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CHAPITRE III: BOKO HARAM: ÉMERGENCE ET ÉVOLUTIONS

III. 3.2 : Assassinat de Yusuf et escalade de la violence

Au lendemain de l’assassinat de Yusuf, le reste de Boko Haram rentre dans la clandestinité et se réorganise de deux manières. En procédant, d’abord au remplacement de Yusuf par un de ses adjoints les plus radicaux, en la personne de Shakau Abubakar (alias « Darul Tawheed ») au poste de leader spirituel du groupe. Le groupe s’est ensuite réuni autour de son nouveau chef pour mener des campagnes de recrutement et de radicalisation, grâce à la publication de nombreuses vidéos. Des messages radicaux ont également été publiés sous forme de tracts, des messages audio, affirmant leur intention d’aller en guerre contre les autorités militaires et politiques du Nigeria et de s’attaquer également aux lieux de culte (églises et mosquées), les postes de télécommunication, le siège des Nations Unies à Abuja, etc.248.

De nouvelles stratégies d’attaques sont alors mobilisées pour la mise en œuvre de cette campagne de terreur. Il y a entre autres, les assassinats ciblés, les fusillades (drive-by shooting), l’usage des explosifs (Improvised Explosive Devices : IEDs), et tout récemment, les attentats suicides. Le recours à l’une ou à l’autre de ses stratégies est fonction du contexte, de la cible et de l’objectif. Mais, dans l’ensemble, ces nouvelles stratégies

245 Integrated Assistance on Counter-Terrorism’ (I-ACT)

246 Freedom Onuoha, « Boko Haram and the evolving salafi jihadist threat », Op. Cit., p.177

247 Cf. BenjaminMaiangwa, Ufo Okeke Uzodike, Ayo Whetho, Hakeem Onapojo, “”Baptism by Fire”: Boko Haram and the

Reign of Terror in Nigeria” in Africa Today, Vol. 59, No. 2, winter 2012, pp.40-57;

248 Cf. Freedom Onuha, “Boko Haram and the Evolving Salafi Jihadist Threat in Nigeria” in Marc-Antoine Pérouse de

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constituent une évolution par rapport à la méthode traditionnelle de « hit and run » que le groupe a largement mobilisée dans ses confrontations précédentes avec les forces de sécurité. La nouveauté des attaques consistent en la mobilisation d’un grand nombre de combattants, dans une attaque-surprise contre des postes de sécurité (postes et barrages policiers, prisons, etc.) ou contre des cibles civiles (marchés, lieux de culte) où il peut exister une force de résistance potentielle249.

L’histogramme ci-dessous que nous avons généré par interrogation du site de la Global Terrorism Terrorism (GTD) en formulant la question : « Boko Haram » + « Attack Type » + « [2001-2012] ») nous donne une idée de l’arsenal mobilisé par Boko Haram lors des différentes attaques :

Figure 7: Boko Haram by Attack Type

Source: Global Terrorism Database:

http://www.start.umd.edu/gtd/search/Results.aspx?charttype=bar&chart=weapon&casualties_type=b &casualties_max=&dtp2=all&country=147&perpetrator=30101

Les assauts et les assassinats ciblés sont les modes d’attaques les plus utilisés par le groupe. Ils sont adoptés lorsque la cible est un individu (ou un groupe d’individus) désigné comme un « ennemi ». Ces exécutions ont généralement lieu dans le cadre d’une poursuite à moto (ou en voiture), suivie de tirs à bout portant dans le crâne, le thorax ou l’abdomen de la cible. Des civils, des hommes politiques, des leaders religieux, et des membres des forces

79 de sécurité ont ainsi été exécutés. Des exemples notables d’exécutions ciblées incluent l’assassinat de l’ingénieur Modu Fannami Gubio, membre du « All Nigerians Peoples Party » et candidat aux élections de 2011 pour le poste de gouverneur dans l’État du Borno. Gubio, cousin du gouverneur sortant, Ali Modu Sheriff, est assassiné chez lui, avec le frère cadet du gouverneur et six autres personnes dans leur résidence à Maiduguri le 28 janvier 2011, dans un attentat revendiqué par Boko Haram250. Assassinats ciblés et fusillades

(drive-by shooting) sont des méthodes qui se rapprochent l’un de l’autre dans la mesure où ils impliquent, tous les deux, une course poursuite et des coups de feu sur une victime ou une foule spécifique. Pour Freedom Omuha, le drive-by shooting s’applique à des cibles qui s’avèrent difficiles à traquer. Une fois remarqué, le drive-by shooting permet de poursuivre la cible et de la forcer à se rendre dans un endroit où son exécution est facile251.

L’usage des explosifs (IEDs) est une autre stratégie qui a été largement utilisée au lendemain des événements de juillet 2009. En termes de fréquence, et d’après l’histogramme de la GTD que nous avons cité auparavant, ce serait le deuxième moyen d’attaque déployé par le groupe, après les fusillades et assassinats ciblés. Ces engins sont généralement programmés de sorte à exploser à l’aide d’un détonateur ou lors du contact avec leurs cibles. Ils sont généralement plantés dans des endroits où ils peuvent faire le plus de victimes possible : le long des routes, dans des endroits publics : églises, écoles, station de bus, bar-restaurants, etc.252.

De plus en plus, Boko Haram a recours aux attentats suicides. Ils sont porteurs d’une violence extrême dans la mesure où ils sont perpétrés par une personne qui sait qu’elle et plusieurs autres vont y rester253. Les explosifs peuvent être transportés de plusieurs

manières : à même le corps : body-borne improvised explosive devices (BBIED) ; dans des véhicules : vehicle-borne improised explosive devices (VBIED) ; (iii) : sur une moto :

motorcycle-borne improvised explosive devices (MBIED), etc.254. Ces dernières années,

Boko Haram a de plus en recours à cette méthode pour trois raisons principales : il y a bien

250 Cf. Idris H., “Boko Haram: We killed Gubio” in Daily Trust, February 3, 2011b; 251 Freedom Onuoha, Op. Cit., p. 172.

252 Idem.

253 Cf. Assaf Moghadam, “Motives for Martyrdom: Al-Qaida, Salafi Jihad, and the Spread of Suicide Attacks” in Michael E.

Brown et al (eds.), Contending with Terrorism: Roots, Strategies and Responses, Cambridge, The MIT Press, 2010, p.57.

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sûr l’intransigeance et les prises de position radicales de son nouveau leader Abubakar Shekau. Il y a aussi la mobilisation, par les forces de sécurité nigérianes, d’importantes mesures contre insurrectionnelles pour venir à bout du groupe après l’exécution depuis les escalades observées à partir de 2009. Enfin, la littérature signale des liens potentiels de coopération entre Boko Haram et d’autres mouvements islamistes présents en Afrique (AQMI) et dans d’autres parties du monde, des rapports qui seraient orientés vers le partage de savoir-faire et qui expliqueraient la résilience du groupe, de même sa capacité à monter des attaques de plus en plus meurtrières255.