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La science occidentale et la méthode scientifique universelle héritée d'Aristote et rendue "opérationnelle" par Descartes au 17e siècle préconise une appréhension de la réalité qui mène vers la décomposition, la réduction et l'isolement de l'objet ou du phénomène de son environnement afin de mieux l'étudier. Cette approche, qui préconise la connaissance du monde à partir d’un laboratoire, forme la pierre angulaire du système de l’éducation et du monde académique occidental. Puisqu’ils sont découpés en disciplines hermétiques, la perception de la réalité présente les composantes de l'univers comme des portions de réalité fragmentées et isolées les unes des autres. À cause de cette formation, il devient difficile pour l’individu de considérer un problème dans sa totalité, sa complexité et sa dynamique.

C’est en opposition à cette vision fermée du système mondial que la systémique s'est développée aux États-Unis dans les années 1940. Dès 1937, le biologiste Von Bertalanffy énonce le concept de "système ouvert" qui évoluera petit à petit vers la « théorie générale des systèmes », un moyen d’expliquer l'univers avec l’objectif de modéliser la réalité (Lapointe, 1993). Ses travaux font émerger la cybernétique qui se décrit comme la science étudiant les phénomènes de régulation à l’intérieur d’un système, selon le concept d'homéostasie, du grec homéos (le même) et stasie (rester). Il apparaît alors qu’à travers une autorégulation, le système recherche le maintien d'un équilibre dynamique en fonction d'une multiplicité de paramètres et d’intensité de flux d'énergie (Harries-Jones, 2002). Forrester (1971) développe ensuite la théorie de la « dynamique des systèmes ». Ces découvertes donnent naissance à de nouvelles façons de définir la réalité et permettent de faire face à un phénomène nouveau, celui de la complexification progressive des ensembles qui constituent le monde réel à l’heure de la mondialisation. Cette méthodologie est

susceptible de mieux comprendre la complexité des phénomènes qui nous entourent sans les isoler de l'environnement dans lequel ils naissent et évoluent (Lapointe, 1993). Les approches analytique et systémique sont fondées sur des postulats épistémologiques différents, préconisent des façons différentes de percevoir la réalité, utilisent des méthodologies qui leur sont propres et abordent l'étude d'ensembles possédant des niveaux de complexité divers mais il faut reconnaître qu’au lieu d’être opposées, elles sont plutôt complémentaires (Lapointe, 1993) (annexe 32).

Le mot système dérive du grec systema signifiant « ensemble organisé ». Il est intéressant de voir la définition de système selon différents auteurs. Une approche opérationnelle du système est décrite par Rosnay (1975) en ces termes : « le système est un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d'un but ». Pour leur part, Edgar Morin et Anne Brigitte Kern (1993) placent l’emphase sur une approche plus contemplatrice de l’image perçue, mais aussi fait ressortir le concept de synergie entre les éléments : « les systèmes sont des totalités dont les éléments, en interaction dynamique, constituent des ensembles ne pouvant être réduits à la somme de leurs parties ».

La structure d'un système est déterminée par l'organisation spatiale de ses éléments. Les frontières retenues situent le système à un pallier particulier à l'intérieur d'une série de niveau. Le système ainsi délimité fait, en même temps, partie d'un ensemble plus englobant et est lui-même un ensemble plus grand que ses sous-systèmes. Par exemple, la nature constitue une immense totalité (système) englobant des sous-ensembles (sous-systèmes). La connaissance de l'objet et des phénomènes doit passer par l'étude des relations et des interactions qu'a cet objet ou cet ensemble avec son environnement car ils s'influencent mutuellement. Les interactions font ressortir les liens de dépendance existant à l'intérieur des différentes composantes d'un système (Lapointe, 1993). Une modification d'un sous-ensemble du système entraîne des réajustements plus ou moins importants au niveau des autres composants du système. C’est un système où règne les chaos perpétuels mais dans lequel les éléments s’autorégulent pour former un ensemble cohérant et équilibré (Rosnay, 1975). Cet aspect d'interaction et d'interdépendance est également applicable aux relations existant entre les systèmes et entre les composantes (système) et l'environnement (réservoir) dans lequel il fonctionne.

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Il faut distinguer ce qui est complexe de ce qui est compliqué. Le degré de complexité d'un système dépend du nombre de composantes et des types de relations qui les animent. Les situations dites complexes sont caractérisées par un ou plusieurs des attributs suivants; elles sont floues, changeantes et peu structurées. Elles peuvent être étudiées sous différents angles, en fonction de divers systèmes de valeurs (Lapointe, 1993).

L'approche systémique est donc l'application du concept de système à la définition et à la résolution des problèmes complexes (Donnadieu et al. 2004). Dans un monde en équilibre dynamique, l’aménagement du territoire appelle non pas à des actions ponctuelles mais multiples et coordonnées dans le temps (Rosnay, 1994). Le processus de prise de décisions nécessite la participation de plusieurs acteurs autour desquels les objectifs font rarement l'objet d'un consensus. Dans ce contexte, l’approche systémique, en tant qu’une modélisation de la réalité, peut être utile car elle fournit l’encadrement nécessaire pour les discussions sur les objectifs de développement (Donnadieu et al. 2004). En effet, elle est particulièrement apte à éclairer et orienter l'action des décideurs, quels qu'ils soient : responsables politiques, dirigeants d'entreprises, syndicalistes, experts, responsables, associatifs.

Dans la perspective où l’organisme communautaire Les Jardins de la terre veut s’impliquer dans la gestion du système agricole dans Rouville, le cadre théorique basé sur l’approche des systèmes “mous” est proposé. Il s’agit d’une marche à suivre et d’un processus d’apprentissage conçus pour déterminer ce qui doit être fait dans une problématique mal définie associée à des situations complexes dans le monde réel (annexe 33) (ICRA). Cette méthodologie a été introduite et utilisée dans la gestion de l’environnement et les projets de développement rural. Le présent document s’attardera aux trois premières étapes seulement. La pensée molle perçoit les phénomènes comme étant dynamiques, chaotiques et imprévisibles. Elle ne considère pas le monde comme un système, mais admet qu’il est parfois utile de le traiter comme un système. Elle considère les systèmes mous comme des constructions sociales délibérées et négociables dans ce sens qu’elles suivent les valeurs des membres qui en font partie (ICRA). De là l’importance d’agir sur l’éthique (les valeurs) et les normes (la morale) afin de métamorphoser les modèles de développement de façon désirée (Rada Donath, 2003). Une des principales sources d’apprentissage des systèmes mous est la comparaison de la situation présente (le “quoi” actuel qui est résumé sous forme visuelle), et la vision future –le “quoi” idéal est résumé sous forme

d’un modèle conceptuel (ICRA). Après avoir comparé les deux visions, il devient possible d’entamer la discussion sur comment améliorer les choses. Il est important d'ajouter que les systèmes n'existent pas dans la réalité. La réalité est poreuse et les modèles sont des simplifications conceptuelles de celle-ci. C'est un « construit » théorique, une hypothèse, une façon parmi d'autres de concevoir les ensembles (Lapointe, 1993).