel par l’enfant peut également occasionner des disputes et nécessiter des modifications de la planification prévue dans la réalisation des devoirs. J’observe que dans les trois familles, la planification des devoirs dans le temps est régie par les parents et que le week-end est en partie consacré à l’avance du travail prescrit par l’école. Les élèves interrogés racontent être parfois capables de faire des choix sur l’ordre de certaines tâches ou sur la priorité à mettre sur les mots compliqués à apprendre. Ils ne m’ont pas fait part d’une intention de planification (découpage de la matière) de l’apprentissage de leurs mots. Ces différentes observations montrent un besoin d’être accompagné dans leur travail à domicile et la difficulté à nourrir leur perception de contrôlabilité en permettant à l’élève d’agir « de son plein gré, de façon “autodéterminée“ [...] et non sous la pression d’une contrainte [...] » (Viau, 2009, p. 47).

L’autoévaluation semble être une tâche difficile que ces trois élèves ne sont pas capables d’assumer sans aide, d’après les adultes interrogés. Seule une élève dit penser être capable de le faire, ce que sa maman contredit. Concernant les stratégies d’apprentissage, les élèves évoquent surtout la recopie de mots, leur épellation, le fait de regarder les mots ou les fautes. Un élève me fait part d’un discours interne qu’il se tient pour parvenir à mémoriser un mot. L’idée de changer de stratégie, si celle utilisée s’avère inefficace, leur est particulièrement étrangère. L’enseignante pense que sans accompagnement, les élèves n’en sont pas capables. La réponse des trois élèves et d’un parent aux mauvais résultats est de devoir « travailler plus », sans évoquer de remise en question, ni de recherche de stratégie alternative. Ce travail de recherche n’étant pas centré sur les stratégies, je ne m’avancerai pas davantage sur la diversité des techniques d’apprentissage utilisées par les élèves. Toutefois, il appartient à ce travail de s’interroger sur la capacité des élèves à gérer à la maison leurs apprentissages et donc leur

18 Loi sur l’enseignement obligatoire vaudoise

choix de technique de mémorisation. Sans soutien, cela s’avère particulièrement difficile pour les élèves interrogés. On peut voir dans ce type de travail demandé aux élèves une

externalisation du travail scolaire, car comme le disent des enseignants vaudois (Benghali

Daeppen, Stocker et Sieber, 2015), « cette activité de mémorisation [...] est chronophage et ne peut pas être réalisée en classe [...] » (p. 55). Cette externalisation présente des risques, dont celui de créer des malentendus sur l’enjeu du travail à effectuer à la maison : s’agit-il d’effectuer “simplement“ un exercice, d’apprendre l’orthographe d’un mot hors contexte ou de pouvoir ensuite utiliser ces connaissances dans un texte dicté en classe ? Cette question est soulevée par Rayou (2008b) : « Ce n’est pas la même chose que d’apprendre par cœur, de transférer des compétences d’un objet sur une autre ou de prendre, sur la longue durée, des habitudes de travail intellectuel » (p. 21).

Les trois enfants ont parfois des difficultés à comprendre les consignes des exercices, ce que confirment leurs parents qui doivent leur venir en aide sur ce point aussi. De son côté, l’enseignante estime qu’ils sont à même de les comprendre à ce moment de l’année. On observe ici un décalage de perception. Parmi les élèves interrogés, deux sont des enfants ayant des difficultés d’apprentissage. Ils représentent une minorité dans la classe. Il est probable que la majorité des élèves parvienne à comprendre les consignes. Pour Meirieu (2018), une des trois dimensions entrant en jeu dans l’enseignement de l’autonomie est justement l’évaluation du niveau de développement des élèves afin d’ajuster les tâches pour éviter les écueils dus à une trop grande difficulté. Malgré l’attention et le regard bienveillants de l’enseignante, il ne lui est pas facile d’appréhender toutes les difficultés des élèves à la maison si elles ne lui sont pas communiquées par les parents.

Composantes motivationnelles et affectives

La valeur de cette activité d’apprentissage n’est pas clairement identifiée par les trois élèves. S’ils n’y voient qu’une manière de faire de bonnes notes, ou de se faire moins réprimander, et que malgré leurs efforts ils ne sont pas récompensés par de bons résultats, voilà de quoi faire chuter une partie de leur motivation et baisser leur ardeur à développer une forme d’autonomie scolaire. D’autre part, leur manière de donner du sens à cet apprentissage à court terme peut aussi expliquer un manque de motivation.

Ensuite, les élèves ont tous les trois exprimé leur impression de ne pas se sentir très capables d’apprendre ces mots ou d’effectuer les exercices qui les accompagnent.

Pour finir, deux enfants disent ne pas oser demander d’allègement et le troisième raconte qu’il doit obéir immédiatement à son père quand celui-ci crie qu’il doit faire ses devoirs.

Ces différents points évoquent les trois piliers décrits par Viau (2009) lorsqu’il développe les sources motivationnelles : la perception de la valeur d’une activité, la perception qu’a l’élève de

sa compétence et la perception de contrôlabilité. Dans ce travail de recherche, ces différentes

perceptions sont à considérer dans un contexte spécifique, c'est-à-dire se rattachant à une activité particulière – l’apprentissage de mots à la maison – et non général. Ces dimensions méritent d’être questionnées lors du choix et de la planification des devoirs par l’enseignante. Les attributions causales décrites par les acteurs sont internes ou externes (Vianin, 2014). Elles sont internes lorsque les élèves disent ne pas avoir assez travaillé. Ils reconnaissent implicitement avoir une marge de progression mais disent aussi ne pas savoir comment faire autrement. L’allusion de la maman de Luc aux troubles “dys“ de son fils relève aussi d’une attribution interne pour laquelle elle « met en place les choses petit à petit pour qu’il se sente

à l’aise ». Elles sont externes lorsque les élèves disent qu’il y a trop de mots à apprendre ou

que Julien dit « tiens, il y a quatre fautes qui sont apparues » ou que son papa dit que son fils

« s’est fait avoir par la grammaire ». Toutefois, toutes les causes nommées semblent posséder

des caractéristiques “contrôlables“ (sous le pouvoir de l’élève) et “modifiables“ (ou “passagère“), ce qui dénote des possibilités de progression. Vianin (2014) insiste sur « l’apprentissage des stratégies efficaces [qui permettent] à l’enfant de retrouver du pouvoir sur ce qui lui arrive et le contrôle de la situation » (p. 38). Ce conseil a tout son sens également dans le contexte du soutien à l’autonomisation des élèves dans le cadre de leur travail à domicile.

Quant aux états émotionnels ressentis par les élèves lors de leurs devoirs, ces derniers décrivent de l’inattention, de la frustration à ne pas pouvoir faire autre chose de plus intéressant, un manque d’intérêt et parfois du découragement. Zoé dit aimer ce travail, alors que sa maman la décrit plutôt comme angoissée, énervée ou même parfois affolée.

Ces ressentis, ainsi que les composantes motivationnelles, font partie des dimensions à prendre en compte dans l’analyse du développement de l’autonomie des élèves dans le contexte de l’étude, comme le propose Tassinari (2012).

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