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Application : projection de la structure génétique d’espèces de plantes alpines en

chan-gement climatique

Nous avons appliqué notre méthode à 20 espèces de plantes alpines, issues des données

du projet INTRABIODIV (Gugerli et al. 2008). Pour chaque espèce, des individus ont

été échantillonnés sur une grille définie par des sites régulièrement espacés dans les Alpes

européennes, et génotypés en une centaine de locus en moyenne. De plus, des variables

cli-matiques et topographiques, telles que la température, les précipitations, l’ensoleillement,

l’altitude, la pente, ont été extraites aux points d’échantillonnage à l’aide d’un système

d’information géographique (DAYMET, Thornton et al. 1997).

Les structures génétiques estimées par le modèle avec métissage de POPS sont

consti-tuées, pour la majorité des espèces, de populations (ou clusters) correspondant à des zones

géographiques séparées (Figure 4.3). Pour 90 % des espèces, un cluster significativement

chaud est détecté, c’est-à-dire un cluster pour lequel les températures aux points

d’échan-tillonnage des individus assignés au cluster sont significativement plus élevées que dans

les autres clusters. Pour 15 espèces, les populations chaudes sont localisées au sud-ouest

des Alpes, à une latitude inférieure à 46

N et une longitude inférieure à 8

E (Figure

4.3A, Table 4.2). De plus, les coefficients de métissage estimés pour les individus au

sud-ouest présentent une variation graduelle le long de la direction sud-sud-ouest/nord-est, ce qui

indique l’existence d’une zone de contact entre les clusters chauds et les clusters voisins

(voir la première ligne de la Figure 4.4).

Pour chaque espèce, nous avons utilisé POPS pour prédire la structure génétique après

une augmentation de température variant de 0,25 à 4

C. Des coefficients de métissage sont

prédits à partir des paramètres estimés par POPS, et des valeurs actuelles des covariables,

à l’exception des températures moyennes qui sont augmentées graduellement (cf. section

2.5). Les prédictions des coefficients de métissage avec le cluster chaud sont projetées sur

une carte des Alpes à l’aide d’une technique de krigeage. Pour la majorité des espèces,

on observe des modifications de la structure génétique des populations et, en particulier,

un déplacement de la zone de contact entre le cluster chaud et son voisin plus froid

(illustration pour 3 espèces sur les cartes de la Figure 4.4).

Pour quantifier ces modifications de la structure génétique des populations, nous avons

mesuré l’étendue du déplacement de la zone de contact le long d’un axe

sud-ouest/nord-est, pour les espèces ayant un cluster chaud au sud-ouest ou à l’ouest (Figure 4.5A). La

valeur moyenne du déplacement dépend de l’espèce, mais le sens est toujours le même. Le

déplacement moyen prédit est de 92 km (minimum : 5 km, maximum : 212 km) vers le

nord-est pour une augmentation de température de 2

C, et de 188 km (minimum : 11 km,

maximum : 393 km) vers le nord-ouest pour une augmentation de 4

C. Pour l’espèce

Hypochaeris uniflora la direction du déplacement est inversée puisque son cluster chaud

se trouve à l’est. Comme les hypothèses de notre modèle impliquent que ni l’adaptation

rapide ni la plasticité phénotypique ne sont possibles, la seule réponse envisageable pour les

populations est la migration. Il faut donc garder à l’esprit que l’ampleur des déplacements

prédits constitue probablement une borne supérieure pour les migrations envisagées.

D’autre part, pour évaluer la modification globale des structures génétiques des

popu-lations, nous avons mesuré pour chaque espèce le renouvellement intraspécifique, mesuré

à partir de la corrélation entre les coefficients de métissage actuels et les coefficients

pré-dits pour chaque augmentation de température (Figure 4.5B). Pour une augmentation de

2

C, la corrélation reste au dessus de 70 % chez 18 des 20 espèces, ce qui suggère un faible

renouvellement génétique et un impact modeste du changement climatique. En revanche,

pour une augmentation de 4

C, chez 10 des 20 espèces la corrélation passe au-dessous de

60 %, ce qui indique un renouvellement intraspécifique plus important.

En projetant la structure intraspécifique plutôt que la distribution globale de l’espèce,

l’idée est de tenir compte de variations intraspécifiques de la niche. Comme nous l’avons

vu, l’existence de niches intraspécifiques correspond en fait à l’hypothèse stipulant que les

populations sont localement préadaptées à l’environnement. Pour examiner cette

hypo-thèse, nous avons étudié les variations des fréquences alléliques en fonction de la latitude.

Même s’ils sont neutres, les marqueurs pour lesquels une forte corrélation est trouvée

peuvent être liés à des gènes sélectionnés, du fait de l’auto-stop génétique par exemple,

mais aussi à des barrières aux flux géniques créées par l’adaptation locale. De tels

mar-queurs sont donc la signature d’une éventuelle adaptation locale (Joost et al. 2007;

Manel et al. 2010b; Coop et al. 2010). Pour la majorité des espèces, les variations les

plus extrêmes correspondent à des clines localisés à une latitude d’environ 45-46

N (voir

les clines présentés pour 3 espèces, Figure 4.6). Cette latitude concorde avec la zone de

contact entre le cluster chaud et son voisin, ce qui indique que l’hypothèse de

préadapta-tion locale est vraisemblable. Toutefois, il est théoriquement possible que seule l’histoire

démographique, et non l’adaptation locale, soit à l’origine de ces clines et de la structure

de populations que nous observons. Pour tester cette idée, nous avons simulé des données

génétiques à partir d’un scénario d’expansion démographique dans les Alpes et comparé,

entre ces données simulées et les données observées chez les plantes, des mesures portant

sur la forme des clines et sur la structure génétique des populations. Les résultats des

tests statistiques montrent que le rôle de l’histoire démographique dans la formation de

ces clines ne peut être totalement écarté, mais qu’elle ne peut expliquer à elle seule les

corrélations gènes-environnement observées.

Dans notre étude nous avons mis en évidence des réponses au changement climatique

pour un ensemble d’espèces. Bien qu’une tendance commune soit trouvée, comme le

dé-placement de la zone de contact vers le nord-est et le renouvellement intraspécifique,

les mesures quantitatives associées varient entre les espèces. Il faut garder à l’esprit que

notre modèle repose sur un certain nombre d’hypothèses et ne donne donc pas une image

exacte des réponses aux changements climatiques. Ses prévisions, axées sur des données

à la fois environnementales et génétiques, permettent toutefois une grande avancée dans

le domaine des prévisions bioclimatiques.

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