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A- Introduction

L’utilisation des analyses isotopiques du carbone et de l’azote des tissus d’animaux et de leurs proies pour étudier leur écologie alimentaire et les relations trophiques au sein des communautés offre de nombreux avantages par rapport aux approches conventionnelles (cf. Discussion générale, Peterson & Fry 1987, Fry 2006). Cependant, la fiabilité de l’approche isotopique dépend directement de notre compréhension des processus contribuant à l’abondance des isotopes stables dans les tissus des consommateurs (Hobson & Clark 1992b). La connaissance de l’ensemble des facteurs de fractionnement dans les systèmes biologiques complexes est difficile, les scientifiques utilisent donc généralement la méthode isotopique de manière empirique (Fry 2006).

L’ensemble des auteurs ayant étudié les différences en δ15

N entre les tissus d’animaux et leurs proies s’accordent sur un taux d’enrichissement en 15N entre 3 à 5‰ (Minagawa & Wada 1984, Owens 1987, Mizutani et al. 1991, 1992, Cherel 2005a, b), les ratios isotopiques des tissus de prédateurs sont ainsi couramment utilisés pour étudier leur régime alimentaire (Kelly 2000). Par opposition, le taux d’enrichissement en 13C est plus variable, de 0 à 4 ‰ (Tieszen et al. 1983, Mizutani et al.1992, Hobson & Clark 1992b). Présentant des variations spatiales prévisibles à la base du réseau trophique, les valeurs en δ13C des tissus de prédateurs sont utilisées pour retracer l’origine géographique de leurs proies (Kelly 2000). Cependant, sans maîtrise de toutes les sources de variations affectant les ratios isotopiques en carbone des oiseaux marins depuis la base du réseau trophique, il est indispensable d’obtenir des valeurs de référence en δ13C des différentes masses d’eau du système à étudier à partir des tissus de ces prédateurs et non de la base du réseau trophique. Dans l’océan Austral, la signature isotopique en carbone de la matière organique particulaire présente des variations spatiales caractéristiques (Trull & Armand 2001), peu d’études ont toutefois tenté de caractériser ces variations à partir des tissus de prédateurs (Cherel & Hobson 2007, Phillips et al. 2009).

La première problématique d’ordre méthodologique qui s’est donc posée était d’obtenir des valeurs de référence en δ13C (« isoscapes ») pour les différentes masses d’eau de l’océan Austral à partir des tissus d’oiseaux. Deux méthodes peuvent être

utilisées pour décrire des isoscapes à partir des tissus d’oiseaux, une validation spatiale des valeurs isotopiques ou l’utilisation d’espèces dont la distribution est connue. La validation spatiale semble la plus correcte, la pose de balises satellitaires ou d’appareils enregistreurs

(« loggers ») sur les oiseaux permet d’obtenir leurs trajets alimentaires qui sont ensuite comparés aux signatures isotopiques de leurs tissus. Avant le début de ce doctorat, en 2003, une campagne de terrain à Crozet avait été organisée sur le grand albatros à cette fin. Malheureusement, tous les oiseaux équipés (N=11) s’étaient alimentés en zone subantarctique, ce qui n’a pas permis de caractériser les valeurs isotopiques des différentes masses d’eau de l’océan Austral. A défaut, la deuxième méthode de description d’isoscapes a été utilisée pour les premières études biologiques de cette thèse (article 3). Les ratios isotopiques d’oiseaux dont les aires d’alimentation étaient connues ont servi à définir les valeurs isotopiques de référence des différentes masses d’eau. En 2008, une deuxième campagne de terrain a été organisée à Crozet qui a permis de caractériser l’évolution spatiale des δ13C de l’océan Austral à partir du suivi satellitaire d’un plus grand nombre de grands albatros (N=45). Les résultats de cette campagne sont présentés dans le premier article de cette partie méthodologique (article 1).

La seconde problématique consistait en la mise en place d’un protocole d’analyse pour le dosage isotopique des plumes d’oiseaux marins de l’océan Austral, l’essentiel de

cette thèse reposant, en effet, sur le dosage isotopique de ce tissu (cf. section D.3. de l’Introduction générale). Dans la littérature, aucun protocole d’analyse fixe et fiable n’était disponible pour l’analyse isotopique des plumes d’oiseaux alors que le choix d’un type de protocole peut influencer les résultats des analyses isotopiques. Certains auteurs ont préféré l’utilisation de rémiges pour le dosage isotopique (Bearhop et al. 1999, Cherel et al. 2000a, Hedd & Montevecchi 2006, Cherel et al. 2008b), d’autres de plumes de couverture (Thompson & Furness 1995, Bearhop et al. 2000, Cherel et al. 2006, Phillips et al. 2009), sans savoir si le type de plumes a une influence sur les valeurs isotopiques calculées. Par exemple, la mue des plumes de couverture pourrait être décalée par rapport à celle de vol et les deux types de plumes présenter ainsi des signatures isotopiques distinctes si elles sont synthétisées dans des masses d’eau différentes. Peu d’informations étant disponibles sur la mue des plumes de couverture et sur la séquence de renouvellement des différents types de plumes, il était important de comparer les ratios isotopiques des primaires et des plumes de couverture. Une autre source de biais dans l’interprétation des résultats est qu’il est possible de doser le ratio isotopique d’une seule plume ou d’un lot homogénéisé de plumes (Phillips et al. 2009). La mue des plumes de procellariiformes étant séquentielle, ce choix influencera la fenêtre temporelle d’intégration de l’alimentation et donc la variance calculée. Une plume reflète, en effet, l’alimentation sur une période temporelle plus courte qu’un lot de plumes. Les ratios

isotopiques des plumes de couverture et des primaires du grand albatros ont ainsi été comparés et des simulations d’analyse avec une ou un lot de plumes ont été réalisées dans le deuxième article de cette partie afin de définir un protocole d’analyse (article 2).

Le grand albatros a été choisi comme modèle d’étude des deux articles méthodologiques car il parcourt de grandes distances en période d’incubation et de repos sexuel (Weimerskirch et al. 1993, Weimerskirch & Wilson 2000). Il couvre ainsi d’importants gradients isotopiques permettant potentiellement de définir les valeurs isotopiques de référence de toutes les masses d’eau de l’océan Austral (article 1), et de présenter de fortes variations intra-individuelles des ratios isotopiques de ses plumes nécessaires pour évaluer l’importance de ces variations sur le choix d’un protocole d’analyse (article 2).

B- Article 1 : δδδδ

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C de référence des masses d’eau de l’océan