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VIII. La pragmatique dans la pathologie

3. Atteinte de la pragmatique du langage et troubles bipolaires

Cette partie s’appuie sur les travaux d’Anne Galiano en psychopathologie. Nous nous appuierons sur ces recherches pour comprendre l’impact du trouble bipolaire sur les fonctions cognitives et donc sur le langage.

3.1. Recherches en psychopathologie pragmatico-cognitive.

Les recherches en psychopathologie pragmatico-cognitive se divisent en deux branches d’intérêts. D’un coté on étudie les contenus de la pensée, et de l’autre on analyse les processus cognitifs et leurs éventuels dysfonctionnements.

Les fonctions visées dans cette dernière branche d’étude sont la perception, la mémoire, l’attention et le langage.29[18]. C’est à ces fonctions que s’intéresse Anne R. Galiano.

Pour elle, il existe un parallèle fort entre la schizophrénie et les troubles bipolaires. Ces deux maladies provoquent des troubles des contenus de la pensée. Mais contrairement à la schizophrénie, les troubles bipolaires ont été peu étudiés d’un point de vue pragmatique, et langagier. Pourtant l’auteur souligne la place qu’occupe cette maladie au rang mondial des maladies psychiatriques. Elle met aussi en avant « la grande hétérogénéité clinique qui conduit à la désertion professionnelle, et ces conséquences encore aggravées par un retard important dans le diagnostic »30 [18].

29 Le Ny 1991, Musiol, Trognon 2000 cité in [18] 30 A. Galiano dans [18]

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3.1.1. Analyse pragmatique de la fonction de référenciation dans les troubles bipolaires [18].

C’est dans l’objectif d’établir un nouveau critère diagnostique que Anne R Galiano s’intéresse au langage des personnes bipolaires car comme le soulignent Trognon en 1992 et Musiol et Trognon en 2000 [18] : le langage est le lieu naturel d’expression des troubles psychologiques.

Elle a porté sa recherche sur la manière dont les personnes bipolaires élaborent les expressions référentielles pour résoudre une tache cognitive.

a. L’étude.

L’étude a porté sur les patients bipolaires en phase intercritique entre 17 et 40 ans. Les résultats ont été comparés avec un groupe contrôle, et avec un groupe constitué par un membre de la famille du patient. Ce dernier groupe a été constitué pour démontrer l’hérédité des troubles bipolaires mais les résultats ont été peu satisfaisants, et n’intéressent pas particulièrement ce mémoire.

Les domaines visées par l’étude sont la mémoire, l’attention, les habiletés visuo-motrices et les habiletés verbales.

Le matériel qui a été utilisé est un jeu de Tangram (un puzzle chinois) composé de 24 figures qui sont des tâches ambigües avec une forte dimension subjective. Elles ont servi de support à l’interaction verbale.

Le but de cette épreuve était de faire deviner à son interlocuteur dans quel ordre étaient rangées les figures. Il y a un directeur et un partenaire. Le partenaire pose des questions au directeur afin de deviner dans quel ordre il a rangé ces figures. Les patients ont été tour à tour directeur et partenaire. Les deux interlocuteurs pouvaient communiquer verbalement et non verbalement en étant face à face, et les figures devant eux sur des planches inclinées.

C’est grâce à cette épreuve que les processus de référenciation ont été testés. La référenciation est le processus qui permet à deux interlocuteurs ou plus de communiquer sur le monde extralinguistique, réel ou imaginaire. 31[18] Le but illocutoire des expressions référentielles est de représenter quelque chose dans le monde. C’est le but assertif.32 [18]

Ces phrases assertives peuvent être évaluées en termes de fausseté et de vérité. Les conditions préparatoires de cet énoncé sont donc que le locuteur désire dire la vérité, qu’il dispose d’arguments en sa faveur, mais aussi il faut qu’il possède la manière de

31 Duerot, Schaeffer 1995 et Kleiber 1997 cité dans [18] 32 Searle, Vanderken 1985, Vanderken 1988 cité dans [18]

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l’exprimer. Sans quoi l’interlocuteur ne peut décider de la vérité ou de la fausseté de l’assertion. Le locuteur peut utiliser des références définies, des énoncés sans article, des références indéfinies, des descriptions afin attirer l’attention de son partenaire sur un aspect de la réalité objective ou abstraite du contexte d’énonciation.33 [18] Ce processus est centré sur le choix et la construction de références et non la dénotation (c'est-à-dire le sens propre d’un mot indépendamment du contexte).

L’acte de référer a pour but de mettre d’accord le locuteur et l’interlocuteur à propos de quelque chose qui fait partie du contexte, ils doivent ainsi établir des références communes (et cela passe d’abord par la sélection lexicale des références de la part du locuteur34 [18] pour arriver à l’intercompréhension et résoudre une tâche cognitive. Trois phases sont nécessaires pour que les interlocuteurs se mettent d’accord sur la façon d’employer les expressions référentielles pour décrire le monde.

La phase 1 c’est l’initiation du processus, le locuteur introduit une proposition contenant une expression référentielle que l’interlocuteur juge pertinente ou non.

La phase 2, l’interlocuteur accomplit les actes illocutoires d’acceptation ou de rejet (et donc d’ajustement de la proposition intiale).

La phase 3, le locuteur corrige, développe ou remplace la proposition initiale.

Pour Anne R. Galiano l’analyse des modes de référenciation n’est pas un but en soi mais un moyen de rendre compte de certains aspects pragmatiques du discours des personnes bipolaires. [18] En effet la pragmatique du langage est un domaine très vaste, dont il convient de sélectionner une partie pour pouvoir analyser correctement l’impact d’un trouble ou non. On ne peut choisir d’analyser la pragmatique d’une personne sans découper l’analyse en plusieurs points parfois très différents.

b. Résultats

Anne R. Galiano a pu constater que le groupe de patients bipolaires avait quelques particularités par rapport au groupe de contrôle.

Les personnes bipolaires auraient tendance à focaliser leur attention sur la position des figures dans l’espace, avec une progression descriptive qui va du particulier au général. Les patients favoriseraient en premier une description littérale plutôt qu’analogique.

Ils utiliseraient des expressions à références indéfinies (ex : il monte l’escalier, plutôt que c’est un bonhomme), qui sont donc utilisées de manière inappropriée puisque les deux interlocuteurs ne peuvent partager le même référent. Les patients auraient des difficultés à produire des expressions indéfinies qui sont composées d’un article indéfini, et d’un nom.

33 Wilkes-Gibbs, Clark 1992 Moeschler Reboul 1994 cité dans [18] 34 Clark, Carlson 1981, Clark, Murphy 1982 cite dans [18]

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On peut mettre en lien ces deux premières tendances.

Les patients auraient plus de difficultés pour donner des propriétés attributives aux figures, et auraient des capacités imaginatives et interprétatives renforcées.

On pourrait mettre ces éléments en parallèle avec la forte idéation que l’on peut constater durant la phase maniaque.

c. Conclusion

Anna R. Galiano conclut qu’il ya une différence minime dans l’utilisation de la langue dans le processus de référenciation. Par contre la différence se situe dans l’utilisation des expressions référentielles. Celle-ci semble perturbée.

Elle en déduit donc que les résidus des troubles se manifesteraient par l’utilisation atypique des expressions référentielles et des propriétés descriptives. Pour avoir plus d’éléments elle suggère l’approfondissement de cette expérience mais aussi l’analyse de la pragmatique chez le patient maniaque et chez le patient bipolaire afin d’effectuer des

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