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Appréhender les relations citadins – oiseaux via les discours : contexte d’étude,

méthodologique

« L’oiseau et moi, nous nous entendions, mais à distance, comme il convient à des êtres d’espèce animale ayant eu, sans retour possible, une évolution parfaitement divergente. »

Henri Michaux, Vents et poussières, 1955.27

Cette recherche a été initiée par deux orientations majeures des interrogations scientifiques actuelles : d’une part l’ouverture de la géographie française aux animaux, d’autre part la prise en compte croissante des sociétés dans les études sur la biodiversité. A la croisée de ces deux champs de questionnement, l’appréhension des relations humains-animaux en contexte urbain dense s’impose. Un espace aussi peuplé et aussi contraint que le Grand Paris n’est pas pour autant exempt d’animaux autres qu’humains. Les appréciations qu’ont les citadins de ces derniers se posent alors avec acuité, d’autant que la biodiversité fait désormais l’objet de politiques publiques spécifiques visant son développement en ville. A ce titre, les oiseaux apparaissent comme un modèle pertinent. Grâce au développement de l’ornithologie urbaine, on dispose de données de répartitions et d’effectifs, auxquelles on peut référer les discours produits (Raymond, 2004). Les discours et les représentations sont également informés par l’expérience (Guillet et al., 2015), or les oiseaux comptent parmi les animaux les plus susceptibles d’être croisés par les citadins (Campbell, 2007), et présentent une diversité spécifique dans le Grand Paris (Corif-LPO, 2017; Malher et al., 2010b).

Il s’agit d’abord de définir le territoire d’étude et les populations humaines et aviaires qui y vivent. Les hypothèses d’appréciations des oiseaux par les citadins sont ensuite questionnées à travers la notion de « juste place » des animaux (Mauz, 2002), notion qui nécessite d’être redéfinie dans un contexte urbain. Enfin, le dispositif méthodologique choisi pour appréhender ces appréciations articule des approches quantitatives et qualitatives afin de saisir la diversité des discours tenus par les habitants et les gestionnaires de la ville.

27 M

1. Des citadins et des oiseaux dans un Grand Paris en construction

En regroupant sur moins de 1 % du territoire métropolitain plus de 16 % de la population nationale, l’agglomération parisienne28

constitue un milieu anthropisé par excellence. Elle est de ce fait apparue comme un terrain pertinent pour étudier les relations aux animaux. L’ensemble de cette agglomération présentant des densités de population et des morphologies urbaines différentes entre son cœur et ses marges, je me suis concentrée sur sa zone centrale, dans une volonté d’étudier la ville dense. Ce centre d’agglomération, que je désigne par Grand Paris, a des contours fluctuants selon les définitions retenues. Le manque de précision dans les définitions des villes étudiées lors de la revue bibliographique réaffirme l’importance de borner mon terrain d’étude. Or ce que l’on appelle aujourd’hui « Grand Paris » est un échelon territorial en construction, et peut donc renvoyer à différentes limites territoriales.

J’ai retenu en début de thèse les limites administratives des départements de la petite couronne autour de Paris. Cette délimitation correspond à celle adoptée en 2013 par l’Atelier parisien d’urbanisme pour réaliser son atlas du Grand Paris (APUR, 2013). Cette entité correspond aujourd’hui, à 7 communes près, à la Métropole du Grand Paris (MGP)29

, instituée le 1er janvier 2016 à la suite des lois MAPTAM30 et NOTRe31. J’emploierai le terme de Grand Paris pour désigner l’entité géographique de mon espace d’étude, soit Paris et la petite couronne, et non l’entité politique (la MGP)32. C’est en effet la concentration de population et

de bâti qui m'intéresse dans l’étude des interactions entre citadins et oiseaux, et non la métropole comme processus de gouvernance. Sont d’abord présentés le territoire et ses

28 L’agglomération parisienne est ici définie au sens morphologique d’une continuité de bâti et de population

(soit ce que l’INSEE nomme unité urbaine).

