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I. Chapitre introductif

I.2. Objectifs et stratégie des travaux de thèse

I.2.2. Approche méthodologique

Ces travaux de thèse se basent sur une approche de paléoécologie moléculaire, consistant à utiliser l’ADN préservé dans les sédiments lacustres pour retracer les changements temporels dans les communautés biologiques du système. Une partie de l’ADN, extrait à partir des sédiments lacustres, provient des communautés pélagiques et benthiques du lac et peut être utilisée pour retracer les changements dans la richesse, l’abondance et la composition de la communauté microbienne lacustre. Les outils de biologie moléculaire appliqués à l’ADN sédimentaire au cours des 10 dernières années ont été majoritairement utilisés pour cibler des groupes spécifiques de protistes et de cyanobactéries et rarement via le séquençage à haut débit de l’ADN (principalement qPCR, PCR-DGGE ; Coolen et al. 2004, Stoof-Leichsenring

et al. 2012, Domaizon et al. 2013, Savichtcheva et al. 2015). Bien que de plus en plus utilisé dans les études de diversité microbienne, notamment concernant les protistes et les champignons (Taïb et al. 2013, Logares et al. 2014, Adl et al. 2014, de Vargas et al. 2015, Filker et al. 2016), le séquençage à haut débit de l’ADN n’a été pour l’instant appliqué qu’une seule fois sur l’ADN sédimentaire pour étudier le plancton eucaryote via une approche rétrospective (Coolen et al. 2013). Compte tenu du potentiel du séquençage à haut débit appliqué à l’ADN sédimentaire pour retracer la dynamique temporelle des communautés microbiennes eucaryotes des écosystèmes aquatiques, les travaux présentés dans ce manuscrit sont basés principalement sur l’utilisation de cette méthode. Des carottes sédimentaires provenant de plusieurs lacs (en France, en Suède et au Groenland) et couvrant des cadres temporels contrastés (de 40 ans à 2000 ans), ont été utilisées pour répondre à des questions portant sur des aspects méthodologiques et écologiques (Tableau I.2). Les méthodes et protocoles mis en œuvre sont détaillés dans chaque chapitre correspondant aux principaux résultats acquis. L’approche utilisée est décrite ci-dessous et dans la Figure I.15.

Tableau I.2. Caractéristiques des carottes sédimentaires utilisées dans ces travaux de thèse.

Nom des carottes Lacs

Année de prélève ment Période temporelle (années) Questions

LDB13-I Bourget (France) 2013 2000 écologie

Iga-2013 Igaliku (Groenland) 2013 2000 écologie

LDA_09_P2_03 Annecy (France) 2009 100 écologie

LDB_09_P2_02 Bourget (France) 2009 100 écologie/méthodologie

Nylandssjön-2007 Nylandssjön (Suède) 2007 40 méthodologie

42 Figure I.15. Approche méthodologique appliquée dans ces travaux de thèse.

43 Ce travail s’appuie sur une démarche pluridisciplinaire mobilisant des compétences complémentaires notamment pour les aspects concernant les analyses sédimentologiques réalisées sur des carottes de références (mesure des concentrations en éléments minéraux et matière organique, reconstruction des teneurs en phosphore basée sur le comptage de restes de diatomées ou de daphnies) et les datations (par détection de marqueurs lithologiques, comptage des varves quand possible et mesure des activités radionucléides). Ces analyses ont été réalisées au cours de la période 2009-2014 par plusieurs scientifiques des laboratoires EDYTEM (Bourget-du-lac), CARRTEL, Chrono-environnement (Besançon) et de l’équipe de paléolimnologie de l’Université d’Umeå (en Suède).

