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PARTIE II - LA REDEFINITION DES FONCTIONS DE

1. L'automatisation du travail éditorial

Réprouvant les marges confortables que s'octroient les éditeurs commerciaux, certains partisans du "tout électronique" pensent que la publication électronique, grâce à l'économie des coûts qu'elle suscite, devrait permettre se passer de l'éditeur.

L'automatisation des tâches est l'une des stratégies mises en œuvre par les créateurs de ces nouvelles revues pour diminuer les coûts de production et s'affranchir du rôle de l'éditeur.

29 MIEGE Bernard, La société conquise par la communication – 2. La communication entre l'industrie et l'espace public, Grenoble, PUG, 1997, p. 169

1.1 Internet, un support privilégié pour l'automatisation

Le réseau Internet requiert l'utilisation de matériels informatiques. Ce sont ces outils informatiques (les ordinateurs, les serveurs, etc.) qui permettent l'automatisation des tâches.

Jean-Louis Weissberg30 considère que l'automatisation est une des deux dimensions de l'auto-médiation – avec l'autonomisation dont nous parlerons dans le chapitre suivant – puisqu'elle permet de s'affranchir des intermédiaires. Weissberg définit l'automatisation comme "l'usage direct de logiciels permettant d'accomplir directement une tâche".

La forme la plus courante d'automatisation sur Internet est celle du moteur de recherche, outil qui fait maintenant partie intégrante du réseau.

Le principe de l'automatisation est simple : dissimulés sous des interfaces généralement intuitives et faciles d'utilisation, des programmes informatiques remplissent de façon entièrement automatisée des fonctions qu'il serait long, fastidieux et coûteux de faire exercer par un personnel qualifié.

Pour l'édition scientifique, l'enjeu de l'automatisation est à la fois l'économie des coûts (économies de main d'œuvre, de locaux, etc.) et l'accélération des délais pour la publication des travaux de recherche.

La revue Journal of High Energy Physics fut, en physique, l'une des premières publications entièrement électroniques qui utilisa l'automatisation. Elle fournit donc un très bon exemple de l'automatisation des tâches appliquée aux nouvelles formes de publication scientifique sur Internet.

1.2 L'exemple de la revue Journal of High Energy Physics, http://jhep.sissa.it/

Le Journal of High Energy Physics (JHEP) est une revue de physique écrite, publiée et distribuée de façon entièrement électronique et partiellement automatisée. Sa publication est assurée par la SISSA (Sculoa Internazionale Superiore di Studi Avanzati), un institut de recherche italien. La diffusion de JHEP sur le Web a débuté en juillet 1997. Cette revue électronique est entièrement prise en charge par des chercheurs et des bibliothécaires (aucun travail n'est accompli par un éditeur). La gratuité de la distribution sur le Web est

30 WEISSBERG Jean-Louis, "L'auto-médiation sur Internet comme forme politique", Inforcom 98: 11ème congrès national des sciences de l'information et de la communication, Université de Metz, 3-4-5 décembre 1998

compensée par la participation financière de laboratoires de recherche et de grandes bibliothèques.

Malgré l'automatisation mise en place pour le fonctionnement de cette revue, JHEP a conservé le fonctionnement traditionnel des revues scientifiques : tous les articles soumis à la revue sont examinés par un comité de rédaction et selon les mêmes critères que les

"grandes" revues imprimées. La différence réside donc essentiellement dans l'emploi généralisé de l'informatique et de l'échange de données sur support électronique.

Automatisation totale du travail éditorial

JHEP utilise un logiciel innovant de publication scientifique. La plupart du travail éditorial est gérée par ce "logiciel-robot" (software robot), de la soumission de l'article à sa diffusion sur le Web, en passant par son envoi aux comités de lecture, sa révision, sa validation et sa mise en page. Cette automatisation dispense d'un personnel qualifié pour ce travail.

Le logiciel utilisé par JHEP est composé de trois programmes : le premier gère l'interaction entre la revue et la communauté scientifique (la soumission et la publication des articles), le second s'occupe de la partie mettant en jeu les directeurs de la revue (les relations entre les directeurs et les comités de lecture, entre les directeurs et les auteurs) et la troisième partie régit l'administration du journal.

Le fonctionnement est simple : les chercheurs doivent rédiger leurs articles en format TeX31; ils soumettent ensuite leurs papiers à JHEP soit depuis la page Web du site, soit par messagerie électronique. Lors de la soumission de leur article, les auteurs choisissent deux à quatre mots-clés parmi ceux proposés pour classifier leur travail. A la réception de l'article, le "logiciel-robot" crée un fichier en format PostScript, l'envoie à l'un des rédacteurs en chef de la revue – choisi en fonction des mots-clés entrés par l'auteur – et enfin crée une page Web, accessible seulement par l'auteur (via un mot de passe choisi lors de la soumission), où le statut de l'article est sans cesse mis à jour ("en cours de révision",

"prêt à être publié", etc.); cela permet au chercheur de connaître à tout moment le stade atteint par son papier.

