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4.2 La turbulence développée

4.2.1 Aspects théoriques

4.2.1.1 Régime laminaire et turbulent

En mécanique des fluides, deux types de régimes sont utilisés pour caractériser l’écou-lement d’un fluide : le régime laminaire et le régime turbulent. En écoul’écou-lement laminaire, les trajectoires du fluide sont rectilignes et le mouvement se décompose en couches de fluide parallèles, glissant les unes par rapport aux autres. Lorsque la vitesse du fluide dépasse un certain seuil, la permanence et la régularité de l’écoulement cessent. Les particules du fluides suivent des trajectoires enchevêtrées générant des mouvements irréguliers et tour-billonnants : l’écoulement devient turbulent. En 1883, Osborne Reynolds identifie pour la première fois la transition d’un écoulement laminaire vers un écoulement turbulent à l’aide d’un dispositif expérimental (Fig. 4.1). Il mit en évidence cette transition en introduisant dans l’écoulement, à l’intérieur d’un tube de verre, un filet de fluide coloré. Il constata qu’à

Figure 4.1 – Gravure de l’expérience d’Osborne Reynolds (Reynolds,1883).

partir d’une certaine vitesse, le filet se trouble et se perd dans le liquide extérieur (Fig.4.2).

4.2.1.2 Les contraintes turbulentes ou contraintes de Reynolds

En régime turbulent, la vitesse (tridimensionnelle) du fluide en un point donné de l’espace subit des fluctuations temporelles rapides et sans période définie (Fig.4.3). On est ainsi amené à considérer chaque composante de la vitesse ui(~x, t), au point ~x à l’instant t, comme la résultante d’une vitesse moyenne ui(~x, t) variant lentement en fonction de ~x

et de t, et d’une vitesse d’agitation u0i(~x, t) ' ui(~x, t) − ui(~x, t) variant très rapidement en

fonction de ~x et de t.

En théorie, la vitesse moyenne est définie comme la moyenne statistique sur des réali-sations indépendantes de l’écoulement. En pratique, cette estimation est difficile à mettre en oeuvre. Dans le cas d’un écoulement turbulent (statistiquement) stationnaire, on invoque une propriété d’ergodicité pour assimiler la moyenne d’ensemble à une moyenne temporelle (Novikov,1990) : ui(~x) ' 1 T Z t+T /2 t−T /2 ui(~x, t)dt (4.1)

Figure 4.2 – Observations de Reynolds sur les types d’écoulement obtenus lors de ces expériences (Reynolds,1883).

en choisissant l’intervalle de temps T très grand devant les périodes temporelles de la vitesse turbulente.

Les équations qui régissent le mouvement d’une fluide visqueux (Newtonien) ont été introduite au début du XIXième siècle. Connues sous le nom d’équations de Navier-Stokes, elles sont en faite un formulation locale du principe fondamental de la dynamique énonçant la conservation de la quantité de mouvement. L’équation principale s’écrit comme :

∂u

∂t + (u.∇)u = −

1

ρ∇P + ν∆u (4.2)

où u est la vitesse du fluide et ν, la viscosité cinématique. Le champ de pression est déterminé à chaque instant par la condition d’incompressibilité (ρ constant) :

visqueux ν∆u.

À la fin du siècle dernier, Reynolds proposa de décomposer les moyennes d’ensemble des champs turbulents, c’est-à-dire les moyennes effectuées à partir d’un grand nombre N de réalisations d’un même écoulement, en une partie moyenne < u >, correspondant à la valeur moyenne de la distribution, et une partie fluctuante u0, dont la valeur est caractérisée par l’écart-type de vitesse σu.

La connaissance de < u > et σu permet notamment de quantifier un paramètre utile

Figure 4.3 – Fluctuations temporelles de vitesse turbulente en un point donné de l’espace mesurées dans l’air par un anémomètre à fil chaud (Benzi et al.,1995).

En décomposant ainsi les différents champs, Reynolds réécrivit l’équation de Navier-Stokes et aboutit à une nouvelle équation, dite de Reynolds, qui prédit l’évolution de la partie moyenne du champ de vitesse.

4.2.1.3 La cascade d’énergie de Richardson

En 1922, Lewis Richardson établit que l’agitation turbulente implique des mouvements sur un continuum d’échelles allant de la taille de l’écoulement à l’échelle de la dissipation moléculaire (Richardson,1922). Le processus imaginé par Richardson est celui d’une cas-cade d’énergie résultant d’une fragmentation de l’écoulement en structures d’échelles de tailles décroissantes (Fig.4.4). Le schéma phénoménologique s’appuie sur le point suivant : la turbulence est ramenée à un ensemble de structures fluides imbriquées, dont la taille caractéristique et la vitesse caractéristique résultent d’un processus dynamique de brisures successives des structures d’échelles en structures de plus en plus petites. Ce processus de cascade est décrit par Richardson dans sa paraphrase d’un célèbre poème de Jonathan Swift

1 :

1. « So, naturalists observe, a flea Has smaller fleas that on him prey ; and these have smaller still to bite ’em ; And so proceed ad infinitum. » - Poetry, a Rhapsody by Jonathan Swift.