29 La Métropole du Grand Paris crée une gouvernance intercommunale qui réunit la Ville de Paris et les 124

communes des trois départements de la petite couronne, auxquelles s’ajoutent 7 communes volontaires de grande couronne : la commune d’Argenteuil rattachée au territoire Boucles Nord de Seine (T5) et les 6 communes de l’ex EPCI des Portes de l’Essonne rattachées au territoire Grand-Orly Seine Bièvre (T12). Voir

http://www.metropolegrandparis.fr/fr/content/perimetre-et-territoire pour une carte de l’ensemble des 12 territoires de la MGP.

30 Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014. 31

Loi portant nouvelle organisation territoriale de la république du 7 août 2015. La loi MAPTAM crée la MGP et la loi NOTRe la renforce.

32 L’expression « métropole parisienne » pourra également être employée comme synonyme du Grand Paris tel

que délimité ici. Je la distingue de la Métropole du Grand Paris qui renvoie à l’entité politique incluant en plus les communes de grande couronne.

habitants, puis l’avifaune qui s’y adapte, enfin les dispositifs mis en place par les collectivités pour favoriser la biodiversité dans leurs territoires.

1.1. Le Grand Paris et ses habitants

Défini comme Paris et les trois départements de petite couronne, le Grand Paris couvre 762 km² et compte près de 6,8 millions d’habitants en 2015 (tableau 2-1). Il concentre donc plus de 60 % de la population de l’agglomération parisienne sur seulement un quart de sa superficie. Les densités de population y sont logiquement supérieures à la moyenne de l’agglomération : près de 9 000 hab/km² en moyenne dans le Grand Paris et plus de 20 000 hab/km² dans la ville-centre, contre 3 700 hab/km² dans l’ensemble de l’agglomération parisienne (tableau 2-1). Ces concentrations de population s’accompagnent d’une concentration du bâti (carte 2-1), puisque 85 % du territoire du Grand Paris est artificialisé (Zucca et al., 2013). Population (2015) Superficie (km²) Densité (hab/km²) Habitat collectifa Paris (75) 2 206 488 105,4 20 934 96,8 % Hauts-de-Seine (92) 1 601 569 175,6 9 120 86,8 % Seine-Saint-Denis (93) 1 592 663 236,2 6 741 74 % Val-de-Marne (94) 1 372 389 245 5 601 76 % = Grand Paris 6 773 109 762,2 8886 86,4 % MGP 7 200 000 814 8598 Agglomération parisienne 10 706 072 2 845 3 763 78,8 % France 64 301 000 550 000 104 44 %

a Part des appartements dans le total des logements en 2016.

Sources : INSEE33 ; (Métropole du Grand Paris, 2018).

Tableau 2-1 – Les densités de population et d’habitat collectif dans le Grand Paris comparées aux échelles régionale et nationale.

Contrairement à la moyenne nationale, l’habitat collectif domine très largement dans la ville-centre (Paris intra-muros) et dans une moindre mesure dans la frange intérieure de la

33 https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=DEP-92+DEP-93+DEP-75+DEP-94+UU2010- 00851+France -1, consulté le 20/07/2018.

petite couronne (tableau 2-1). L’habitat individuel se développe à mesure que l’on s’éloigne du centre pour représenter l’occupation du sol majoritaire dans les franges extérieures du Grand Paris. On observe un classique gradient d’urbanisation concentrique, bien que les densités de bâti collectif soient plus importantes au nord-ouest, tandis que l’est du Grand Paris est largement dominé par l’habitat individuel (carte 2-1). Les espaces végétalisés publics augmentent en surface et en densité également à mesure que l’on s’éloigne de la ville- centre : ils représentent moins d’un cinquième de la superficie parisienne (bois compris), et plus du quart de celles des départements de petite couronne, qui sont en outre largement plus pourvus en espaces végétalisés privés que l’intra-muros (tableau 2-2 et carte 2-1). La concentration des densités et des surfaces bâties autour de Paris s’étend plus fortement au nord du périphérique (carte 2-1).

