• Aucun résultat trouvé

Les arrêts comportementaux

PARTIE II : LA NARCOLEPSIE

V. Modèle d’étude : la souris narcoleptique

2. Les arrêts comportementaux

conditions d’obscurité constante (Mochizuki et al., 2004). La fragmentation et l’instabilité de ces états de vigilance ne seraient donc pas dues à une altération du contrôle circadien. Les données sur le SP sont plus contrastées. L’équipe de T Scammell a montré une variation circadienne du SP similaire chez les souris WT et Orex-KO en conditions cyclées (lumière/obscurité) ou d’obscurité constante (Mochizuki et al., 2004; Kantor et al., 2009). En revanche, d’autres études réalisées en conditions de lumière cyclée ont observé chez les souris Orex-KO des quantités plus importantes de SP lors de la période active (phase d’obscurité) (Chemelli et al., 1999; Willie et al., 2003; Anaclet et al., 2009). Ces différences peuvent être attribuées aux critères d’analyses utilisés et principalement à la taille de la fenêtre de scorage (10sec/20sec/30sec). Nous étudierons les variations quotidiennes de SP dans notre première étude.

Au cours de la période active des souris (phase d’obscurité), les souris Orex-KO présentent des arrêts comportementaux. Ces arrêts s’apparentent aux cataplexies et constituent un élément important dans la validation de ce modèle de narcolepsie. Ils ont d’abord été définis comme un arrêt brutal de l’activité motrice, associé à une posture maintenue au cours de l’épisode et se terminant par un retour abrupt à une activité motrice (Chemelli et al., 1999). D’autres études ont ensuite suggéré la présence d’un autre arrêt comportemental chez ce modèle de souris narcoleptique : les attaques de sommeil (Willie et al., 2003; Burgess et al., 2010).

2. Les arrêts comportementaux

a) La cataplexie murine

Des arrêts comportementaux ont été immédiatement observés chez la souris par les différentes équipes de recherches, chacune leur donnant un attribut : épisodes narcoleptiques (Chemelli et al., 1999), arrêts comportementaux abrupts (Willie et al., 2003), cataplexie (Mochizuki et al., 2004) et transition directe de l’éveil au SP (en anglais DREM pour direct REM sleep

transitions from wake) (Zhang et al., 2007).

La communauté scientifique s’est alors réunie pour s’accorder sur une définition consensuelle de la cataplexie murine (Scammell et al., 2009). Elle la définit comme étant un épisode abrupt d’atonie musculaire visualisée objectivement sur l’EMG mesuré sur les muscles de la nuque, d’immobilité sur la vidéo et d’une durée d’au moins 10 secondes. Elle est précédée d’au moins 40 secondes d’éveil actif et suivie d’une reprise brutale de l’activité motrice. Elle s’accompagne d’une activité cérébrale riche en rythme thêta (4-9 Hz) similaire à la signature EEG observée au cours du SP ou pendant l’éveil exploratoire. La particularité de la cataplexie chez l’homme réside dans le fait qu’elle est induite par une émotion et que l’état de conscience est préservé pendant la crise. Il est impossible de définir l’état de conscience d’une souris pendant ces épisodes. Toutefois, les cataplexies murines sont induites par des comportements à haute valence émotionnelle.

28

Induction des cataplexies

Lors d’enregistrements en condition basale, ces épisodes sont observables uniquement durant la phase active des souris (phase d’obscurité) et ceci en petite quantité (moins d’une cataplexie par heure). Afin de démontrer que ce phénotype est lié aux émotions et donc différent du SP et pour aborder les mécanismes neurobiologiques impliqués, de nombreuses études ont cherché des stimuli émotionnels pouvant engendrer de tels épisodes. Tout d’abord, il a été montré que le comportement précédant la survenue de ces épisodes était actif et orienté. Parmi eux, le toilettage, le fait de grimper, gratter la sciure ou l’exploration sont les comportements les plus fréquemment retrouvés (Chemelli et al., 1999 ; Willie et al., 2003). Ensuite, l’introduction d’une roue dans la cage des souris augmente le nombre de cataplexie par minute d’éveil. L’accès à ces roues peut doubler les quantités de cataplexies chez les souris Orex-KO (Clark et al., 2009). Dans ces conditions, les cataplexies sont souvent précédées par des courses intenses de la souris dans sa roue (Espana et al., 2007). D’ailleurs, le comportement de course dans une roue est considéré comme récompensant pour les souris (Lett et al., 2002). La connotation positive de ce protocole pourrait donc être à l’origine de l’augmentation des cataplexies. De plus les rongeurs produisent des vocalisations ultrasoniques lors d’événements sociaux positifs tels que jouer avec des congénères et il a été montré que ces vocalisations étaient corrélées positivement avec les cataplexies chez la souris Orex-KO (Burgess et al., 2008b).

