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Apprentissages linguistiques chez l’enfant et le sujet mature

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CHAPITRE 1 : DEFINITION DU SPECTRE DES IMITATIONS ET DE SES FONCTIONS

2.3 L’ IMITATION COMME STRATEGIE D ’ APPRENTISSAGE AU LONG DE LA VIE

2.3.2 Apprentissages linguistiques chez l’enfant et le sujet mature

Acquérir sa langue maternelle ou apprendre une langue étrangère constitue un enjeu d’adaptation : il s’agit pour celui qui apprend de pouvoir s’intégrer à son environnement et interagir avec les autres membres de l’espèce. On relève dans la littérature de rares cas d’être humain ayant appris une langue maternelle trop tard ou ayant refusé d’apprendre une langue étrangère.

Dans le premier cas, nous faisons référence aux enfants sauvages (par exemple, Victor de l’Aveyron) qui ont intéressé les chercheurs travaillant autour de la question d’une période critique pour l’apprentissage de la langue maternelle (ou des langues étrangères). Outre le rapport du Dr. Itard qui a tenté de socialiser l’enfant31, son histoire est relatée par le film de

François Truffaut, « L’enfant sauvage ».

Le second cas auquel nous faisons référence est relaté par l’écrivain et réalisateur Emmanuel Carrère : dans un reportage pour Envoyé Spécial « Le soldat perdu », le film « Retour à Kotelnitch » et le livre autobiographique Un roman russe, Carrère raconte son voyage sur les traces d’un prisonnier de guerre hongrois, interné dans l’hôpital psychiatrique de Kotelnitch en Russie. Il y est resté enfermé 55 ans, dans un isolement quasi absolu, sans vouloir parler russe. Il n’était, au début de son internement, nullement atteint de pathologies psychiatriques : son cas serait dû à son refus d’apprendre le russe et à « l’omission » du personnel soignant qui n’a pas cherché à savoir quelle langue il parlait.

Pourtant, si l’on se prête au jeu, il est possible de reproduire les sons d’une langue inconnue (même si cela peut rester imprécis). L’apprentissage de l’oral en classe de langue étrangère repose d’ailleurs grandement sur ce ressort : sans forcément comprendre le contenu des énoncés auxquels ils sont confrontés, les apprenants débutants essayent tout de même de reproduire des mots qui ne font pas encore partie de leur système. Ils produisent alors une imitation en parole.

Puren (1988, pp. 151–159) mentionne d’ailleurs dans son histoire des méthodologies l’existence d’une « méthode imitative » au début du vingtième siècle. Parfois aussi appelée « méthode d’imitations », elle est décrite comme faisant partie de la méthode directe. Le terme de méthode imitative faisait alors référence à l’acquisition de la langue par les enfants qui, dans les termes des didacticiens de l’époque rapportés par Puren (1988, p. 152),

« produisent une imitation acoustique pure » des sons entendus dans leur entourage bien qu’ils ne les comprennent pas. Cette méthode essayait donc d’exploiter la capacité d’imitation humaine comme un médiateur de l’apprentissage.

D’après Puren, considérer la notion d’imitation dans l’apprentissage de la langue était à l’époque un moyen d’envisager les questions liées à l’enseignement de la prononciation. Puren, dans son Histoire des méthodologies cite un propos qui devrait intéresser le didacticien s’intéressant à l’enseignement de la prononciation comme le chercheur en sciences du langage :

La méthode d’imitation a tort de croire l’oreille infaillible et qu’il suffise de bien parler la langue pour bien l’enseigner à des étrangers. F.M. Vipan, d’après Camerlynck (1907, p. 177)32, cité par Puren (1988, p. 155).

Ce propos préfigure avec quelques décennies d’avance l’hypothèse de travail de la MVT selon laquelle l’apprenant serait trompé par sa perception : on y retrouve en filigrane des notions liées à la perception des L2, notamment la difficulté de catégorisation des sons d’une L2.

En termes d’imitation et d’apprentissage/acquisition des langues, il peut à présent être opportun de faire référence à la notion de crible phonique proposée par Billières (1988) afin de cheminer du parcours de l’apprenant de L2 à celui de l’enfant (Figure 5).

Figure 5 : Le crible phoniqueet les paliers représentants différentes couches de l’oral. D’après Billières (1988).

Ce schéma nous semble important pour résumer l’expérience de l’apprenant débutant une L2 en termes d’imitations phonétiques. Lors des premiers cours, exposé à un système linguistique nouveau, l’apprenant va chercher à comprendre ce qu’il perçoit. Très rapidement,

32

Camerlynck G., (1907). « La phonétique et ses applications possibles à l’enseignement de la prononciation. Discussions. Extraits d’une communication faite au Congrès de l’Association belge des Professeurs de langues vivantes, tenu à Gand du 18 au 22 septembre 1906 ». Les Langues Modernes (5), pp. 172-178

son objectif consistera donc à segmenter les mots et à les reproduire, ce qui, dans une certaine mesure, est possible dès les premières minutes d’un cours d’une langue jusqu’alors inconnue. Ceci dit, il est probable que l’apprenant se raccroche aux phonèmes, car ils véhiculent le sens porté par le lexique. En reproduction, il est tout à fait probable que les structures profondes de l’oral (rythme et intonation) soient celles de la L1 de l’apprenant, sur lesquelles sont collés les mots de la L2… Métaphoriquement, l’apprenant produirait alors une imitation parolière de surface : il ne produirait que la partie émergée de l’iceberg, le premier palier (Figure 5).

