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L’approche psychologique nous indique comment les mécanismes de défense et autres techniques de préservation de soi ont une incidence sur le comportement que l’individu adopte en groupe. Comme l’approche anthropologique, l’approche psychologique s’intéresse aux moyens que prennent les acteurs pour résoudre leurs conflits internes lors de la prise de décision : « [...] how we defend ourselves from painful truths, experiences and self-definitions

ego from challenges to the constitutive narcissism of the psyche » (Zyglidopoulos et al. 2009,

67). Ces situations où les actions qui préservent la cohésion du groupe entrent en confrontation avec la moralité individuelle de l’acteur provoquent ce que les psychologues appellent une dissonance cognitive. La théorie de la dissonance cognitive est au centre de l’approche psychologique :

The main proposition of cognitive dissonance theory is that if a person holds two cognitions that are psychologically inconsistent or if one’s behaviour is inconsistent with a cognition, this person experiences discomfort or dissonance, and because this is unpleasant he/she will strive to reduce it in any way possible. (Zyglidopoulos et al. 2009, 67).

Dans un contexte de corruption organisationnelle, l’acteur est socialisé à la réinterprétation de l’action anti-éthique de façon à ce que son exécution ne mène pas à une perception négative de lui-même, et cette autotromperie (self-deception) est un outil important à la perpétuation de la corruption dans une organisation : « [...] self-deception (lying to oneself in order to alleviate

guilt) is an important mechanism displayed in corrupt organizations, and is often supported by broader organizational processes and scripts » (Zyglidopoulos et al. 2009, 67). Plusieurs

théories se sont appuyées sur cette approche pour tenter d’expliquer les comportements corrompus et la difficulté qu’ont certains acteurs à reconnaître qu’ils ont agi de façon anti- éthique dans des situations de corruption organisationnelle. Nous allons en détailler deux plus en profondeur : le groupthink focalise sur la psychologie du groupe, et l’autre s’intéresse à l’influence du pouvoir sur l’éthique individuelle.

2.3.1 Les apports du groupthink

Le psychologue Irving Lester Janis conçoit la théorie de la pensée de groupe ou groupthink en étudiant de mauvaises décisions de politique extérieure prises par différentes administrations présidentielles aux États-Unis des années 1950 à 1970, soit de la guerre en Corée sous Truman au scandale du Watergate sous Nixon. Il cherche une façon d’expliquer comment les individus membres de ces administrations présidentielles, hautement qualifiés, des sommités dans leurs disciplines respectives, prennent des décisions aussi pauvres en jugement pour leur administration. Le groupthink est sa réponse. Ce mode de pensée représente l’abandon par un individu des valeurs universelles de la société au sens large au profit des valeurs particularistes du groupe auquel il appartient. Les individus font abstraction de leur moralité à l’extérieur de

l’organisation pour maintenir la cohésion du groupe. Selon Janis, cette appréciation de la morale particulière du groupe au profit de la morale universelle ne se fait pas nécessairement de manière intentionnelle (Janis 1972). La pensée de groupe agit de façon subversive. Plus un groupe est hermétique aux critiques extérieures, plus le groupthink a de la facilité à s’ancrer, jusqu’au moment où la loyauté au groupe supplante les soucis d’éthique établis par la société : « [...] an otherwise ethically-minded individual may forsake universalistic or dominant norms

about ethical behavoir in favor of particularistic behaviors that favor his or her group at the expense of outsiders » (Ashforth et Anand 2003, 10). Dans les années 1990, Ronald Sims a

utilisé le groupthink pour interpréter la mauvaise prise de décision dans certaines entreprises. Il fait le pont entre la théorie du groupthink et la recherche sur la culture organisationnelle. Le

groupthink est utilisé pour expliquer l’impact négatif que la loyauté excessive peut avoir sur

l’objectivité du groupe dans la prise de décision à l’intérieur d’une organisation (Sims, 1992). La fraternité syndicale est basée sur l’acceptation de valeurs communes régulées par des traditions et une solidarité organique entre les membres (Ouchi 1980, 135-6). Elle repose sur un haut niveau de cohésion sociale pour fonctionner, ce qui augmente la probabilité qu’une sorte de groupthink s’installe.

2.3.2 Le pouvoir corrompt : l’influence des dirigeants

L’influence du dirigeant sur le groupe est un élément clé de la corruption organisationnelle. Janis a développé le groupthink en observant les choix d’individus dans un groupe restreint qui servent un dirigeant puissant, soit le président des États-Unis, et comment ce dernier influence les objectifs du groupe. Il réalise qu’au lieu de combiner la force critique de leurs différents apports et conseiller leur dirigeant, ils recherchent activement l’accord du dirigeant pour maintenir la cohésion : « [...] a quick and painless unanimity, group members suppress

personal doubts, silence dissenters and follow group leader’s suggestions » (Hart 1991, 247).

Les dirigeants ont une incidence sur les comportements du groupe par leurs actions autant que par leurs inactions : « [...] leaders don’t have to actively engage in corruption to serve as role

models, rewarding, condoning, ignoring sends a clear signal to employees » (Ashforth et

Anand 2003, 6-7). Est-ce que ceci implique que les dirigeants sont les corrupteurs? Pas nécessairement « [...] both the situation and the person predict corruption » (Bendahan et al.

2015, 18). Les dirigeants sont aussi des acteurs qui valorisent l’appartenance au groupe. Ils peuvent être victimes d’ignorance collective et chercher comme n’importe quel individu à éviter une mauvaise perception de soi grâce à l’approbation du groupe. Il est possible que les actions de ces derniers au bénéfice du groupe aient des conséquences négatives pour le bien commun (Bendahan et al. 2015, 19). Par contre, les individus qui se retrouvent dans des positions de pouvoir, c’est-à-dire qui ont la discrétion et les méthodes nécessaires pour imposer leur vouloir sur autrui, sont généralement plus susceptibles d’être exposés à la corruption et y résistent difficilement (Bendahan et al. 2015, 2-3). Les employés vont imiter le comportement de leurs employeurs, ce qui peut contribuer à la création de normes de groupes qui tolèrent la corruption si ces comportements sont déviants (Taylor 2016, 2). La plupart du temps, les employés comprennent ce qui est acceptable ou pas dans une institution en observant le comportement de leurs supérieurs. Dans ce sens, l’éthique d’un groupe ou d’une organisation doit être soutenue par le comportement des dirigeants :

No code of ethics will work unless the environment—the tone at the top—supports it unconditionally [...] Managers not acting according to the code either introduce noise into the communication process or provide direct information that a convention does not really exist (Raval, 2013, 1-2).