D’autres études ont montré que la nourriture palatable augmentait également le nombre de cataplexies comme observé chez le chien narcoleptique (Babcock et al., 1976). Le chocolat augmente jusqu’à 8 fois le nombre de cataplexies au cours de la phase d’obscurité chez la souris Orex-KO (Oishi et al., 2013) (Fig.II-5). La nourriture apétente administrée après un protocole de restriction alimentaire augmente également le nombre de cataplexie considérablement (Clark et al., 2009). La connotation émotionnelle est donc un aspect capital dans l’expression de ces arrêts comportementaux observés chez la souris, et fournit un argument fort dans la similarité avec la cataplexie humaine.

29

Figure II-5 : Le chocolat induit des cataplexies chez la souris Orex-KO. La nourriture palatable augmente le

nombre de cataplexies pendant la phase active des souris (période obscure). Le chocolat augmente 8,1 fois le nombre d’épisodes par rapport à de la nourriture standard seule. Solution sucrose 10% n=7; beurre de cacahuète n=7; chocolat n=11 (A) le nombre de cataplexie augmente tout au long de la période d’obscurité (n=11) (B) (d’après Oishi et al., 2013)

Signature EEG des cataplexies

La signature électro-encéphalographique des cataplexies murines est classiquement associée à une activité cérébrale similaire à celle observée pendant le SP (riche en ondes thêta), lorsque l’EEG est enregistré en bipolaire fronto-parital ou sur l’électrode située au dessus du cortex parietal (Fig.II-6). Toutefois, il semblerait que ces cataplexies murines ne soient pas un état stable. Tout d’abord une étude corrélative a montré que seulement 80% des arrêts brutaux observés avaient un pattern EEG similaire à celui observée pendant le SP (Willie et al., 2003). Plus récemment, une étude détaillée s’est intéressée aux différents patterns EEG observables au cours des cataplexies (Vassalli et al., 2013). Dans cette étude, l’analyse vidéo a permis de déterminer les cataplexies comme un arrêt brutal lors d’une activité intense. En parallèle, l’analyse des tracés de polysomnographie comprenait les états de vigilances habituels (éveil, sommeil lent, SP) ainsi qu’un autre état très irrégulier comprenant un mélange d’oscillations thêta (5-8Hz) et delta (1-4Hz) de haute amplitude nommé ‘état associé aux cataplexies’ (cataplexy-associated state ; CAS). L’analyse de 578 épisodes de cataplexies a permis de mettre en évidence une dynamique au cours de ces épisodes. Cette dynamique se caractérise par une activité EEG de type CAS en début d’épisode, suivie d’une activité type SP (Fig.II-6). Les cataplexies de plus de 60 secondes finissants invariablement par une activité thêta. La signature EEG de la fin d’une cataplexie n’est donc pas la même que celle de l’entrée. De plus au cours de la période d’éveil qui précède la survenue de l’épisode, il a été observé une diminution des oscillations delta et une hausse des oscillations thêta et gamme par rapport à l’éveil moyen au cours des 12hrs, ce qui correspond généralement à une intense exploration chez le rongeur (Mitchell et al., 2008).

30

L’analyse polysomnographique des souris Orex-KO montre une autre particularité : la présence de bouffées d’activité thêta de hautes amplitudes nommées HSPT (pour hypersynchronous paroxysmal thêta burst). Ces événements de 1 à 2 secondes ont d’abord été décrits par une équipe italienne (Bastianini et al., 2012). Ils surviennent uniquement pendant la phase d’obscurité au cours du SP ou des cataplexies. On en retrouve également chez les souris sauvages au cours du SP mais en moindre quantité. De tels pics d’activité seraient retrouvés chez l’enfant narcoleptique mais à un pic de fréquences moins élevé (3-5Hz) (Vassalli et al., 2013). Chez la souris, l’HSPT est majoritaire en début de cataplexie et se manifeste plusieurs fois dans les longues cataplexies (Vassalli et al, 2013). Ce rythme serait généré au niveau du lobe frontal et sa signification reste inconnue à ce jour.

Figure II-6 : Caractérisation polysomnographique (EEG/EMG) des cataplexies chez la souris Orex-KO. Les tracés

EEG ont été enregistrés grace à une électrode placée au dessus du cortex parietel (A ; données non publiées) ou par un signal différentiel fronto-parietal (B,C,D ; d’après Vassalli et al., 2013). B : les flèches rouges représentent le début et la fin de l’épisode de cataplexie. L’EEG fronto-parietal montre la présence de bouffées d’activité theta de haute amplitude (HSPT). C : Représentation de la puissance spectrale moyenne par bande de fréquence en fonction du temps, avant et pendant (-2min et +2min) les cataplexies. Les valeurs ont été obtenues en moyennant la puissance spectrale de l’EEG fronto-parietal de 578 cataplexies chez la souris Orex-KO. La densité des valeures spectrales de l’EEG suivent un code couleur en fonction de leur puissance, et sont référencées sur une échelle logarithmique. On note que la cataplexie suit une dynamique en début d’épisode puis se stabilise sur un rythme theta (7-8Hz).