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L’une des réponses les plus fréquentes à la revendication d’une plus grande participation du public dans l’élaboration des décisions est le recours à la procé­ dure des auditions publiques. Ces auditions sont un moyen général, employé dans certains pays, aux divers niveaux de décision de la nation, de la région ou de la collectivité locale. Y ont recours divers organismes législatifs et parlementaires, ainsi que la majorité des agences, tribunaux ou comités administratifs. La plus forte expansion de cette procédure des auditions publiques au cours des dix dernières années intéresse ces organismes administratifs, dont nous parlerons plus tard. Il ne sera question ici que des structures législatives et parlementaires.

Les auditions publiques peuvent avoir plusieurs fonctions103. Elles apportent parfois aux législateurs une simple occasion d’informer les citoyens quant à la nature d’un projet ou d’une législation envisagés. Dans d’autres cas, elles servent à désamorcer un conflit et à éviter un litige ultérieur en permettant aux citoyens en colère de « rouspéter » et de « se défouler », sans qu’il soit besoin de modifier le projet ou la politique en question. Lorsque les auditions publiques sont rendues nécessaires par la loi ou par la tradition, mais que les problèmes ou décisions en cause ne prêtent pas eux-mêmes à controverse, elles peuvent avoir une fonc­ tion purement rituelle : par exemple, lorsque les dccidcurs sont tenus de prendre les points de vue et les besoins du public comme base de leur action légiférante. Mais il est rare que les auditions publiques répondent réellement à cette fonction idéale.

L’un des grands problèmes de l’audition publique est que les points de vue qui y sont représentés ne sont pas toujours représentatifs de ceux de l’ensemble des individus affectés par le projet ou la politique envisagés. Ils ne reflètent souvent que les conceptions des groupes d’intérêts identifiables, qui appartiennent à la clientèle habituelle des décideurs, et qui connaissent bien leurs besoins spécifiques d’information et les méthodes d’audition. Les citoyens isolés et leurs groupements occasionnels sont souvent mal informés au sujet des auditions publiques et, pour de multiples raisons de nature sociologique ou psychologique, mal préparés pour présenter efficacement leur façon de voir. Même s’ils savent bien ce qu’ils ressentent, les individus manquent souvent d’une perspective d’ensemble sur les implications des problèmes et il leur arrive de ne comprendre que très superficiellement leurs côtés techniques104. D’autres facteurs d’ordre pratique (tenue des auditions pendant les heures ouvrables, frais de déplacement, manque de temps pour entreprendre des recherches et pour préparer un dossier) jouent aussi contre une large représentation du public dans ces auditions. Les

103. Voir : T.A. Heberlein, « Some Observations on Alternative Mechanisms for Public Involvement : The Hearing, Public Opinion Poll, the Workshop and the Quasi-Experiment »,

Natural Resources Journal (USA), 16 janvier 1976, pp. 197 à 212.

104. Voir : A.P. Grima et C. Wilson-Hodges, « Regulation of Great Lakes Water Levels: The Public Speaks Out », Journal of Great Lakes Research, Vol. 3, 3-4 décembre 1977, pp. 240 à 257.

motivations des décideurs influencent elles aussi directement la procédure des auditions publiques. Dans une mesure non négligeable, ce sont leurs collaborateurs permanents qui déterminent les points de vue qui seront ou ne seront pas entendus lors des auditions. L’usage abusif d’auditions publiques pour favoriser les intérêts spécifiques des décideurs est cependant rare105.

Aucun autre système législatif ou parlementaire national ne fait aussi large­ ment appel aux auditions publiques que le système américain. Les auditions du Congrès constituent le principal mécanisme permettant aux législateurs d’évaluer en commun les vues du public et les intérêts en jeu par rapport aux projets de loi. En outre, le bicamérisme du Congrès américain — avec ses structures dis­ tinctes de comités pour le Sénat et pour la Chambre — assure un système de vérification et d’équilibrage (« checks and balances »), ainsi parfois qu’une cer­ taine concurrence entre auditions. En même temps, on peut observer que l’exi­ gence de formes plus directes de participation du public au processus de prise de décision par le Législatif a suscité en ce domaine un certain nombre de réformes au sein du Congrès.

