• Aucun résultat trouvé

Aspects méthodologiques en épidémiologie de l’asthme lié au travail

II.3 Asthme lié au travail

II.3.7 Aspects méthodologiques en épidémiologie de l’asthme lié au travail

II.3.7.1 Méthodes d’estimation des expositions professionnelles

Plusieurs méthodes existent pour évaluer les expositions professionnelles dans les études épidémiologiques. Les méthodes les plus fréquemment utilisées sont l’évaluation par les déclarations des sujets, les matrices emplois-expositions et l’évaluation par des experts.

Déclaration des sujets

Dans les études en épidémiologie professionnelle, des questionnaires sont fréquemment utilisés pour évaluer les expositions [205, 206]. L’évaluation par questionnaire est une méthode simple et peu coûteuse et souvent utilisée dans les études avec un grand nombre de participants [205, 207]. Il peut être auto-administré ou administré par un enquêteur par téléphone ou en personne (en face à face).

Pour rechercher l’exposition à une nuisance à risque pour la santé, des questions sur l’intitulé des métiers exercés, la durée ainsi que sur le contact à des nuisances (par exemple, « Au cours de votre vie professionnelle, avez-vous été (ou êtes-vous actuellement) en contact avec les nuisances suivantes … ? » [208]) peuvent être posées dans le questionnaire. En plus de ces questions, des informations détaillées peuvent être collectées pour reconstituer l’histoire professionnelle du participant. Pour cela, dans un premier temps, un calendrier professionnel du travailleur est construit qui comprend des informations telles que l’intitulé complet du métier, les dates de début et fin de chaque métier, les secteurs d’activité dans lesquels ces métiers ont été exercés, la description des tâches effectuées. Ces informations recueillies dans le calendrier professionnel peuvent être complétées par un questionnaire spécifique visant à mieux décrire les tâches susceptibles d’exposer à des nuisances professionnelles (par exemple matériaux, machines ou outils utilisés, équipements de protection, fréquence de réalisation des tâches exposantes) [206]. Dans un deuxième temps, chaque emploi exercé et secteur d’activité correspondant recueillis sont

71 codés selon une nomenclature permettant un codage standardisé. Diverses nomenclatures existent que ce soit au niveau national (par exemple en France, les Professions et catégories socioprofessionnelles [PCS] ou la Nomenclature d’activités française [NAF] de l’Insee) ou international (par exemple la Classification internationale type des professions [CITP], nomenclature éditée par le bureau international du travail [BIT] ou la Nomenclature statistique des activités économiques dans les Communautés européennes [NACE]). Ce codage permet d’une part d’étudier les risques pour la santé associés à certains métiers et de comparer les résultats entre les études et d’autre part, d’appliquer dans des étapes ultérieures des outils spécifiques pour l’estimation des expositions professionnelles comme les matrices emplois-expositions [206, 209]. Les informations sont le plus souvent recueillies de façon rétrospective et sur de longues périodes, ce qui peut engendrer un biais de mémoire. En effet, les participants malades pourraient prêter plus d’attention à leur environnement de travail et mieux se souvenir de leurs expositions que les participants en bonne santé. De plus, pour avoir une estimation précise de l’exposition, une bonne connaissance de celle-ci est requise de la part des participants. Cependant, les participants ne connaissent pas toujours en détail les produits auxquels ils sont exposés (par exemple, différentes substances chimiques contenues dans les produits de nettoyage), ce qui peut engendrer un biais de classement non différentiel. Ainsi, les questionnaires peuvent être complétés par d’autres méthodes d’évaluation pour améliorer l’estimation [205].

Matrice emplois-expositions

L’évaluation par matrice emplois-expositions (MEE) a été proposée initialement dans les années 80 pour traduire les informations sur l’intitulé du métier en expositions spécifiques [207]. Une MEE est un tableau à double entrée dont un des axes correspond à des intitulés de métiers et/ou les codes métiers et dont l’autre axe correspond à des nuisances professionnelles ; les cellules de la matrice indiquent la présence, l’intensité et/ou la fréquence d’exposition à un agent spécifique dans un code métier spécifique [206, 210–212]. Elle permet d’assigner une même catégorie

72 d’exposition à des participants issus de différents métiers ou industries. Du fait de son application automatique à partir de la connaissance des métiers uniquement, cette méthode permet de limiter les biais de classement différentiel de l’exposition que l’on peut observer avec l’estimation par questionnaire seul [209]. Les MEEs peuvent être appliquées en population générale ou spécifiques à des nuisances à risque pour une maladie donnée [206, 209, 212].

