• Aucun résultat trouvé

L’assèchement est un phénomène naturel considéré comme une perturbation grave et fréquente (Lake, 2000 ; Larned et al., 2010). En effet, en France de 25 à 40 % du réseau hydrographique est constitué de cours d’eau à fonctionnement intermittent (Snelder et al., 2013). Dans un contexte de changement climatique et de fortes pressions anthropiques (agriculture, industrie, modifications de la continuité hydrologique), la fréquence et l’intensité

44 des périodes d’assèchement devraient s’amplifier dans les années à venir (Brooks, 2009 ; Sabater et Barceló, 2010). Arrivant de façon brutale ou progressive, ce manque d’eau induit un stress de dessiccation pour les organismes suite à leur émersion. Si les poissons et les macro- invertébrés peuvent se déplacer afin d’éviter ce stress, les organismes benthiques qui sont fixés à leur support sont contraints de développer des stratégies pour survivre et résister à une période d’assèchement. De plus, pour les micro-algues et les cyanobactéries, un écoulement de surface réduit ou absent peut induire des stress cumulatifs : une radiation UV plus importante, une osmolarité plus élevée, des températures extrêmes, des carences en nutriments, de fortes concentrations en polluants ainsi qu’une augmentation des pressions de broutage.

Différentes études ont montré que les biofilms développent différentes stratégies de résistance et de résilience pour faire face à une période d’assèchement. Ces stratégies d’adaptation peuvent se produire à l’échelle du biofilm mais également à l’échelle de l’individu ou de la cellule (Figure 13). En effet, Davis (1972) a recensé plus de 138 espèces d’algues vertes, 60 espèces

de cyanobactéries et 36 espèces de diatomées résistantes à une période de dessiccation.

Figure 13 Différentes stratégies utilisées par les microorganismes benthiques pour faire face

à la dessiccation. D’après Roux-Barthès (2014)

Peterson (1986) considère l’assèchement comme une pression de sélection pouvant entraîner une production ou une extinction de la biomasse de certaines espèces phototrophes. La durée de l’assèchement influence la structure des communautés au sein du biofilm. En effet, une étude réalisée sur des biofilms essentiellement composés de cyanobactéries filamenteuses

45 et d’une faible proportion de diatomées et d’algues vertes a montré que les modifications structurelles sont d’autant plus marquées que la durée de la perturbation est importante (Barthès et al., 2015a). Après une courte période d’assèchement de 1 à 2 semaines et remise en eau, les cyanobactéries sont largement majoritaires même si une augmentation de la proportion de diatomées est observée. En revanche, lorsque la durée de la perturbation est de 8 semaines, les cyanobactéries ne représentent plus qu’une faible proportion de la communauté phototrophe majoritairement composée de diatomées. Une deuxième étude réalisée sur des biofilms prélevés au sein du delta Peace-Athabasca au Canada révèle une différence significative dans l’abondance de certaines espèces de diatomées en fonction des conditions hydrologiques (Connor et al., 2018). En période de sécheresse, Epithemia représente 41 % de l’abondance relative d’un biofilm alors qu’elle représente seulement 1 % lorsque celui-ci est immergé.

Lorsque les conditions ne sont pas favorables à la croissance, les microorganismes phototrophes ont la possibilité de modifier leurs morphologie et leur métabolisme. Les cellules vont produire des spores en dormance cellulaire, appelés « resting spores » pour faire face à la dessiccation (Agrawal, 2009 ; Coleman, 1983 ; McQuoid et Hobson, 1996) ; cette stratégie d’adaptation se traduit par un arrêt temporaire de la croissance (Fogg, 2001). Bien que les algues marines représentent la majorité des études, la formation de spores a été décrite chez quelques espèces de diatomées d’eau douce (Hargraves, 1983 ; Lund, 1954). Souffreau et al. (2010) ont étudié la tolérance de 17 espèces de diatomées benthiques à la dessiccation et ont observé une meilleure tolérance des spores en dormance en comparaison à des cellules végétatives. Ces spores en dormance peuvent se maintenir pendant de nombreuses années dans des conditions défavorables de croissance (Stosch and Fecher, 1979). A l’échelle de l’individu, la migration verticale est la seconde stratégie mise en place par les micro-algues et les cyanobactéries pour faire face à la dessiccation (Hay et al., 1993 ; Jesus et al., 2006). Les cellules algales vont optimiser leur position dans la communauté, pour cela elles vont migrer vers l’intérieur du biofilm et éviter la surface en contact avec le milieu environnant.