En 1941, Andreï Kolmogorov formalise ce processus en étudiant comment l’équation de Navier-Stokes en dimension trois répartit l’énergie entre les différents degrés de liberté d’un écoulement turbulent développé. Il distingue alors trois domaines d’échelles :

— Le domaine de production de turbulence : L’énergie du mouvement est transférée à partir des grandes structures (échelles de production) où agissent les forces extérieures. — Le domaine de dissipation : L’énergie est dissipée au niveau des structures

suffisam-ment petites pour pouvoir être éliminée par l’action du frottesuffisam-ment visqueux.

— Le domaine inertiel : le transfert d’énergie entre les échelles s’effectue de façon auto similaire, c’est-à-dire de manière identique à toutes les échelles et de façon locale. Toute l’énergie de chaque structure est transférée aux sous-structures qu’elle engendre. La viscosité n’affecte pas le processus qui est purement inertiel.

Dans la zone dite inertielle, Kolmogorov suppose que l’énergie est transférée entre les dif-férents degrés de liberté du système, qu’il identifie aux échelles de l’écoulement. La zone inertielle ne prend en compte ni la très grande échelle (échelle d’injection L), où l’énergie est injectée dans le système par les forces extérieures, ni la très petite échelle (échelle de Kolmogorov η), où l’énergie est extraite par dissipation visqueuse. L’existence de cette zone inertielle n’est possible que dans le cas de la turbulence pleinement développée, c’est-à-dire pour les très grands nombres de Reynolds. Ce dernier peut également être vu comme le rapport entre la plus grande et la plus petite échelle de la zone inertielle.

l’échelle du mouvement brownien), le flux d’énergie Π`dans la zone inertielle est définie par (Frish,1995) : Π`v 3 ` ` ∼ ε (4.6)

où v` est la vitesse de l’écoulement et ε est la dissipation ou taux de transfert d’énergie. Ce paramètre indique le seuil à partir duquel l’énergie se dissipe irréversiblement sous forme de frottements ou de chaleur. La dimension de ε est :

[ε] = W/kg = L2T−3

On considère trois paramètres : l’échelle d’injection L, les fluctuations de vitesse à l’échelle `,

δv et la viscosité ν de dimensions respectives [L]=L, [δv]=LT−1 et [ν]=L2T−1. Par analyse dimensionnelle, on obtient une relation reliant les fluctuations moyennes de la vitesse δv à l’échelle ` et la dissipation ε (supposée constante) dans le domaine inertiel :

δv = ε1/3`1/3 (4.7) Il s’agit de la relation fondamentale établie par Kolmogorov en 1941, communément appelée K41. L’approche de Kolmogorov est fondamentale car elle permet à partir d’arguments d’analyse dimensionnelle simples, de donner l’expression de ces différentes échelles dont celle de Kolmogorov : η = ν 3 ε !1/4 (4.8)

dissipée en bout de chaîne. Pour un nombre d’onde donné k, la densité spectrale d’énergie est donc uniquement liée à la dissipation et au nombre d’onde. Cette loi a été vérifiée expé-rimentalement dans le domaine atmosphérique (Gurvitch,1960) et océanographique (Grant et al.,1962).

En considérant l’hypothèse de Taylor (écoulement statistiquement stationnaire), égale-ment connue sous l’appellation de turbulence gelée, il est possible de substituer les corréla-tions spatiales par les corrélacorréla-tions temporelles. Ceci permet de transcrire une série spatiale en série temporelle, ainsi, le nombre d’onde k = 2π/` peut s’écrire sous la forme :

k = 2πf

U (4.10)

où f est la fréquence et U = < u >. Dans l’hypothèse d’une turbulence homogène, l’analyse fréquentielle est supposée équivalente à l’analyse de la variation de la vitesse avec le nombre d’onde k (Batchelor,1953). L’équation (4.13) peut alors s’exprimer comme :

E(f ) = C0ε2/3f−5/3 (4.11) où C0 = C U 5/3 (4.12)

d’estimer l’échelle intégrale L telle que (Pope,2000) :

L = σ

3

u

ε (4.14)

où u est la vitesse de l’écoulement instantané au point de mesure.

Dans la suite, nous utilisons ces relations pour estimer ε, L et η afin de caractériser approximativement l’écoulement.

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