Les MEEs ont l’avantage de pouvoir être utilisées dans des études avec un grand nombre de participants ayant chacun plusieurs épisodes professionnels, elles peuvent également être utilisées dans différentes populations permettant ainsi une comparaison des résultats des études. L’inconvénient est qu’elles ne tiennent pas compte de la spécificité individuelle de chaque métier exercé ce qui peut avoir comme conséquence une erreur de classement non différentielle dans l’évaluation de l’exposition professionnelle [206].

Estimation au cas par cas par des experts

L’estimation au cas par cas par des experts est considérée comme une des meilleures méthodes pour estimer l’exposition professionnelle dans les études en population générale [210]. Elle permet d’avoir une évaluation précise de l’exposition en prenant en compte la différence d’exposition entre les individus avec des métiers similaires ou pour les métiers ayant des tâches hétérogènes. L’expertise est réalisée par des spécialistes tels que des hygiénistes industriels, des toxicologues ou des médecins du travail qui ont une expérience reconnue dans le domaine d’une nuisance professionnelle et qui sont capables de documenter des niveaux d’exposition à partir de leur connaissance des secteurs professionnels. Ainsi, à partir d’informations sur l’histoire professionnelle des participants (métiers, tâches) généralement recueillies par questionnaire, les experts attribuent au cas par cas, pour chaque individu, une estimation du niveau et de la fréquence d’exposition, et ce à l’aveugle du statut malade/non malade [206, 211].

Cependant, l’évaluation par expertise est une méthode longue et coûteuse, difficilement applicable dans de grandes études épidémiologiques. De plus, sa validité dépend fortement de la

73 connaissance des experts. Elle constitue de ce fait en une démarche subjective n’assurant pas une parfaite reproductibilité [206, 210].

Autres méthodes d’évaluation

D’autres méthodes qui permettent d’obtenir des mesures quantitatives d’une exposition et d’évaluer l’exposition à des nuisances spécifiques existent pour estimer les expositions professionnelles. Par exemple, les expositions peuvent être évaluées par les mesures biologiques qui visent à estimer la pénétration de la substance dans l’organisme en quantifiant l’importance de l’exposition dans des matrices biologiques telles que le plasma, l’urine ou la salive [206]. Cependant, les mesures quantitatives sont coûteuses et difficiles à mettre en place notamment dans les études en population générale. De plus, elles ne permettent pas une évaluation rétrospective de l’exposition au long cours.

II.3.7.2 Biais du travailleur sain

Un des principaux biais qui peut exister dans les études d’épidémiologie professionnelle est le biais du travailleur sain ou “healthy worker effect”. Ce biais a initialement été décrit dans les études constituées d’une population de travailleurs, comparée à la population générale. Dans ce type d’études, le biais du travailleur sain est dû au fait que les individus capables d’exercer un travail régulier seraient a priori en meilleure santé que la population générale dans laquelle on trouve des malades dans l’incapacité d’avoir un emploi [213].

Plus généralement, le biais du travailleur sain peut être décomposé en deux niveaux de sélection. Le premier niveau correspond à la sélection à l’embauche ou “hire effect” qui est liée au fait que les participants ayant des problèmes de santé auraient tendance à éviter certains métiers. De même, les employeurs peuvent faire le choix d’embaucher en majorité

74 des personnes en bonne santé. Le deuxième niveau correspond à la sélection en cours d’emploi ou “survivor effect” est liée au fait que les participants déjà en activité, observant que leur état de santé se dégrade, auraient tendance à changer d’activité pour une autre moins exposée [155, 213, 214].

Dans l’asthme, ces deux types de biais peuvent exister car l’asthme peut apparaître avant la première embauche (par exemple, asthme débutant dans l’enfance) ou quand l’individu est déjà en activité́ (par exemple, asthme débutant à l’âge adulte). Ces deux types de biais du travailleur sain pourraient engendrer une sous-estimation des associations évaluées entre l’exposition professionnelle et la maladie [155, 213, 214].

75