Le cœur de ces travaux de thèse repose sur les analyses moléculaires à partir des archives sédimentaires en complément du corpus d’études réalisées à l’aide d’autres outils de paléoécologie (comptages des restes d’organismes, lipides, voir Perga et al. 2015 pour synthèse). Chacune des carottes sédimentaires dédiée aux analyses moléculaires est découpée longitudinalement et des couches sédimentaires sont prélevées (épaisseur de 0.5 ou 1 cm en fonction des taux de sédimentation connus et des datations). Seul le centre de chaque couche sédimentaire est échantillonné pour les analyses moléculaires afin d’éviter toute contamination externe (pendant le prélèvement, le stockage de la carotte à 4 °C ou la prise en main de la carotte). L’ADN présent dans chaque couche sédimentaire est extrait à partir de 0.5 g de sédiments à l’aide d’une méthode permettant l’extraction d’ADN intra et extra cellulaire (kit Macherey-Nagel, Düren, Germany). Afin de cibler les micro-eucaryotes (protistes et champignons), l’amplification par PCR est réalisée sur des portions géniques retrouvées dans le génome de tous les eucaryotes et dont l’analyse permet la discrimination et l’affiliation taxonomique. Dans ces travaux de thèse, les analyses du chapitre II sont basées sur le séquençage à haut débit (méthode de pyroséquençage 454) d’une portion génique de 350 pb (région V4 du gène codant pour l’ARNr 18S) car les données provenant de la masse d’eau ont été acquises dans le cadre de l’observatoire des lacs pour le suivi mensuel de la communauté microbienne eucaryote. Tous les autres travaux présentés dans cette thèse (chapitres III, IV et V) ont été réalisés par le séquençage haut débit (MiSeq Illumina) d’une partie de la région V7 du gène codant l’ARNr 18S (260 pb). Le fragment ciblé est plus court ce qui permet de retracer de l’ADN plus ancien, prompt à la fragmentation au cours du temps par des processus diagénétiques dans les sédiments (voir description partie I.1.1.4). L’amplification de l’ADN extrait de sédiments du lac du Bourget (carotte LDB13-1) a été testée sur des fragments V4 et V7 ; alors que la portion génique correspondant au fragment

44 court (260 pb) a été amplifiée à partir de sédiments correspondant à toute la période ciblée (environ 2000 ans), après 1000 ans, aucune amplification n’a été détectée pour les fragments longs. Pour les travaux portant sur l’écologie des lacs (chapitres IV et V) et la question de l’enfouissement de l’ADN au cours du temps dans les échantillons du lac Nylandssjön (chapitre III), nous avons choisi d’utiliser le fragment court (région V7, 260 pb) pour s’assurer d’obtenir une image plus représentative de la communauté biologique du lac. Tout au long de la procédure permettant d’obtenir des tables d’abondance d’OTUs à partir de sédiments, des précautions sont mises en place pour s’assurer de la fiabilité des inventaires moléculaires obtenus notamment via l’utilisation de blouses et gants stériles. De plus, le sous échantillonnage des couches sédimentaires, l’extraction de l’ADN et l’amplification PCR sont des étapes réalisées dans 3 pièces différentes dédiées à chaque tâche et sous hôte à flux laminaire. A chaque étape, des contrôles négatifs (des tubes Eppendorf de 1.5 mL contenant 500 µL d’eau ultra pure) permettent de vérifier la présence de contamination des échantillons. En complément, deux inventaires moléculaires sont séquencés pour chaque couche sédimentaire correspondant à deux extractions d’ADN. Seuls les OTU présents dans les deux inventaires sont gardés pour les travaux portant sur les analyses écologiques afin d’éviter un potentiel biais lié à l’hétérogénéité de la répartition de l’ADN au sein des couches sédimentaires (chapitres IV et V) et des biais d’amplification par PCR. Par la suite, le traitement bioinformatique des données issues du séquençage à haut débit permet d’obtenir pour chaque couche sédimentaire des tables d’abondance d’OTUs. Cette étape, détaillée dans les chapitres correspondant aux travaux, a été réalisée par Didier Debroas au sein du laboratoire LMGE (Aubière).

Dans les domaines de l’écologie microbienne, l’écologie temporelle et la paléoécologie, plusieurs outils/méthodes analytiques et statistiques sont utilisées pour étudier la dynamique des communautés et leurs réponses aux forçages environnementaux (Ramette 2007, Legendre & Legendre 2012, Dornelas et al. 2012, Buttigieg & Ramette 2014). Les outils utilisés dans ces travaux, principalement appliqués via le logiciel R, permettent d’étudier :

(i) les variations temporelles et points de basculements des indices de diversité de la communauté (estimateur de richesse Chao1, indice de diversité de Shannon et indice de Simpson, indice d’équitabilité de Pielou). Ces indices ont été transformés pour être exprimés sous la forme des nombres de Hill dans les travaux du chapitre IV (Jost 2007, Gotelli & Chao 2013, Chao et al. 2014, Hsieh et al. 2016) qui permettent une appréhension plus intuitive de la notion de biodiversité (nombres équivalent d’espèces effectives). La présence de points de

45 changements dans la dynamique temporelle de ces indices est étudiée via l’analyse bayesian change point (bcp ; Erdman & Emerson 2007). L’analyse bcp calcule une valeur de probabilité de changements pour chaque paire de dates consécutives (valeurs entre 0 et 1) permettant d’estimer la présence de points de changements dans la série temporelle.