A contrario, l’enfant ne prononce pas les mots d’emblée : les vocalisations sont au

début limitées aux sons articulés aux extrêmes de l’appareil phonateur, comme /p/ /t/ /m/, et à quelques voyelles ouvertes (Renard, 1979, p. 16). Les combinaisons consonnantiques du français sont d’ailleurs produites avec précision assez tardivement par les enfants français dont les taux d’erreurs phonétiques restent parfois très élevés jusqu’à trois ans (Nocaudie, Köpke, Giraudo, & Calderone, 2015). Cependant, malgré ces erreurs de surface, les aspects rythmiques et prosodiques seraient acquis assez tôt par l’enfant. D’après de Boysson-Bardies (1996), les babillages des enfants de dix-huit mois seraient complètement imbibés par la langue de l’entourage de l’enfant. Nous retrouvons ici une trace des paliers évoqués dans la Figure 5 : l’enfant acquérant sa L1 fixerait en premier le niveau suprasegmental de sa langue (rythme et intonation) avant d’en acquérir le niveau segmental véhiculant le lexique et les concepts.

Disposant de plus de temps que l’apprenant pour acquérir sa L1 ainsi que la communication, l’enfant n’est par ailleurs pas court-circuité par un système linguistique préexistant. Ainsi, nous pourrions maladroitement dire que l’enfant peut être assimilé à un support vierge de toute inscription (l’enfant percevrait tout de même des sons avant sa naissance : voir Granier-Deferre & Schaal, 2005). Cette image suggèrerait que l’enfant a des possibilités initiales très étendues en ce qui concerne sa perception et son registre de vocalisations.

A notre sens, l’enjeu de l’acquisition de la L1 par l’enfant consiste à sélectionner des éléments pertinents pour pouvoir agir dans son environnement. En fonction de ce qu’il capte, celui-ci modèlerait son système perceptif de façon à faciliter le traitement des unités qu’il rencontre fréquemment. C’est par exemple ce que décrivent Kuhl et al. (2008) dans la théorie du Native Language Magnet expanded, quand ils proposent que les enfants forgent des liens entre perception et production des phonèmes par le biais de ses interactions sociales (soit ses

care givers). Pour ces chercheurs, l’exposition de l’enfant aux sons de sa langue et le fait qu’il

les imite vocalement lui permettraient de faire un mapping audio articulatoire et donc de renforcer ses représentations phonologiques. Pour Kuhl et al. (2008) l’acquisition de la L1 aurait pour médiateur les comportements imitatifs produits par l’enfant.

Messum (2007a) adopte un point de vue différent : dans sa thèse, celui-ci développe l’idée que l’enfant ne ferait pas ses premières vocalises par imitation. Ce seraient les imitations du care giver qui permettraient à l’enfant de comprendre peu à peu comment les choses sont dites. En effet, dans sa perspective, le très jeune enfant n’aurait pas encore appris à imiter et ses premières vocalises seraient dues au hasard. En revanche, le care giver induirait le sens des vocalises de l’enfant et proposerait en retour une imitation orientée de ce que l’enfant aurait dit. Ainsi, Messum estime que ce ne sont pas les imitations de l’enfant qui jouent un rôle prépondérant dans les premiers développements langagiers de l’enfant, mais bien celles de l’adulte.

Quel que soit le point de vue adopté sur la question, nous pouvons tout de même mettre en exergue le rôle des comportements imitatifs (de l’enfant ou de l’adulte) dans l’acquisition et l’apprentissage de l’oral. Imiter et être imité, une dichotomie fondamentale pour Nadel (2005), a aussi une fonction dans nos apprentissages linguistiques.

Durant ce chapitre, nous avons décrit les différents types de comportements imitatifs, envisagés en fonction de l’intentionnalité qu’a le sujet de les produire, puis en fonction de sa compréhension des actions du modèle, sa reproduction du comportement observé et l’atteinte du but de l’action.

Par la suite, nous avons illustré au moyen d’exemples trois grandes fonctions des comportements imitatifs : l’adaptation au milieu ; la communication et l’apprentissage. Concernant la fonction d’apprentissage des comportements imitatifs, nous avons finalement considéré le cas de l’acquisition de la langue maternelle par l’enfant et de l’apprentissage d’une langue étrangère par le sujet mature.

Chapitre 2 : Des structures neuronales et cognitives de

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