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1.3 Géométrie à sommets partagés

1.3.2 Approche quantique

La présence d'ordre à basse température ne semble pas se conrmer dans le cas des spins quantiques (S = 1/2). Des calculs de diagonalisation exacte par [Lecheminant et al. (1997)] et [Waldtmann et al. (1998)] montrent que le système reste dynamique jusqu'à T = 0. Lecheminant et al. prédisent l'apparition d'ordre dans une conguration du type 3 ×3 seulement dans le cas des couplages ferromagnétiques second voisins importants.

De nombreuses études ont montré que l'état fondamental est caractérisé par des corréla-tions à courte portée. [Chalker et Eastmond (1992), Zeng et Elser (1990), Leung et Elser (1993)] ont eectué des calculs de diagonalisation exacte sur des systèmes de taille nie qui mettent en évidence une décroissance exponentielle des corrélations spin-spin < ~Si · ~Sj >= e−rij/ξ.

La gure 1.9 présente la variation en fonction de la distance entre spins de la fonction de

2la conguration3 ×3possède un axe d'anisotropie perpendiculaire au plan kagomé, comme pour les cristaux liquides dans un état nématique.

Chapitre 1. La frustration géométrique dans les systèmes magnétiques corrélation, calculée par [Leung et Elser (1993)] sur un échantillon à 36 sites. La longueur de corrélation ξ reste nie et est égale à un ou deux paramètres de maille. Notons que des calculs similaires eectués par les mêmes auteurs sur le réseau triangulaire montrent une décroissance beaucoup plus lente de la fonction de corrélation.

Cependant, les corrélations à courte portée n'impliquent pas nécessairement l'absence d'ordre à longue distance. Par exemple, pour un ordre de dimères ξ reste ni, alors que la longueur de corrélation dimère-dimère est divergente. [Chalker et Eastmond (1992)] a étudié les fonctions de corrélation de plusieurs ordres de ce type (nématique, de dimères, spin-Peierls, ou bien chiraux). Elle présentent toutes des longueurs de corrélation nies, ce qui conrme le scénario d'un état fondamental désordonné.

[Lecheminant et al. (1997)] et [Waldtmann et al. (1998)] ont calculé par diagonalisation exacte les niveaux d'énergie d'un système triangulaire et kagomé de spin 1/2 du type Heisen-berg. La gure 1.8 présente la succession des niveaux d'énergie sous forme de "tours d'états" correspondant à chaque valeur du spin. La première colonne correspond ainsi aux états du type singulet (S = 0), tandis que la deuxième colonne correspond aux états triplet (S = 1).

Un premier aspect important qui ressort de ces calculs est l'existence dans les deux cas d'un gap entre le niveau fondamental singulet et le premier état excité triplet. Pour le réseau kagomé la valeur du gap est d'environ J/20. Cette valeur est toutefois fortement dépendante de la taille de l'échantillon. Les simulations eectuées pour plusieurs valeurs de N montrent une diminution de la taille du gap avec N. On ne peut donc pas exclure qu'à la limite thermodynamique le gap soit même nul.

Pour le système kagomé, une caractéristique unique est que le gap singulet-triplet est rem-pli d'un grand nombre de niveaux discrets non magnétiques, en nombre de 1.15N [Waldtmann et al. (1998)]. On retrouve donc une entropie extensive, comme dans le cas classique.

Ces niveaux non magnétiques sont totalement absents dans le cas du réseau triangulaire, où le singulet et triplet sont très bien séparés. Notons que la nature discrète des singulets est reliée à la taille nie de l'échantillon. A la limite thermodynamique cette succession de niveaux discrets pourrait se transformer en un continuum d'états non magnétiques. La présence d'un continuum d'états singulet est en faveur d'un comportement dynamique, uctuant jusqu'à la plus basse température. On pourrait voir ceci comme l'équivalent des modes mous présents dans l'approche classique.

Chapitre 1. La frustration géométrique dans les systèmes magnétiques

Fig. 1.8  Tours d'états obtenus par diagonalisation exacte pour les systèmes triangulaire (gauche) et kagomé (droite) de spin 1/2 [Lecheminant et al.]. On note la multitude d'excitations singulet dans le cas kagomé.

Fig. 1.9  Décroissance de la fonction de corrélation spin-spin calculée par [Leung et Elser (1993)] sur un réseau kagomé à 36 sites.

Chapitre 1. La frustration géométrique dans les systèmes magnétiques L'état RVB : un fondamental possible du réseau kagomé quantique

[Zeng et Elser (1995), Mambrini et Mila (2000)] ont proposé que l'état RVB3 soit le fondamental du réseau kagomé de spin 1/2 Heisenberg :

Les excitations de basse énergie de ce modèle sont, d'après Mambrini et Mila, des états non magnétiques qui forment soit un continuum, soit une multitude de niveaux discrets. Le nombre de niveaux non magnétiques varie en 1.15N (N représente la taille du système), en accord avec les calculs de diagonalisation exacte sur le réseau kagomé par [Waldtmann et al. (1998)].

