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Approche naïve de la turbulence d’ondes

6.2 Turbulence d’ondes de surface

6.2.1 Approche naïve de la turbulence d’ondes

La surface de l’océan présente une phénoménologie analogue à celle de la turbulence hydrodynamique, où un grand nombre de structures coexistent et interagissent non linéairement dans un état stationnaire hors équilibre maintenu par l’existence d’un forçage (le vent) et de phénomènes dissipatifs associés entre autres à la viscosité. Ceci constitue ce que nous appelons la turbulence d’ondes. N’importe quel type d’onde peut mener à de tels états à l’exception notable des ondes électromagnétiques dans le vide, la possibilité d’interaction non linéaire étant indispensable ; par exemple,

• Les ondes de flexion dans des plaques métalliques fines. Ce régime non linéaire peut être mis en évidence en excitant grossièrement une telle plaque, un couplage acoustique rendant audibles des oscillations induites à des fréquences très différentes de celle du forçage.

• Les ondes électromagnétiques dans les milieux (optique non linéaire). Une expérience plus coûteuse mais aussi très démonstrative consiste à envoyer une impulsion laser infrarouge dans un cristal de saphir : si ce dernier est bien orienté, on observe en sortie une lumière blanche, signe d’une cascade directe d’énergie. Il est tentant de transposer l’approche de Kolmogorov à de tels systèmes pour prédire la répartition statistique d’énergie dans les différentes échelles spatiales et temporelles. Une différence fondamentale existe cependant entre un régime de turbulence d’ondes et la turbulence hydrodynamique, à savoir l’existence d’une vitesse de propagation. Ceci est trivial lorsqu’on considère la définition d’un « mode » dans ces deux domaines.

• En hydrodynamique, un mode est le résultat d’une décomposition en série de Fourier et sert de base pour l’expression de la solution totale. Plusieurs choix sont possibles suivant la géométrie du système et le phénomène étudié, les plus courants étant construits en exploitant l’existence de potentiels scalaire ou vecteur, conséquence respective du caractère irrotationnel et incompressible du champ de vitesse. Par exemple, il est souvent pertinent pour un écoulement bidimensionnel dans une boîte carrée de taille L × L de considérer les potentiels vecteurs ~Am,n définis par

~

Am,n(~r) = A0ei~k·~r~ez, ~k =

π

L(m~ex+ n~ey) , (6.34) m et n représentant le nombre de tourbillons dans les directions x et y. En l’absence de sollicitation extérieure, un tel écoulement est solution de l’équation de Navier-Stokes linéarisée inviscide avec conditions aux limites de non-pénétration. Dans le cas général, un faible nombre de modes peut, s’ils sont bien choisis, contenir l’essentiel de l’énergie et suffire pour discuter la dynamique à une certaine échelle. Quoi qu’il en soit, un mode hydrodynamique est une fonction de l’espace seulement, l’écoulement correspondant étant stationnaire. Bien qu’il soit possible de lui associer un temps caractéristique, celui-ci est relatif à son amplitude et sa structure spatiale (τ ∼ 1/(kv)), s’agissant de la durée mise par une particule de fluide pour revenir à sa position initiale.

• En physique des ondes, l’existence d’une ou plusieurs forces de rappel modifie radicalement la nature des solutions approchées en l’absence d’excitation extérieure. Celles-ci ne sont plus stationnaires mais dé- pendent du temps : il s’agit d’ondes, c’est-à-dire « de perturbations d’une grandeur physique se propageant de proche en proche dans un milieu » [187]. La base pertinente pour décomposer les solutions, analogue des modes de Fourier du cas précédent, est composée de modes propres, i.e. des « ondes ou vibrations de fréquence donnée pouvant se propager ou s’établir dans un système physique ». Ainsi, pour décrire la variation de la hauteur d’eau η(x, y, t) à la surface d’un récipient de dimension L×L, on pourra considérer les modes

ηm,n(~r, t) = η0ei~k·~reiωkt, ~k = π

L(m~ex+ n~ey) , (6.35) où ωk est une pulsation dépendant directement du vecteur d’onde ~k et du nouvel ingrédient introduit,

à savoir la force de rappel. Le temps caractéristique τ = 2π/ωk est totalement découplé de

101 L’ajout de cette nouvelle échelle de temps empêche de conclure directement par analyse dimensionnelle. En effet, pour caractériser une gamme inertielle, disons associée à un flux d’énergie, les paramètres à considérer sont :

• Le nombre d’onde k et l’amplitude ηk associée, similaires aux grandeurs ` et v`de la turbulence. On peut

remplacer ηk par sa densité spectrale de puissance Sη(k) (cf. annexe D) pour une description spectrale

continue.

