4. Approfondir l’effet de la surface sur la formation du ruissellement
4.1. Ancienneté du non‐labour et influence des processus de surfaceComme nous l’avons vu, en contexte de non‐labour, l’essentiel des travaux a porté sur les propriétés du profil de sol. L’état de la question a montré le rôle essentiel de la macroporosité d’origine biologique racinaire ou lombricienne sur l’amélioration des propriétés hydrodynamiques du sol.
Concernant l’effet de la surface sur la formation du ruissellement en NON‐LABOUR, les connaissances sont plus limitées (Dabney et al., 2004; Wilson et al., 2004). La couverture en résidus végétaux et l’amélioration de la stabilité structurale sont les deux facteurs les plus mentionnés sur la réduction du ruissellement.
L’étude des processus contrôlant la partition ruissellement/infiltration en non‐labour met en lumière les éléments suivants.
L’augmentation de l’infiltrabilité du profil de sol dépend fortement du facteur temps. La création d’une porosité d’origine biologique présentant une continuité porale élevée est un processus qui opère sur le long terme. C’est pourquoi, les caractérisations hydrodynamiques sont fréquemment réalisés sur des essais de longue durée (>10‐15 ans). Le non‐labour place alors l’exploitant dans une logique accumulative où chaque année la porosité biologique augmente si bien que l’infiltrabilité augmente peu à peu.
Or, comme le mentionnent Strudley et al. (2008), il existe une différence de temporalité entre le développement d’une porosité d’origine biologique le long du profil, qui s’étend sur plusieurs années, et la formation des croûtes en surface qui est un processus rapide, intervenant à l’échelle de la saison. On peut estimer que la surface joue un rôle majeur sur la réduction du ruissellement lors de
cette période transitoire, car les différences de porosité avec le système conventionnel sont encore
limitées. Cette période transitoire se rencontre :
‐ lors de la transition initiale entre système conventionnel et non‐labour ;
‐ mais également à chaque fois que l’exploitant utilise sa charrue, alors qu’il se trouve en contexte de non‐labour, ce qui rompt l’amélioration de la continuité porale et l’enrichissement de la surface du sol en MO (Rhoton et al., 2002).
Chapitre 1 – Etat de surface du sol et ruissellement : bilan des connaissances
Or, pour l’exploitant, il peut‐être difficile de maintenir le système non‐labour sans
retourner le sol de façon ponctuelle. L’exploitant peut rencontrer des levées d’adventices (en cas de
monoculture prolongée) ou des cultures supportant difficilement le non‐labour. Comme le montre Chapelle‐Barry (2008) sur la période 2001‐2006, seules 11 % des surfaces en grandes cultures n’ont jamais été retournées depuis 2001 (fig. 1.9). Figure 1.9 ‐ Superficies cultivées en 2006 classées selon le nombre de labour depuis 2001 (Chapelle‐Barry, 2008) (Lecture : 17% des superficies de colza de 2006 n’ont jamais été labourées entre 2006 et 2001. 6% ont connu un seul labour. 37% ont été labouré tous les ans) 4.2. Estimer le ruissellement à partir des EDS En résultant des interactions complexes de processus géomorphologiques et agricoles, les EDS occupent une situation d’interface. Ils constituent des indicateurs de l’action des processus difficiles à évaluer tels que la dégradation structurale ou la partition entre infiltration et ruissellement. Comme nous l’avons vu précédemment, Boiffin et Monnier (1985) adoptent une démarche mécaniste où le niveau d’encroûtement et l’infiltrabilité de la surface sont reliés. En se basant sur des travaux réalisés dans le Pays de Caux, Cerdan et al. (2001b) proposent une table de correspondance (tableau 1.10) qui permet de relier les caractéristiques de surface (encroûtement, couverture végétale et rugosité) et l’infiltrabilité de la surface. Cette table permet de générer la lame d’eau ruisselée et constitue la pièce centrale du modèle STREAM (Sealing and Transfer by Runoff and Erosion related to Agricultural Management).