Surfaces végétalisées

(brut / en part de la superficie totale)

Publiques Privées Total

Paris (bois compris) 18,8 km² 18 % 5,1 km² 5 % 23,9 km² 23 %

Hauts-de-Seine 51,3 km² 29 % 50,2 km² 29 % 101,5 km² 58 %

Seine-Saint-Denis 62 km² 26 % 61,8 km² 26 % 123,8 km² 52 %

Val-de-Marne 70,2 km² 29 % 64,7 km² 26 % 134,9 km² 55 %

Total Grand Paris 202,3 km² 26,5 % 181,8 km² 24 % 384,1 km² 50 %

Source : APUR 2010, calculs de Louise Gerber 2012, tableau adapté à partir de Riboulot-Chetrit, 2016.

Tableau 2-2 – Part des surfaces végétalisées publiques et privées dans le Grand Paris

Carte 2-1 – Mode d’occupation du sol en 2012 dans le Grand Paris.

Carte 2-2 – Profil social de la population des ménages par commune en 2008 (d’après

A ces différentes morphologies urbaines s’ajoutent des disparités socio-spatiales. Une opposition est/ouest structure la métropole parisienne, avec une surreprésentation des professions à hauts revenus (ingénieurs, cadres, professions libérales) à l’ouest, et des ménages aux profils plus modestes à l’est (carte 2-2). En plus de cette ligne de fracture, Anne Clerval et Matthieu Delage définissent un type particulier à la ville-centre, les « professions culturelles ». A l’exception des quartiers ouest dont le profil rejoint celui des communes huppées des Hauts-de-Seine voisines, les arrondissements parisiens sont caractérisés par une forte présence des « professions de l’information, des arts et des spectacles et des étudiants » (Clerval & Delage, 2014, p. 5), auxquels s’ajoute une augmentation des « cadres et professions intellectuelles supérieures ». Cette spécificité de Paris intra-muros « est le résultat d’une gentrification généralisée des anciens quartiers populaires parisiens » (ibid). En-deçà de ces grandes tendances, il convient enfin de rappeler que « la division sociale de l’espace […] se joue de plus en plus au niveau infracommunal » (Clerval & Delage, 2014, p. 7). Les disparités socio-spatiales se déploient donc également à l’échelle du quartier, notamment dans les arrondissements est et périphériques de Paris intra-muros, comme l’analysent Anne Clerval et Matthieu Delage en détaillant les profils sociaux à l’IRIS dans l’est de la métropole. Les dynamiques sont ainsi à un renforcement de la division socio-spatiale dans le Grand Paris, qui se joue à toutes les échelles.

Au-delà de ces concentrations de population humaine et de la forte proportion de surface bâtie, le Grand Paris accueille également une diversité d’autres animaux, parmi lesquels les oiseaux sont particulièrement suivis et documentés.

1.2. Panorama de l’avifaune parisienne

Bien que la tradition ornithologique soit plus récente en France que dans les pays anglo- saxons (Chansigaud, 2007), les oiseaux sont un taxon animal très tôt renseigné à Paris (Henry & Maurin, 1997). Les premiers ouvrages d’ornithologie parisienne remontent à la fin du 19e siècle34. Les sources de données actuelles sont principalement le fait des associations locales.

34

Dès 1874 Nérée Quépat (de son vrai nom René Paquet) publie son Ornithologie parisienne qui constitue le premier ouvrage sur le sujet, bien qu’il ne soit pas exhaustif (APUR, 2006, p. 134) : PAQUET R., 1874,

Ornithologie parisienne ou Catalogue des oiseaux sédentaires et de passage qui vivent à l'état sauvage dans l'enceinte de la ville de Paris, Paris, J-B Baillère & Fils, 74 p.

