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2.   Intérêts, valeurs et émotions : la confiance chez les individus 21

2.2.   Appartenir à un groupe exclus entraîne la méfiance envers le gouvernement 28

des revenus personnels? Plusieurs études démontrent que les personnes appartenant à des groupes minoritaires sont plus méfiantes envers les gouvernements, et que cette méfiance est probablement plus proche d’une méfiance envers le gouvernement qu’une méfiance envers les gouvernants.

Notons d’abord les travaux d’Avery (2007) sur le comportement électoral des Afro- Américains. Il s’agit d’une population assez désavantagée et qui a longtemps fait l’objet de discrimination légalisée sous diverses formes, dont l’esclavage et la ségrégation raciale dans les services public (Corbo 2007; Mangum 2011). Pour Avery, si la forme dominante de méfiance envers le gouvernement est la méfiance envers les dirigeants politiques chez les Américains blancs, les Afro-Américains auraient plutôt tendance à adopter une posture de méfiance envers le gouvernement comme institution. Dans le cas des Afro-Américains, la méfiance envers le gouvernement est « largement une fonction du mécontentement à l’endroit de la discrimination raciale et de l’inégalité raciale dans le pouvoir économique et

politique »11 (Avery 2007 : 329, traduction de l’auteur). La méthode utilisée est originale et

11 « mistrust of governement among blacks is largely a function of unhappiness with the continued racial

réussit bien à contourner les problèmes généralement identifiés avec les études sur la confiance.

Avery utilise un moment politique particulier dans l’histoire américaine. L’élection présidentielle de 2000 est marquée par des problèmes dans l’administration électorale dans l’État de Floride, l’État qui allait décider de la présidence. Les problèmes ont surtout été constatés dans des districts électoraux à majorité afro-américaine, plus favorable aux démocrates : dans ces districts, de nombreux votes avaient été annulés. La Cour suprême a décidé, par une décision partagée à 4 contre 3 de ne pas procéder à un recomptage des votes, donnant ainsi la victoire à George W. Bush. Il utilise des données d’un panel mesurant la confiance envers le gouvernement avant et après la décision de la Cour suprême. Pour tenter de trouver un effet sur la confiance envers le gouvernement, et non seulement envers les gouvernants, il contrôle les résultats selon l’origine ethnique et l’affiliation partisane déclarée.

Chez les blancs, l’identification partisane joue un rôle dans l’évaluation de la décision de la Cour suprême : les républicains ont plus confiance, les démocrates moins. Chez les Afro- Américains, par contre, la confiance plonge dans les trois groupes. L’impact de l’appartenance à un groupe minoritaire est ici clairement illustré : le jugement envers les institutions politiques est sévère. Owen et Dennis (2001) le confirment en constatant une influence significative, mais relativement faible, de l’origine ethnique sur la confiance. Kelleher et Wolak (2007) arrivent au même constat, mais au niveau des États américains. Mangum (2011)confirme aussi ces résultats, particulièrement pour les Afro-Américains qui vivent dans le sud des États-Unis, où l’historique de discrimination raciale est le plus prononcé.

La situation des Latino-Américains est toutefois un peu différente. Abrajano et Alvarez (2010) tentent d’expliquer le niveau de confiance plus élevé des Latino-Américains en utilisant des données de sondage du Pew Hispanic Center et de la Kaiser Family Foundation collectées en 2002, mais les questions proviennent de l’ANES. Deux forces contraires sont en jeu. D’un côté, le contact direct avec des épisodes de discrimination en fonction de l’origine ethnique a un impact négatif sur la confiance envers le gouvernement : c’est peut-être ce qui explique les résultats de Mangum concernant le sud des États-Unis. Par contre, à l’inverse, les nouveaux immigrants d’origine latino-américaine font davantage confiance au gouvernement, ce qui confirme les résultats de Michelson (2001, 2003 dans Abrajano et Alvarez 2010, 111).

L’effet est surtout discernable à partir de la quatrième génération d’immigrants, les vagues précédentes maintenant des niveaux de confiance élevés.

D’autres groupes minoritaires sont aussi dans une situation similaire en matière de méfiance. On peut évoquer le cas de la relation des souverainistes québécois par rapport au gouvernement fédéral. L’étude de Crête, Pelletier et Couture (2006) notent que les partisans du Bloc Québécois, une formation politique souverainiste, sont les plus méfiants du gouvernement fédéral par rapport aux autres électeurs. Nadeau (2002) trouve lui aussi le même type d’effet. Il utilise les données du CES de 1993. L’analyse révèle que les Québécois francophones ont un attachement beaucoup plus faible envers le Canada et une méfiance plus grande envers le gouvernement fédéral. L’étude contrôlant pour l’âge, le lieu de naissance, l’intérêt pour la politique, la perception de ne pas avoir de voix dans le processus politique et la résidence en Alberta ou en Colombie-Britannique. De manière analogue aux minorités américaines, une partie du sentiment souverainiste s’explique par des griefs socioéconomiques et linguistiques, exprimés à l’endroit de la majorité canadienne-anglaise (Pinard, Bernier et Lemieux 1997). Si l’histoire des Québécois francophones, des Afro-Américains et des Latino- Américains se distingue, le statut de minorité au sein d’un pays est toutefois un point en commun. Elle produit une méfiance intense qui ne peut se résumer à une méfiance envers les dirigeants.

La piste de l’exclusion paraît nettement plus porteuse pour la compréhension de la confiance envers le gouvernement. Les citoyens membres de groupes qui se sentent exclus de la vie politique manifestent une méfiance plus intense et qui semble plus durable et plus proche d’une méfiance envers le gouvernement dans son ensemble, et non une méfiance moins forte et plus circonstancielle.