Chapitre 1 – Etat de surface du sol et ruissellement : bilan des connaissances
Tableau 1.10 – Table de correspondance du modèle STREAM (Cerdan et al., 2001b). Valeurs d’infiltrabilité en mm/h
La relation entre EDS et ruissellement peut‐être affinée par une approche statistique, en utilisant des régressions linéaires multiples. Martin (1997) a étudié l’effet des intercultures sur le ruissellement dans le Pays de Caux sous pluies naturelles. Après deux saisons de suivis, il estime que les variables climatiques et de surface permettent d’expliquer 60% de la variabilité des volumes ruisselés. Il met notamment en évidence les variables suivantes : ‐ les précipitations cumulées pendant la séquence pluvieuse considérée ; ‐ le bilan hydrique sur les 3 jours précédant l’épisode ruisselant ; ‐ la couverture végétale ; ‐ le tassement ; ‐ la rugosité de la surface. En Belgique, Leys et al. (2007) ont étudié la production de ruissellement de plusieurs types de TSL sur sols limoneux et sous pluies simulées (intensité de 45 mm/h). L’équation de régression permet d’obtenir un pouvoir explicatif de la variation des volumes ruisselés d’environ 50%. Les variables prises en compte par la régression sont : ‐ la texture (ratio limons/sables) ; ‐ l’intensité pluviométrique ; ‐ l’humidité initiale ; ‐ l’encroûtement initial ; ‐ la couverture végétale totale (i.e. végétation en place et résidus). Les observations d’EDS qui ont été collectées sur le terrain permettent également d’estimer la
Chapitre 1 – Etat de surface du sol et ruissellement : bilan des connaissances
précipitations cumulées, Tribouillard (2004) a construit un indicateur de ruissellement. Il permet d’estimer la hauteur de pluie nécessaire au changement de faciès. Ces faciès étant relié à des capacités d’infiltration (cf. 1.2.2), il devient possible de déduire les lames d’eau ruisselées. Cet indicateur, intégré à l’indicateur agro‐environnemental INDIGO (Bockstaller et al., 2008; Bockstaller et al., 2009) n’est pas spatialisé, mais en se basant sur des chroniques pluviométriques, il permet d’estimer les périodes de forte production de ruissellement. La connaissance des facteurs influençant la dynamique de la dégradation des EDS permet de prévoir l’apparition des faciès ruisselants. C’est le rôle des indicateurs de type ex‐ante, qui permettent cette expertise (Bockstaller et al., 2008; Sadok et al., 2008). 4.3. Variabilité spatiale des EDS et formation du ruissellement
Nous avons vu que les EDS influencent fortement la partition infiltration/ruissellement. Cependant, l’organisation spatiale des EDS joue un rôle tout aussi important sur la quantité de ruissellement qui sera collecté à l’exutoire de la surface considérée. La variabilité spatiale des EDS a notamment été étudiée en milieu aride et semi‐aride (Solé‐Benet et al., 1997; Puigdefabregas et al., 1999; Cammeraat, 2002; Imeson et Prinsen, 2004). Les EDS de ces versants sont hétérogènes et sont caractérisés par une alternance de zones nues, sur lesquelles les précipitations ruissellent rapidement et de zones couvertes par la végétation où l’infiltration est possible. Ces études montrent l’importance
de la connectivité des surfaces ruisselantes sur les volumes ruisselés, notamment à l’échelle du
bassin versant et du versant (Bracken et Croke, 2007). Ambroise (1999) introduit la notion de surfaces actives et de surfaces contributives. Dans le cas du ruissellement pouvant générer une onde de crue, il est possible d’expliquer cette distinction de la façon suivante : ‐ les surfaces actives sont celles sur lesquelles se forme le ruissellement (quelque soient les processus) ; ‐ les surfaces contributives sont les surfaces actives qui sont effectivement reliées au cours d’eau et dont le ruissellement pourra contribuer à l’onde de crue.