Les ornithologues du Corif35, fusionné depuis le 1er janvier 2018 avec la LPO36 pour créer la délégation de la LPO Ile-de-France, ont entrepris depuis une quarantaine d’années de recenser les espèces d’oiseaux observées dans Paris et sa région. Ces connaissances sont synthétisées dans des ouvrages monographiques d’ornithologie urbaine37

. Ces ouvrages se sont appuyés sur les limites administratives de la Ville de Paris et de la région Ile-de-France. Les dernières données disponibles sont donc à l’échelle de Paris intra-muros ou de l’ensemble de la région francilienne. L’ouvrage Oiseaux nicheurs de Paris (Malher et al., 2010b) a présenté la nouveauté de se constituer en atlas et de localiser ainsi les espèces nicheuses dans Paris intra- muros. La mise à jour des données sur les oiseaux franciliens lui fait suite, ajoutant aux monographies des espèces nicheuses de la région (Le Maréchal et al., 2013) des cartes de localisation par mailles de 10 km de côté, sur le modèle de l’atlas parisien (Corif-LPO, 2017).

Prenant en compte les évolutions du territoire et l’émergence de la Métropole du Grand Paris, les comptages effectués en vue d’actualiser l’atlas le sont à cette nouvelle échelle. La publication de l’atlas du Grand Paris étant prévue pour l’automne 202038, je n’ai malheureusement pas pu accéder à ces nouvelles données qui correspondent à mon espace d’étude car elles sont encore en construction, comme le Grand Paris. La liste détaillée des espèces nicheuses dont je dispose ne concerne donc que le centre de mon terrain d’étude, soit Paris intra-muros (annexe 2-1).

1.2.1. Une soixantaine d’espèces nicheuses au cœur du Grand Paris

Les dernières données disponibles pour Paris intra-muros datent de comptages par mailles carrées de 1 km de côté effectués par les ornithologues bénévoles du Corif de début 2005 à fin 2008. Le découpage de Paris en carrés se tenant aux limites de l’intra-muros, il

35

Centre Ornithologique d’Ile-de-France, association née en 1982 par réunion du GOP (Groupe Ornithologique Parisien, créé en 1966) et de l’APO (Association Parisienne Ornithologique, créée en 1975). (Source : http://www.corif.net/index.php?pg=bi, consulté le 20/07/2018.)

36

Ligue pour la Protection des Oiseaux. Association loi 1901 créée en 1912 pour dénoncer le massacre du Macareux moine (Fratercula arctica) en Bretagne, elle a depuis « pour objectif d’agir pour l’oiseau, la faune

sauvage, la nature et l’Homme, et de lutter contre le déclin de la biodiversité » (https://ile-de-france.lpo.fr/lpo-

ile-de-france/article/qui-sommes-nous, consulté le 20/07/2018). Reconnue d’utilité publique en 1982, elle agit au

niveau national à travers des associations locales, des groupes, des relais et des centres de sauvegarde.

37 Les oiseaux de la région parisienne et de Paris de Normand et Lesaffre, premier ouvrage exhaustif

d’ornithologie de la région parisienne, paraît en 1977 à l’initiative de l’AOP. (Source : http://www.corif.net/index.php?pg=bi, consulté le 20/07/2018).

38 Entretien avec Frédéric Malher, ex-président du Corif et aujourd’hui responsable de la délégation Ile-de-

France de la LPO (cf annexe 6-1). La méthode des comptages par carré demande plusieurs années de suivi pour arriver à des estimations de présence et d’effectifs fiables.

exclut les deux bois et couvre une superficie de 87 km². Soixante espèces nicheuses, certaines ou probables, sont recensées dans la partie intra-muros de Paris, environ 70 en ajoutant les bois de Vincennes et Boulogne (Malher et al., 2010b). Si l’on prend en compte les espèces migratrices de passage et/ou hivernantes dans la capitale, ce sont alors 157 espèces que l’on peut potentiellement observer tout au long de l’année (Mairie de Paris, 2019). Bien que le statut de certaines espèces ait évolué depuis la publication de l’atlas39, les responsables de l’ex

Corif ou de la LPO Ile-de-France confirment que les dynamiques globales de l’avifaune parisienne restent sensiblement les mêmes.

