• Aucun résultat trouvé

2. Généricité du cadre conceptuel

2.2. Applicabilité du cadre conceptuel sur deux exemples de systèmes alimentaires

Pour tester le niveau de généricité de notre cadre conceptuel, nous proposons de vérifier son applicabilité à deux exemples de systèmes alimentaires, l'un pouvant être classé dans les systèmes alimentaires vivriers et de proximité: l’approvisionnement en lait de la ville de Sikasso au Mali (Coulibaly D. et al., 2007), et l'autre le groupe Doux pouvant être qualifié d'hyper-groupe dans les systèmes agroindustriels (Rastoin, 1992). La Table 16 rappelle les principaux concepts utilisés et suggère leur niveau d'applicabilité pour les deux exemples de filières décrits ci-dessous.

Discussion Générale

156

Table 16 : Principaux concepts théoriques mobilisés dans le cadre conceptuel et applicabilité à la filière laitière Malienne et la filière avicole Bretonne

Etapes Thèmes Théories, Concepts, méthodes Référence

Filière Mali Filière Bretonne Concepts directeurs

Développement durable - Théorie des systèmes

socio-écologiques (Ostrom, 2009) ++ +

Stratégie des entreprises - Création de la valeur partagée (Porter and Kramer, 2011) - ++

- Théorie des parties prenantes (Freeman, 1984) - ++

Définition des enjeux - Théorie de la hiérarchie (Allen and Starr, 1982) ++ - Construction de la

connaissance - Modélisation d'accompagnement (ComMod, 2005) + ++

Concepts modélisation du système

Identification des parties prenantes - Système social

- Théorie de l'avantage concurrentiel (Porter, 1986) - ++

- Arène stratégique (Bidault, 1988) -- ++

Sélection des parties prenantes - Système social

- Théorie de la dépendance des

ressources (Pfeffer and Salancik, 1978) -- ++

- Théorie des jeux (Grandval and Hikmi, 2005) -- ++

Identification des parties

prenantes - Système éco. - Limites planétaires (Rockstrom et al., 2009) ++ ++ Sélection des parties

prenantes - Système éco.

- Méthode de caractérisation des

dommages (Goedkoop et al., 2009) ++ ++

Méthodes d'évaluation

Evaluation des indicateurs socio-économiques

- Analyse coût bénéfice - Méthode des

effets (Chervel et al., 1997) + ++

Evaluation des indicateurs environnementaux

- Analyse de cycle de vie

environnementale (Guinee et al., 2011) ++ ++

-- Pas du tout applicable; - Applicable mais peu pertinent; + Applicable mais nécessitant des adaptations méthodologiques; ++ Totalement applicable

Discussion Générale

L'approvisionnement en lait du marché urbain de la ville de Sikasso au Mali (ou filière Mali) était assuré en 2006 par environ 160 élevages répartis dans les 60 villages périphériques de la ville. Ces élevages peuvent être de type sédentaire ou transhumant avec ou sans complémentation alimentaire. Les enjeux pour ces éleveurs relèvent essentiellement de la conservation de leur espace pastoral mis en danger par, entre autres, la croissance démographique et l’urbanisation. Les enjeux pour le territoire sont principalement la sécurité alimentaire des populations agricoles et le maintien de la fertilité des terres en lien entre autres avec la disparition de la pratique de la jachère et une pression forte sur le parc arboré (bois de cuisine, affouragement des animaux).

L'approvisionnement du lait est assuré par quatre types de circuit de commercialisation pouvant être utilisés par les éleveurs de façon exclusive ou simultanée. Cette diversité génère neuf types d'acteurs différents (éleveurs, transporteurs, vendeurs, etc.) avec un nombre total d'environ 1300 acteurs tous types confondus (Corniaux et al., 2007). La plupart des échanges se font sous forme de contrats de collecte qui assurent une coordination entre producteurs, collecteurs et transformateurs (Duteurtre, 2007).

L'application de la théorie des systèmes socio-écologiques est facilement réalisable dans le cas de la filière Mali, car la zone d'étude est relativement circonscrite et permet la mise en évidence des dynamiques principales opérant entre le système social et le système écologique. L'articulation des échelles locale et globale est également possible et permet de relier de façon cohérente les enjeux des acteurs du système alimentaire avec les enjeux territoriaux. La faible diversité des parties prenantes permet de les identifier facilement. En revanche, la multiplicité de petites structures à faible poids économique entraine une fluctuation plus importante des partenariats annulant sa pertinence en termes d'opérationnalisation. Les différentes méthodes de modélisation du système perdent de ce fait leur intérêt. Cette multiplicité et le caractère aléatoire de l'utilisation des circuits de distribution limitent également la possibilité de réflexion sur la création de la valeur partagée qui nécessite un engagement de l'ensemble des acteurs de la production. Des solutions à ces limites pourraient en revanche émerger facilement grâce à un fort ancrage du modèle de réflexion participatif. En effet, les démarches participatives sont pratiques courantes de par l’appui d'ONG pour le développement de ces filières depuis de nombreuses années. L'utilisation de typologie de systèmes de production (cf. Chapitre 2) et d'un modèle dynamique reliant l'ensemble des acteurs permettrait à l'avenir d'accompagner leur développement.

Discussion Générale

158

Le groupe Doux (ou filière bretonne) comprenait 22 sites de production en France (la majorité localisée en Bretagne), 11 à travers le monde, plus de 15 000 employés et environ 800 élevages en 2012. Les unités au Brésil ont permis au Groupe, par le rachat du groupe Frangosul, d'ouvrir sa production à l'exportation sur les marchés du Proche, Moyen et Extrême Orient où la majorité du chiffre d'affaires est réalisé (en partie grâce aux restitutions à l'exportation). Le Groupe gère la production depuis la culture des céréales jusqu'à la transformation des produits carnés et leur commercialisation. Les enjeux pour le Groupe sont essentiellement la rentabilité de ce modèle d'organisation dans un contexte de fin des subventions à l'exportation et face à une concurrence internationale où les coûts salariaux sont plus bas. Les enjeux pour le territoire sont les impacts environnementaux liés aux élevages et à la culture de céréales associées. Parmi ces impacts, on retrouve l'appauvrissement des sols en matière organique (céréaliculture), l'émission de GES, la contamination aux pesticides et nitrates (élevage hors-sol), et l'émission de particules fines.

La théorie des systèmes socio-écologiques est moins pertinente sur ce modèle d'organisation que sur ceux de la filière Mali et réunionnaise. En effet, l'implantation du Groupe dans plusieurs régions et pays génère une grande hétérogénéité dans les dimensions territoriales et donc dans les enjeux qui en résultent. Le découpage en plusieurs systèmes socio-écologiques est possible, mais demande le développement d'un grand nombre d'indicateurs et de méthodologies pour les évaluer. L'établissement d'une différenciation spatiale interne au Groupe et comprenant les sites de commercialisation permettrait d'alimenter une discussion intéressante sur les questions d'équité extraterritoriale. De plus, le poids économique du Groupe et l'existence d'une gouvernance globale rendent la réflexion sur la création de la valeur ajoutée et l'identification des parties prenantes relativement pertinentes. Les concepts permettant la modélisation du système et le calcul des indicateurs sont de ce fait applicables puisqu'ils ont été développés par et pour les grands groupes industriels. En contrepartie, le modèle de réflexion de type participatif est rarement rencontré dans des entreprises ayant un poids économique aussi considérable. La sélection des indicateurs à évaluer et des parties prenantes à prendre en compte en seraient donc moins démocratiques.