En contexte cultivé, le rôle des techniques culturales sur les EDS implique des variations
spatiales importantes entre les parcelles agricoles. La relation entre EDS et propriétés
hydrodynamiques de surface a permis l’utilisation des EDS dans des démarches de type experte : à partir d’unités spatiales présentant un EDS homogène, il s’agit d’estimer le risque de ruissellement ou l’infiltrabilité potentielle. Sur un échantillon de 20 bassins versants, Ludwig et al. (1995) ont mené un suivi de l’EDS des parcelles agricoles pendant 3 ans. Ils ont montré la forte relation entre l’extension des surfaces cultivées présentant un faciès F2, marquées par le développement des croûtes
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Selon Papy et Boiffin (1988), la variabilité des EDS constitue un élément important dans la
lutte contre le ruissellement érosif. Les auteurs recommandent d’éviter de former des blocs de
parcelles présentant un EDS dégradé qui se traduirait par la formation de surfaces ruisselantes continues. Au contraire, ils préconisent d’introduire une mosaïque associant cultures de printemps et cultures d’hiver afin que les parcelles à l’EDS moins dégradé puissent infiltrer le ruissellement émis par les surfaces situées en amont. Les intercultures sont également un moyen d’agir sur l’état structural et le couvert végétal pour limiter le ruissellement sur les chantiers de récolte (Martin, 1999).
Ainsi, dans le bassin versant de Bourville (Pays de Caux), Joannon et al. (2006) ont étudié les possibilités de modification d’assolements en vue de réduire les volumes ruisselés. La spécificité de cette méthode est qu’elle tient compte des marges de manœuvre agronomiques des exploitants (parcelle favorable à l’implantation, temps d’attente minimum avant implantation, culture précédente potentielle). Un scenario favorisant des assolements de cultures plus favorables à l’infiltration (lin, pommes de terre et pois) a été simulé sous STREAM (Cerdan et al., 2001b). La baisse du ruissellement est comprise entre 4,5 et 10% selon l’épisode pluvieux considéré. Cette méthode pose néanmoins des problèmes d’acceptabilité sociale (les exploitants ne sont pas tous disposés à ce que leurs parcelles reçoivent le ruissellement émis sur des secteurs situés à l’amont) et de temps de collecte des données.
Peu d’études se sont penchées sur la variabilité intraparcellaire des EDS, alors qu’en contexte
de cultures annuelles sarclées, les parcelles présentent une structuration spatiale des EDS, en
particulier du microrelief, liée au travail du sol (alternance d’interrangs de ligne de semis et de traces de roue). Cette structuration doit être prise en compte afin d’estimer correctement l’aptitude d’une
parcelle à ruisseler en fonction des EDS (Helming et al., 2005). Certaines études ont notamment
étudié les différences de rugosité et leurs effets sur le parcours du ruissellement au sein des parcelles (Souchère et al., 1998; Takken et al., 2001). Les traces de roue, en raison du tassement de la subsurface, sont des secteurs préférentiel de formation du ruissellement (Rauws et Auzet, 1989; Li et al., 2001; Richard et al., 2001; Tullberg et al., 2001; Quinton et Catt, 2004; Hamza et Anderson, 2005).
Des travaux récents montrent que l’organisation spatiale des EDS à petite échelle (<10 m²) permet d’expliquer les différences d’infiltrabilité de la surface. Sur des sols limoneux, les travaux menés par Leonard et al.. (2006) se sont attachés à relier l’infiltrabilité apparente de placettes de 2 m² en fonction des EDS. Ces mêmes auteurs mettent en évidence l’importance du seuil de 50% de couverture par les croûtes sédimentaires. En dessous de ce seuil, la connectivité des croûtes sédimentaires est insuffisante pour que le ruissellement puisse rejoindre le point de collecte : il se réinfiltre dans les zones situées aux environs des croûtes sédimentaires.
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