Les auteurs trouvent une moyenne de 20,4 espèces nicheuses par maille de 1 km², avec une variation fortement corrélée à la morphologie urbaine. Les mailles les plus riches sont celles comportant des grands parcs parisiens (Jardin des Plantes et Buttes-Chaumont, 39 espèces chacun), tandis que les mailles les plus pauvres en espèce se trouvent entre l’île de la Cité et la gare du Nord, soit la zone la plus densément bâtie et la plus minérale de Paris. Les espèces les plus communes sont les deux oiseaux emblématiques de Paris, le Moineau domestique (Passer domesticus) et le Pigeon biset (Columba livia), avec plusieurs dizaines de milliers de couples nicheurs estimés. Suivent le Pigeon ramier (Columba palumbus), le Merle noir (Turdus merula), l’Etourneau sansonnet (Sturnus vulgaris) et le Martinet noir (Apus apus), qui présentent des effectifs dépassant les 1 500 couples nicheurs. Avec l’Accenteur mouchet (Prunella modularis), ils constituent les sept espèces nichant dans l’ensemble de la matrice urbaine parisienne, soit les 94 carrés enquêtés. Les Mésanges charbonnière (Parus major) et bleue (Cyanistes caeruleus) et la Corneille noire (Corvus corone), avec des effectifs moyens de 500 couples nicheurs et une présence sur 96 % du territoire, complètent la liste des 10 espèces parisiennes les plus communes (annexe 2-1).

39 Le Choucas des tours (Coloeus monedula) n’est plus nicheur intra-muros tandis que le Faucon pèlerin (Falco

Milieu d’origine Nidification Alimentation Effectifs IDFa Statut IDFb

Forestier 33 Arbre 30 Insectivore 33 TC 23 Menacées Autres

Ouvert 13 Bâtiment 12 Granivore 12 C 21 CR 0 NT 4

Rupestre 7 Buisson 9 Omnivore 10 PC 10 EN 0 LC 52

Aquatique 7 Sol 9 Carnivore 5 R à TR 6 VU 1

a

TC : très commun, de 20 001 à 100 000 couples nicheurs et plus ; C : commun, de 2 001 à 20 000 couples ; PC : peu commun, de 201 à 2 000 couples ; R : rare, de 21 à 200 couples ; TR : très rare, de 1 à 20 couples.

b CR : en danger critique d’extinction (risque très élevé) ; EN : en danger (risque élevé) ; VU : vulnérable (risque

relativement élevé) ; NT : quasi menacée (proche du seuil des espèces menacées ou qui pourrait être menacée si des mesures de conservations spécifiques n’étaient pas prises) ; LC : préoccupation mineure (risque de disparition en Ile-de-France faible). D’après la liste rouge des oiseaux nicheurs d’Ile-de-France (Birard et al., 2012) établie conformément à la méthodologie de l’UICN.

Tableau 2-3 – Caractéristiques des 60 espèces d’oiseaux nicheurs de Paris intra-muros

(d’après Malher et al., 2010 ; Pellissier et al., 2012 ; Le Maréchal et al., 2013).

Voir annexe 2-1 pour le tableau détaillé des 60 espèces.

A Paris comme dans d’autres villes, les espèces nicheuses les plus courantes sont d’abord un petit nombre d’espèces généralistes ou capables de s’adapter aux modifications induites par l’urbanisation des milieux (Evans et al., 2011). Les espèces d’origine forestière et certaines espèces de milieu ouvert ou semi-ouvert trouvent dans les espaces verts urbains des conditions similaires à leur habitat d’origine. Leur présence a été favorisée dans la capitale par le développement des parcs et jardins, qui couvraient 394 ha en 2004 contre 355 ha en 1981 (APUR, 2006), soit une augmentation de près de 10 % en une vingtaine d’années. Les espèces rupestres, si elles ne sont que sept, comptent en revanche parmi les espèces les mieux représentées en nombre d’individus : Pigeon biset, Martinet noir, Rougequeue noir (Phoenicurus ochruros) notamment (annexe 2-1). Ces espèces retrouvent dans les bâtiments des sites de nidification similaires à leurs falaises d’origine, au point que certaines, comme le Martinet noir ou l’Hirondelle de fenêtre, sont devenues quasi exclusivement spécialistes des milieux habités (Godet, 2017). La composition de l’avifaune parisienne (tableau 2-3) apparaît comme typique des communautés urbaines, où les insectivores ont tendance à augmenter par rapport au milieu environnant (Allen & O’Connor, 2000). Une des raisons avancées serait qu’ils sont indifférents à l’urbanisation (Evans et al., 2011). A l’inverse, les espèces spécialistes des milieux ouverts et aquatiques se retrouvent fortement inféodées à un site particulier en ville, et sont des nicheurs très localisés. A cela s’ajoute une sous-représentation des espèces nichant dans les sous-bois ou au sol (Clergeau et al., 2006; Pellissier et al., 2012).

