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APPORTS THÉORIQUES DE LA DÉMOGRAPHIE 1 Ryder (1965) : importance de l’analyse des cohortes

Ryder (1965) a souligné il y a près de 50 ans l'importance de la cohorte, concept clé de l'analyse de l'évolution démographique et sociale qui se déplace dans un espace à deux dimensions du temps (période) et de l'âge. Cette unité temporelle peut être définie comme l'ensemble des personnes qui connaissent le même évènement dans le même intervalle de temps (Ryder, 1965, p. 845). Dans la plupart des études, y compris la mortalité par suicide, l'évènement déterminant est la naissance. Cependant, une cohorte n'est pas simplement la somme d’un ensemble de trajectoires individuelles, chaque cohorte a une composition unique. Selon Ryder, l’appartenance à une cohorte pourrait être aussi importante pour déterminer le comportement que d'autres caractéristiques sociales telles que le statut socioéconomique (Land, 2011). La notion d'effet de cohorte repose sur la théorie selon laquelle les membres d'une même cohorte partagent des comportements communs qui reflètent des différences durables suite à leur exposition environnementale/sociale puisque ces individus ont vécu les mêmes évènements sociaux à travers leur vie au même temps et âge. Les cohortes ont des traits particuliers (par exemple, la taille) qui peuvent influer ses membres, et ceux-ci doivent être considérés comme une catégorie structurelle déterminante en matière de santé, semblable à la race ou la classe sociale. Le travail de Ryder a suscité un regain d'intérêt dans le domaine des sciences sociales pour l'estimation des effets uniques d'appartenance à une cohorte. La littérature scientifique sur l’influence de la taille des cohortes compte deux principaux paradigmes démographiques concurrents qui traitent de la mortalité par suicide. Selon l’auteur, les effets sont positifs ou négatifs : avantages et conséquences sur le comportement des membres d’une cohorte et celui des autres cohortes.

2.2.2 Easterlin (1980), Birth and Fortune: The Impact of Numbers on Personal Welfare

Dans l’ouvrage Birth and Fortune, Easterlin (1987 [1980]) articule sa théorie démographique prévoyant des taux de suicide plus élevés pour les membres des cohortes de

59 grande taille comparativement aux membres de cohorte de petite taille. Il s’agit d’une relation positive nuisible pour les cohortes nombreuses puisqu’il y a réduction du revenu relatif pour ces membres. Easterlin maintient que la taille relative des cohortes joue un rôle crucial dans la détermination des chances de ces membres dans la vie : pour les cohortes très nombreuses, comme les baby-boomeurs dont la taille était hors normes comparativement aux cohortes précédentes et suivantes, la concurrence s’intensifie pour des ressources rares, notamment l'éducation, le marché de l’emploi, le revenu (le chômage et le rythme de promotion dans les entreprises), les soins de santé ainsi qu’un système de pension serrée (retraite publique). Ceci a pour conséquence la privation et l’augmentation de la rupture sociale. Cette expérience est contraire à celle des cohortes de petite taille qui connaissent une vie plus stable, la fortune

économique des travailleurs et par conséquent, sujet a moins de stress psychologique et

connaissent des taux de suicide et de criminalité plus faibles (Easterlin, 1987 [1980], pp. 3, 140). De plus, les cohortes de petite taille connaissent un plus grand succès économique et une vie de famille plus stable (De Leo & Evans, 2003, p. 130). De manière générale, les arguments d’Easterlin mettent l’accent sur l'impact du nombre relatif (relative number) sur le marché du travail du secteur privé (comment réagissent les cohortes de taille inhabituelle).

2.2.3 Preston (1984), Children and the Elderly: Divergent Paths For America’s Dependents

À la même époque, une contre-théorie à celle d’Easterlin est avancée par Preston (1984) suggérant que les taux de suicide sont plus faibles pour les membres des cohortes de grande taille. La relation est négative et bénéfique puisque les cohortes de grande taille ont de hauts niveaux de pouvoir politique et social, à l’opposé de celles de petite taille qui n’ont pas l’habileté d’influencer les politiques publiques et d’accumuler des ressources (De Leo & Evans, 2003, p. 130). Les cohortes de grande taille dans les sociétés démocratiques peuvent profiter des avantages économiques de leur plus importante influence politique. Selon Preston, les effets de cette relation peuvent survenir au détriment des cohortes successives de petite taille puisque les membres des cohortes précédentes très nombreuses occupent la plupart des postes de travail. Contrairement à son prédécesseur Easterlin qui se concentrait sur l’impact du revenu, le paradigme de Preston est centré sur la façon dont les transferts publics ou privés se

rapportent à la taille des cohortes à l’extérieur de la population active (Preston, 1984, p. 450). En résumé, plus le rôle des transferts est important relativement aux revenus d’un groupe ou lorsque le rôle du gouvernement relativement au marché est plus grand, l’avantage d’appartenir aux cohortes de grande taille sera plus important. En conséquence, lorsque le rôle des revenus et du marché est supérieur, le désavantage d’appartenir à une cohorte de grande taille est également plus grand (Pampel, 2001, p. 127). Par exemple, lorsque les individus de cohorte de grande taille atteignent un âge avancé, en très grand nombre, les dépenses pour le bien-être, les pensions de vieillesse et les couts des soins de santé vont augmenter au détriment des transferts publics des ressources pour les adultes et les enfants.

Selon les théories d’Easterlin et de Preston, quatre dimensions du marché/distribution des transferts (publics et privés) peuvent avoir un impact sur la relation entre la taille des cohortes et la mortalité par suicide. D’abord (i) l’âge puisque les sources de revenus varient avec l’âge d’une cohorte ; (ii) le genre (indépendamment de l’âge), car il est associé au marché du travail et au revenu ; (iii) la nation, car le contexte des politiques en matière de sécurité sociale définit le lien entre les individus et le marché - plus complexe que l’âge et le genre, la nation peut être une variable confondante due aux protections des citoyens ; et (iv) le temps puisqu’il s’agit d’une composante de changement social important de la taille des cohortes par exemple, la division du travail selon l’époque (Pampel, 2001, p. 127). Notre deuxième analyse présentée au chapitre 5 teste empiriquement avec les données canadiennes ces deux théories démographiques pour offrir de nouvelles perspectives du suicide en lien avec le cycle démographique de fécondité : la variation du nombre d’individus appartenant à une cohorte et aux opportunités socioéconomiques qui lui sont associées. Il est à noter que l’effet de la taille

des cohortes est parfois confondu avec le concept plus général de l’effet de cohorte. Il s’agit

d’un élément technique discuté au chapitre 3 des sources et méthodes.

Étant donné la place centrale occupée par la variable âge dans notre travail de recherche, nous mettons en pleine valeur ses trois dimensions temporelles APC. Les fondements sociologiques et démographiques permettent d’offrir de nouvelles perspectives sur l’âge et la cohorte. Le domaine de l’économie pour sa part complémente le cadre

61 multidisciplinaire de notre analyse de la mortalité par suicide tout en raffinement la notion de « période ».