L'objectif recherché par les dirigeants de JHEP est d'automatiser le maximum de tâches du

31 Le TeX est le format le plus utilisé dans la communauté scientifique pour la rédaction des articles, même lorsque ceux-ci sont soumis à des revues imprimées.

travail éditorial qui font de la revue scientifique un produit cher et lent. Le seul travail qui reste identique à celui des revues traditionnelles est la validation des articles par un comité de rédaction.

Le travail de validation des articles

La validation des articles suit le même processus que celui des revues imprimées : des scientifiques reconnus forment le comité de lecture; ils reçoivent par messagerie électronique les articles soumis, les évaluent et les corrigent éventuellement.

En outre, un comité de conseil, constitué d'éminents physiciens, examine périodiquement la revue afin de garantir sa qualité et sa valeur scientifique.

La différence fondamentale entre JHEP et une revue traditionnelle de physique est donc l'automatisation du processus éditorial, une diffusion gratuite de la revue sur le Web et la publication extrêmement rapide des articles (il s’écoule en moyenne deux mois et demi entre la soumission et la publication d'un papier… ; cette période va jusqu’à deux ans pour les revues imprimées).

Outre le travail de validation des articles, activité inscrite dans les pratiques des éditeurs de revues scientifiques, JHEP développe des valeurs ajoutées propres aux publications électroniques : des outils de recherche avancés, plusieurs formats de visualisation (PDF, DVI et PS), un service d'alerte permettant de recevoir par messagerie électronique les

"News" de JHEP, la possibilité de se créer un dossier personnalisé avec les articles de son choix, etc.

Enfin, pour faciliter et accélérer l'accès à son site, JHEP a développé plusieurs "sites miroirs" dans le monde : en Suisse, au Japon, en Inde, en Russie, aux Etats-Unis, au Brésil et en Israël.

Bien que développé dans une logique Internet (il utilise de nombreuses facilités permises par le réseau), JHEP a su conserver les caractéristiques fondamentales d'une revue scientifique : la diffusion des travaux de recherche, la validation des contenus et la garantie de la qualité des informations diffusées.

L'exemple de JHEP montre ainsi que l'utilisation de nouveaux outils pour la publication des revues – outils plus performants et permettant d'améliorer le rendement de la chaîne éditoriale – n'implique pas nécessairement une dénaturalisation du système de publication

scientifique, comme l'affirment souvent les éditeurs de revues imprimées.

Comme l'affirme Odlyzko32, "les journaux électroniques gratuits ont montré qu'il était possible de conserver dans un format électronique des standards éditoriaux et référentiels élevés, en même temps que des éléments nouveaux et variés tels que l'animation et le fait d'obtenir les analyses à l'avance, ce qui n'est possible que dans un monde numérique."

Toutefois, JHEP demeure un exemple que l'on ne peut généraliser à toutes les nouvelles formes de publication scientifique. Certaines restent encore dans une logique essentiellement d'économie des coûts et de désintermédiation et omettent souvent de concentrer leurs efforts sur le maintien d'une édition de qualité.

1.3 Des expériences encore rares et disciplinaires

Comme nous venons de le voir, la revue JHEP est un exemple qui ne peut être généralisé;

il s'agit d'une expérience innovante qui reste encore peu imitée, dans le monde de la physique ou dans d'autres disciplines.

La réussite d'un projet comme la création de JHEP nécessite qu'il s'inscrive dans des pratiques existantes. Si JHEP a pu naître et prendre une place assez importante dans la communauté physicienne, c'est parce que le "passé" de cette discipline permettait une telle innovation. En effet, les chercheurs en physique – et particulièrement en physique des hautes énergies – utilisent, souvent depuis plusieurs années, les outils informatiques et électroniques. Rappelons d'ailleurs que le Web, développé au CERN (le Laboratoire européen de physiques des particules), a été créé à l'origine par des physiciens dans le souci d'améliorer les échanges au sein de leur communauté. Par la suite, ces scientifiques ont donc d'autant plus facilement intégré dans leurs pratiques de communication l'utilisation de la messagerie électronique et des autres outils liés à Internet. C'est pourquoi JHEP s'est introduit assez naturellement dans les pratiques de ces chercheurs qui l'utilisent aujourd'hui de façon croissante.

Cette analyse nous permet de relativiser l’engouement de certains auteurs pour les nouvelles publications scientifiques en montrant qu’elles se fondent sur des pratiques existant de longue date et qu'elles n’imposent donc pas aux acteurs de l’édition scientifique

32 ODLYZKO Andrew, Sur la route de l'édition électronique, traduction en français de On the road to electronic publishing effectuée par les bibliothèques du CIRM et de l'ENS (Paris), avril 1996, page consultée le 20 juin 2000, http://math-kalahari.ujf-grenoble.fr/textes/Odlyzko/odlyzko-fr/

un nouveau mode de communication (certains confèrent notamment à Internet un

« fantastique pouvoir libérateur » vis-à-vis du joug des éditeurs commerciaux).