1.2.2. L’avifaune parisienne, une avifaune typique du milieu urbain

Le milieu urbain a un effet sur les communautés d’oiseaux qui s’y trouvent (Chace & Walsh, 2006; Evans et al., 2011; Seress & Liker, 2015). Il favorise les espèces d’oiseaux qui ont une plus grande « tolérance environnementale » (Bonier et al., 2007), souvent des espèces généralistes, sociales et qui tolèrent voire recherchent la proximité humaine (Godet, 2017), au détriment des espèces spécialistes. On constate à l’échelle globale une homogénéisation biotique des villes (Blair, 2001; Clergeau et al., 2006; McKinney, 2006; Smart et al., 2006; Devictor et al., 2007; Le Viol et al., 2012), renforcée par les tendances des espèces généralistes comme des espèces spécialistes à se regrouper suivant une forme de « ségrégation spatiale » (Julliard et al., 2006). Cette homogénéisation biotique s’explique en partie par les conditions particulières que présente la ville : bien qu’à l’échelle intra-urbaine elle puisse abriter une diversité d’habitats, à l’échelle globale la ville constitue un filtre environnemental, c’est-à-dire qu’elle sélectionne les espèces dont les traits biologiques leur permettent de vivre en milieu urbain (Croci et al., 2008a; Evans et al., 2011). De ce fait, les communautés d’oiseaux urbaines sont plus proches entre mêmes habitats urbains de villes à différentes latitudes qu’entre habitats urbains différents d’une même ville (Clergeau et al., 2001a).

L’écosystème urbain bénéficie à quelques espèces, celles capables d’exploiter ce milieu caractérisé par de fortes contraintes anthropiques voire de s’y adapter (Blair, 1996; Kark et al., 2007). Par sa tolérance à l’humain (Skandrani et al., 2015), son régime alimentaire varié et son adaptation aux bâtiments pour nicher, l’urban exploiter par excellence chez les oiseaux serait ainsi le Pigeon biset. Dominent alors en ville des espèces anthropophiles (Evans et al., 2011; Francis & Chadwick, 2012; Godet, 2017), capables de s’adapter à la présence humaine au point qu’elles en deviennent moins farouches (Clucas & Marzluff, 2012; Lin et al., 2012). Aux caractéristiques de l’espèce s’ajoutent ici des comportements individuels intra- spécifiques, les individus plus entreprenants s’adaptant mieux au milieu urbain (Deventer et al., 2016). Les espèces généralistes dominent car elles sont capables d’adopter un large panel d’habitats potentiels et peuvent profiter du surplus de nourriture (Lancaster & Rees, 1979; Jokimaki & Suhonen, 1998).

A l’inverse, les espèces nicheuses les plus vulnérables dans le Grand Paris sont les espèces spécialistes des milieux aquatiques ou des milieux ouverts. Elles sont en effet inféodées aux zones humides, qui ne couvrent que 2 à 2,5 % du territoire régional (Le Maréchal et al., 2013, p. 21) ou aux friches, et disparaissent si l’habitat est détruit. En outre,

ce sont souvent des espèces nichant dans les sous-bois ou au sol, ce qui les rend plus vulnérables au dérangement humain et à la prédation (Lim & Sodhi, 2004; Baker et al., 2008; Thaxter et al., 2010), contrairement à celles nichant en hauteur, dans les arbres ou les bâtiments. Sur les 8 espèces ayant comme effectif moyen un couple nicheur dans Paris intra- muros, 4 sont inféodées aux friches40 et 2 aux zones humides41, et toutes les six nichent au sol

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