• Le flux d’énergie par unité de masse de surface  ∼ P/(ρS), où P est la puissance injectée au système de surface S et de masse volumique ρ, analogue au paramètre P/(ρL3)de la turbulence hydrodynamique.

• La pulsation ωk des ondes à cette échelle.

Paramètre k ηk ou Sη(k)  ωk

Dimension L−1 L ou L3 L3· T−3 T−1

Table 6.2 – Paramètres caractérisant une échelle inertielle et dimensions associées Les dimensions associées étant résumées Tab. 6.2, nous obtenons,

ηk= k−1× F  k3 ω3 k  ⇐⇒ Sη(k) = k−3× G  k3 ω3 k  (6.36) où F et G sont des fonctions inconnues. L’étude de la cascade hydrodynamique a montré l’importance de , et l’équation précédente s’écrit aussi sous la forme

ηk = k−1× F  c  ⇐⇒ Sη(k) = k−3× G  c  , (6.37)

où c = (ωk/k)3 peut uniquement être interprété comme un « flux d’énergie critique » (par unité de masse de

surface) : on s’attend à ce qu’un phénomène physique se produise lorsque  ∼ c. Celui-ci ne peut pas être lié à

la dissipation, la viscosité n’ayant pas été introduite comme paramètre, et cquantifie la localité des interactions

non linéaires. Remarquons en outre qu’un tel flux critique n’existe pas en turbulence hydrodynamique (sinon il serait de même apparu dimensionnellement) : contrairement à la turbulence hydrodynamique, la turbulence d’ondes ne peut cascader localement qu’une puissance finie. Dans les régimes gravitaire et capillaire,  < c devient     < c⇐⇒ k < kcg= g−2/3 Régime gravitaire (6.38)  < c⇐⇒ k > kcc= ρ σ 2/3 Régime capillaire (6.39)

Nous reportons à plus tard l’étude de ces résultats, n’ayant pour l’instant pas encore tous les éléments permettant une analyse pertinente. Néanmoins, nous pouvons d’ores et déjà nous limiter au cas   cpour pouvoir compter

sur la localité des interactions. Dans cette limite, une approche usuelle en analyse dimensionnelle consiste à supposer que les fonctions F(x) et G(x) ont une limite finie non nulle pour x → 0, ce qui mène à

ηk ∼

c

k−1× F(0) ⇐⇒ Sη(k) ∼

c

k−3× G(0). (6.40)

Nous aboutissons à un résultat absurde : la gamme inertielle ne dépend pas du flux qu’elle transporte7. Ceci

n’est pas acceptable, F(x) et G(x) tendent donc vers une limite nulle ou infinie pour x → 0. On suppose alors une forme d’auto-similarité incomplète correspondant à F(x) ∼ xα(resp. G(x) ∼ xβ),

ηk ∼ c k−1×  k3 ω3 k α ⇐⇒ Sη(k) ∼ c k−3×  k3 ω3 k β . (6.41)

7. Autrement dit, nous nous attendons à la disparition de la gamme inertielle lorsque→ 0, i.e. ηk→ →00.

102 CHAPITRE 6. TURBULENCE D’ONDES ET THERMODYNAMIQUE Nous obtenons comme en turbulence hydrodynamique une loi d’échelle pour ηk, correspondant à un spectre en

loi de puissance. Cependant, ce résultat est limité par un flux maximal et nous ne connaissons pas l’exposant α. Pour étudier plus en détail la forme du spectre d’énergie, une méthode suggérée par (6.41) consiste à se placer dans le cas  → 0 pour deux raisons :

• D’une part, α continue à décrire la dynamique de la cascade, nous pouvons donc espérer le déterminer. • D’autre part, nous nous attendons à une réduction des non-linéarités dans la limite de faible amplitude.

En l’occurrence, il sera légitime de ne considérer que les interactions dominantes.

Cette démarche s’appelle la « théorie de la turbulence faible », que nous abordons en commençant par compléter ce que nous avons déjà montré chapitre 5 concernant les interactions non linéaires.

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