(ii) la modification temporelle dans la structure de la communauté : dans ces travaux de thèse, deux méthodes sont utilisées. La première méthode n’implique pas de contrainte temporelle comme variable et se base sur le calcul de l’indice de dissimilarité Bray-Curtis à partir des données d’abondance des OTUs dans chaque échantillon (ou d’indice de dissimilarité de Jacard basé sur les présences/absences des OTUs). Les matrices de dissimilarité obtenues peuvent être visualiser sous forme de graphique à 2 axes (analyse nMDS) ou sous forme d’arbre hiérarchique clustérisant les échantillons (hierarchical clustering tree) (Oksanen et al. 2015). Des groupes d’échantillons (suivant une trajectoire temporelle ou non) peuvent ainsi être déterminés (et confirmés par analyse statistique de type ANOSIM) et mettre en évidence les changements temporels abrupts dans la structure de la communauté. La deuxième méthode dite multivariate tree regression (MRT; De’ath 2002) inclue le temps comme variable et permet de détecter des points de basculements dans la structure des communautés. Elle est basée sur le partitionnement des données de chaque échantillon en fonction des données d’abondance et sur la cross-validation des résultats (Borcard et al. 2011).

(iii) les réarrangements au sein de la communauté : grâce à la méthode SIMPER, il est possible de mettre en évidence la contribution des changements d’abondance des OTUs dans les réarrangements temporels de la communauté. Les réarrangements au sein de la rare biosphère, suspectée d’avoir un rôle important dans la réponse de la communauté aux perturbations, sont étudiés dans ces travaux de thèse par l’étude d’OTUs caractérisées par de larges oscillations au cours du temps entre des états rares et abondants (oscillating OTUs). (iv) les effets de forçages environnementaux sur les communautés au cours du temps via l’analyse GAM (generalized additive models; Hastie & Tibshirani 1986, Simpson & Anderson 2009, Wood 2015). Le GAM est une méthode de régression non linéaire permettant de montrer quand le prédicteur (composé d’une somme de fonctions pas forcément paramétriques), affecte une variable réponse. Cette méthode permet de mettre en évidence la contribution de plusieurs facteurs de forçage à la variation temporelle dans les paramètres de la communauté (richesse, diversité, structure de la communauté totale ou de groupes spécifiques ou même de modules constituant les réseaux de cooccurrence). La figure

ci-46 dessous présente le graphique illustrant la contribution de deux facteurs de forçages (predicteurs) à une variable réponse (par exemple la richesse d’une communauté). Les 4 types de contributions mis en évidence par cette figure montre notamment qu’il est possible de hiérarchiser l’importance relative de chaque forçage aux changements dans la réponse variable (Figure I.16).

Figure I.16. Analyses GAMs. Figure illustrant la contribution relative de deux predicteurs aux changements dans une variable réponse.

(v) la structuration des assemblages en réseaux de cooccurrence. Ces analyses permettent de mettre en évidence des groupes d’OTUs interconnectés (modules) qui semblent être corrélés au cours du temps (synchronie dans leur abondance relative), de rechercher des modules communs inter-écosystèmes ou encore de mettre en évidence les liens entre ces modules et les modifications environnementales. Plusieurs méthodes sont utilisées par les écologues microbiens pour créer des réseaux de cooccurrence à partir de données d’abondance d’OTUs (voir synthèse de Faust & Raes 2012 et Faust et al. 2015). Dans ces travaux de thèse, la méthode dite WGCNA (Langfelder & Horvath 2008), est utilisé pour créer des réseaux de cooccurrence à partir de données temporelles comme précédemment appliquées dans plusieurs études d’ecologie microbienne basées sur des données spatiales (Aylward et al.

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