On peut en donner pour exemple les efforts faits pour augmenter la compé­ tence du Congrès afin de lui permettre de traiter des problèmes de caractère scientifique ou technologique complexe. Le personnel permanent des commissions du Congrès s’est vu renforcé, on a de plus en plus fait appel à des spécialistes des techniques pour le Service de la recherche du Congrès et, comme chacun sait, un « Office of Technology Assessment » a été créé. En outre, le « General Accounting Office » (GAO), qui surveille pour le Congrès l’action de l’Exécutif, a été rajeuni et renforcé en scientifiques et en ingénieurs, afin d’améliorer sa capacité d’appréciation sur les programmes de caractère technique106. L ’un des objectifs de ces réformes a certainement été de redresser un déséquilibre de plus en plus visible entre les capacités techniques de l’Exécutif et du Législatif. Une autre raison importante a été d’essayer de réaffirmer la force de la démo­ cratie représentative, de fournir un contrepoids aux pressions du public pour une démocratie plus directe, pressions qui (cela se conçoit) sont perçues comme des menaces par bien des membres du Congrès.

On peut trouver une manifestation de cette préoccupation dans les tentatives faites pour rendre les procédures du Congrès plus ouvertes et plus accessibles au grand public. Des séances de commissions ont été télévisées et des systèmes de télévision en circuit fermé ont été expérimentés en vue de permettre aux citoyens de participer à des auditions publiques sans se déplacer à Washington. Plusieurs de ces réformes ont également commencé à descendre vers les assem­ blées législatives des états américains de plus en plus confrontés à des problèmes complexes qui exigent conseils et assistance scientifiques et techniques.

Cette longue tradition américaine de recours aux auditions publiques en tant que mécanisme essentiel de participation et d’information des législateurs ne se retrouve pas dans la plupart des assemblées législatives et parlementaires des autres pays. Au Danemark, par exemple, comme dans les autres pays Scandi­ naves, les auditions publiques n’existent pas au Parlement. D ’autres voies, de

105. Selon une étude critique sur l’ancien Joint Committee on Atomic Energy (JCAE), ce comité parlementaire empêcha constamment, durant ses trente années d’existence, « tout examen équitable et raisonné des controverses qui entourent l’énergie nucléaire, en omettant de répondre aux propositions des autres membres du Congrès, en ne donnant aux critiques du programme nucléaire aucune occasion de s’exprimer, en omettant d’étudier les problèmes qui soulèveraient des doutes sur certains aspects du programme nucléaire, et en utilisant ses pouvoirs de Joint Committee pour avantager les législations auxquelles il donnait la faveur ». Voir : T. Belford, Stacking the Deck, Common Cause, Washington, D.C., 1976.

106. « GAO Beefs up Staff with Scientists, Engineers », Chemical and Engineering

caractère moins formel, sont ouvertes aux groupes d’intérêts et aux individus, reflétant mieux que tout autre élément les différences de tradition politique exis­ tant entre les Etats-Unis et ces pays. En France et en Allemagne également, la procédure des auditions publiques est généralement restreinte aux prises de décisions administratives et réglementaires.

Dans les pays connaissant une forme ministérielle de gouvernement, comme l’Australie, le Canada et le Royaume-Uni, les auditions publiques parlementaires jouent un rôle plus limité. Ceci en grande partie du fait que les décisions poli­ tiques y sont par tradition considérées comme l’affaire de l’organe exécutif du gouvernement, et non pas celle du parlement. Dans chacun de ces pays, il existe diverses commissions parlementaires permanentes qui organisent à l’occasion des auditions publiques, mais celles-ci n’ont généralement pas le même poids que les procédures d’audition telles qu’on les pratique aux Etats-Unis — du moins pour ce qui concerne les problèmes intéressant la science et la technologie. Une exception importante est, au Royaume-Uni, le Select Committee on Science and Technology de la Chambre des Communes qui a eu plusieurs auditions importantes, relatives notamment aux propositions de Lord Rothschild pour réorganiser le financement des conseils de recherche et pour le choix des réac­ teurs nucléaires par la Grande-Bretagne. Plus récemment, il a examiné les impli­ cations des recherches actuelles utilisant les techniques de recombinaison de l’ADN. En Australie, un « Senate Standing Committee on Science and Environment » a été créé en mars 1976.

Dans ces pays, on a toutefois généralement tendance à compter avant tout sur des institutions extra-parlementaires pour informer les décideurs. Parmi celles- ci, citons des mécanismes tels que les « Royal Commissions », les grandes com­ missions d’enquête, les tribunaux administratifs et les enquêtes publiques.

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