Les excitations magnétiques seraient créées par la brisure d'un singulet. Deux spinons déconnés sont ainsi formés, des particules neutres de spin 1/2, dont l'énergie correspond au gap singulet-triplet. Chaque moitié peut être délocalisée et se propager à grande distance de l'autre, comme une particule indépendante (gure 1.10). C'est une excitation fractionnaire (la moitié d'une paire avec S = 1).

Ce modèle décrit bien les propriétés de basse énergie du réseau kagomé de spin 1/2. L'état RVB est donc un bon candidat pour le fondamental du réseau kagomé et en tout cas donne un cadre très utile pour interpréter qualitativement les expériences.

3nous faisons référence à l'état RVB à courte portée, pour lequel les dimères ne sont formés qu'entre premiers voisins. Dans le cas de l'état RVB à longue portée les dimères sont formés par appariement des spins indépendamment de la distance qui les sépare.

Chapitre 1. La frustration géométrique dans les systèmes magnétiques Les liquides de spin

Le caractère dynamique des systèmes kagomé et pyrochlore conduit à considérer un nou-vel état de la matière magnétique, le liquide de spin. C'est un état dynamique à toute température, avec des corrélations à courte portée, comme entre les molécules d'un liquide.

Plusieurs formalismes ont été développés pour décrire l'état liquide de spin. Deux d'entre eux sont des approches de champs moyen. L'approche bosonique, introduite pour la première fois par [Read et Sachdev (1989)], est basée sur la représentation des opérateurs de spin en terme de bosons de Schwinger. Une approche parallèle fermionique exprime les opérateurs de spin sous une forme bilinéaire de fermions. De nombreuses phases type liquide de spin ont ainsi pu être identiées.

Un concept très utile à la classication de tous les états liquide de spin est celui d'ordre quantique introduit par [Wen (2002)] pour décrire le comportement des systèmes quantiques à température nulle. Wen propose que la théorie des classes d'universalité de Landau qui prédit une brisure de symétrie et un paramètre d'ordre s'associant à une transition ne s'applique plus aux états quantiques, beaucoup plus complexes que les états classiques. Pour décrire l'ordre quantique il introduit un objet mathématique, le groupe de symétrie projective (PSG), qui permettra de classier les liquides de spin.

On peut identier deux grandes classes de liquides de spin. La première comprend les liquides de spin topologiques, avec un gap entre l'état singulet et le premier état excité ma-gnétique.

Dans cette catégorie un état des plus étudiés est le liquide de spin type Z2, qui présente, en plus du spinon, une excitation du type vortex, appelée "vison". [Sachdev (1992)] et ré-cemment [Wang et Vishwanath (2006)] ont isolé plusieurs états de ce genre, diérenciées par la symétrie de l'état fondamental.

La deuxième grande catégorie est celle des liquides de spin algébriques (ASL), qui ne possèdent pas de gap dans le spectre des excitations. Les fonctions de corrélations varient en loi de puissance avec des coecients non-triviaux. [Hastings (2000)] et [Ran et al. (2007)] ont proposé un modèle basé sur des spinons de Dirac relativistes avec un fondamental d'énergie inférieure à d'autres états liquide de spin proposés. Ce modèle prédit une dépendance de la chaleur spécique en T2. Expérimentalement un tel comportement a été observé sur la bi-couche kagomé par [Ramirez et al. (2000)].

Dans la même catégorie un autre modèle a été récemment proposé par [Ryu et al. (2007)] pour un réseau kagomé avec anisotropie du type "plan-facile", comme est le cas des composés avec interaction de Dzyaloshinsky-Moriya. Ce modèle prédit également un comportement en T2 de la chaleur spécique.

Du point de vue expérimental, les composés avec une dynamique persistante jusqu'à T = 0 et des corrélations spin-spin à très courte portée ont été assimilés à des liquides de spin. En particulier les chaînes et échelles de spin qui ne s'ordonnent pas à température non nulle sont souvent inclus dans cette catégorie. Plusieurs systèmes expérimentaux comme par exemple la Volborthite et SCGO (voir plus loin) sont des liquides de spin car ils présentent un caractère uctuant jusqu'à la plus basse température, malgré le gel de certains degrés de liberté dans une transition exotique type verre de spin. L'Herbertsmithite, étudiée dans cette thèse, est en fait le premier composé kagomé uctuant et apparemment sans brisure de symétrie à toute température.

Chapitre 1. La frustration géométrique dans les systèmes magnétiques T CW T T CW T

Fig. 1.11 Susceptibilité d'un système antiferromagnétique non-frustré en trois dimensions.