Le mécanisme fonctionnel le plus sensible à la dessiccation est la photosynthèse. De ce fait, une régulation et un contrôle efficace de l’absorption de la lumière par l’appareil photosynthétique semble être indispensable afin de limiter les conséquences d’une période d’assèchement sur le biofilm. En condition de stress, les cellules des microorganismes phototrophes sont capables de diminuer de façon réversible leur activité photosynthétique (Hanelt, 1998). Le stress engendré suite à une dessiccation entraîne donc une cessation

46 temporaire de l’activité photosynthétique de la communauté phototrophe (Fogg, 2001 ; Karsten, 2012 ; Lunch et al., 2013). En estimant le rendement quantique du photosystème II, Barthès et al. (2015b) observent un rebond de l’activité photosynthétique après 13 jours de remise en eau quelle que soit la durée de la perturbation. Cependant, dû à une modification de la structure des communautés phototrophes, le rendement est différent du rendement initial, avec une différence d’autant plus marquée que la durée de la perturbation est longue.

Pour faire face à la dessiccation et éviter la déshydratation, les algues vont utiliser une stratégie d’autoprotection en créant une couche cellulaire protectrice superficielle (Decho, 2000). L’algue verte Klebsormidium crenulatum forme des structures multicouches apparentées à des nattes sur la partie extérieure du biofilm (Holzinger et al., 2011), ce qui permet de limiter la déperdition d’eau. De plus, les cellules algales et les cyanobactéries produisent des EPS pour former une matrice dense qui favorise la rétention d’humidité au sein de l’agrégat (Du et al., 2010 ; Knowles et Castenholz, 2008). En effet, la sécrétion de polysaccharides de faibles poids moléculaires tels que le saccharose protège les membranes cellulaires des dommages potentiellement causés par la déshydratation (Santarius, 1973) et augmente la tolérance des microorganismes à faire face à la dessiccation (Yancey, 2005). En effet, lorsque la quantité d’eau est limitée, ces polysaccharides se lient aux autres composants de la matrice ainsi qu’aux membranes permettant un maintien de la structure de l’agrégat. Ces résultats indiquent que les cellules présentent au sein d’un biofilm ont une meilleure capacité de résistance à la dessiccation qu’une cellule isolée.

En réponse à un stress provoqué par une période d’assèchement, une modification de la taille des cellules a également été observée (Holzinger et al., 2011). Par exemple, le diamètre des cellules de l’algue verte K. crenulatum diminue de 50 à 60 % suite à une période d’assèchement, ce qui provoque des altérations et un remaniement structurel du cytosol (Figure

14). De plus, les cellules algales sont capables d’augmenter l’activité anti-oxydante des

enzymes en période d’assèchement. Par exemple, les activités de la catalase et de la superoxyde dismutase présentes au sein des cellules de la cyanobactérie Tolypothrix scytonemoides sont augmentées de 42 et 8 % en période d’assèchement (Rajendran et al., 2007). Enfin, la composition des acides gras présents dans les cellules de T. scytonemoides est différente si ces cellules subissent ou non un stress hydrique (Rajendran et al., 2007). Ces modifications sont réversibles, un retour à l’état initial peut avoir lieu à la fin de la perturbation.

47 La dessiccation entraîne un stress oxydatif (Scheibe and Beck, 2011) pour les cellules algales qui peut se traduire par la formation d’espèces réactives à l’oxygène (ROS, reactive oxygen species) induisant des dommages au niveau intracellulaire. Un stress hydrique peut donc créer des dommages cellulaires irréversibles, pouvant entraîner la dénaturation de certaines protéines, des cassures du double brin d’ADN ainsi que des dommages membranaires (Potts, 1994 ; Shirkey et al., 2003).

Figure 14 Observation en microscopie confocale (A à D) ou en microscopie électronique à

balayage (E, F) de cellules d’algues vertes (K. crenulatum) présentes au sein d’un biofilm immergé (A, E) et après 1 jour (B) ou 7 jours (F) d’assèchement. Coloration, en rouge, des mitochondries présentes dans les cellules algales d’un biofilm immergé (C) ou après 1 jour d’assèchement (D). D’après Holzinger et al. (2011) et Karsten and Holzinger (2012)

Enfin, une fois la période d’assèchement terminée, les communautés phototrophes peuvent recoloniser le milieu lors de la remise en eau avec une efficacité variable. La durée de l’assèchement, les conditions de croissance (disponibilité en nutriments, contraintes de cisaillement, luminosité, etc.), les sources algales sont des facteurs qui ont une influence sur l’efficacité de recolonisation. En effet, la ré-immersion d’un biofilm peut provoquer le détachement d’une partie ou de la totalité du biofilm sec. Sachant que la recolonisation d’un support est rapide, la dérive et la repousse à partir d’un biofilm sec sont des mécanismes

48 importants dans le rebond d’un biofilm lors de la remise en eau (Robson et al., 2008). Barthès et al. (2015a) observent un impact fort et durable de l’assèchement sur la composition des communautés même après une courte période d’assèchement (1 à 2 semaines).