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Apparitions et mises en ligne des vidéos macabres

CHAPITRE 3: LES REPRÉSENTATIONS DU SNUFF FILM DANS LE CINÉMA

5.2. Apparitions et mises en ligne des vidéos macabres

L’impossibilité de confirmer ces ouï-dire ne vient pourtant pas les démentir. Bien que l’internaute recherchant d’authentiques snuff sur le Web n’en trouvera pas, il risque néanmoins d’être confronté à des objets audiovisuels qui, en s’en rapprochant, renforcent leur crédibilité. Dans son essai intitulé La mort spectacle, Michela Marzano dresse un historique de la mise en ligne depuis 2000 d’enregistrements donnant à voir des morts humaines. Ces films, qu’elle qualifie de « vidéos macabres », montrent, contrairement au film de Zapruder, des individus

1

FINKIELKRAUT, Alain et Paul SORIANO, Internet : L’inquiétante extase, Mille et une nuits, Paris, 2001, p. 39.

2

SCHNEIDER, Bertrand, La civilisation Internet. Entretien, éducation, gouvernance, Paris, Economica, 2000, p. 94.

intentionnellement exécutés devant la caméra. Bien qu’ils évoquent les snuff movies en partageant avec eux des points similaires, Marzano ne les considère pourtant pas comme une concrétisation de la légende urbaine :

Snuff movies ? Oui et non. Comme les snuff movies, ces vidéos font voir la torture et la mort en direct. Mais à la différence des snuff movies, elles ne poursuivent pas un but commercial : elles sont filmées et diffusées sur Internet où chacun peut aller les voir et les revoir en boucle3.

Selon elle, ces films sont également voués « […] à changer de nature avec leur appropriation par les islamistes pour en faire un outil de propagande4 », ce qui les disqualifierait du titre de

snuff films. En effet, ces images ne tentent pas de répondre à une fascination, qu’elle soit perverse ou purement cinématographique. Elles servent plutôt de moyen d’intimidation d’un groupe terroriste ou clandestin5 et se voient dotés d’une dimension politique qui interdit

d’appréhender la mort filmée à son degré zéro, obligeant plutôt leur spectateur à les interpréter comme un avertissement. Ce sous-texte propagandiste fait de ces films des véhicules de peur et non de plaisir. Leur intention première consiste à terroriser leurs destinataires à l’existence d’un ennemi dangereux. La torture exhibée est inscrite dans un programme terroriste plus large, qui se sert de la violence comme arme de combat. La vision de la décapitation d’un soldat américain génère l’effroi puisqu’elle anticipe la possibilité d’un nouvel attentat criminel. De plus, comme le fait remarquer Marzano, ces enregistrements ne sont pas produits à des fins mercantiles. Contrairement aux snuff, elles ne capitalisent pas sur les perversions de certains individus, elles tentent plutôt de semer la crainte auprès d’une majorité.

L’hésitation de Marzano sur le statut des vidéos macabres signale cependant l’inévitable comparaison qu’un individu peut faire entre ces images réelles et la définition du snuff. Les ressemblances entre ces films réels et ceux fantasmés s’avèrent trop nombreuses pour ne pas laisser place à une confusion. En montrant, comme le ferait un snuff, la capture filmique d’une

3MARZANO, Michela, La mort spectacle. Enquête sur l’« horreur-réalité », Paris, Gallimard, 2007. p. 21. 4 Ibid, p. 23.

5

Nous nous référons ici à la mafia mexicaine qui met en ligne dans le but de semer la terreur des vidéos macabres qu’à tort… on les qualifie de « narco snuff. »

mise à mort, force est d’admettre que ces « atrocity films6 » constituent actuellement l’objet étant le plus près de la légende urbaine. L’analogie entre vidéo macabre et snuff se fait autant sur le plan du contenu que celui de la forme. En se limitant à filmer le crime commis sans aucune esthétisation, la mise en scène de ces productions clandestines rappelle celle des représentations du snuff dans le cinéma de fiction. Ils reprennent même certains stéréotypes stylistiques que Sarah Finger recense dans le sous-genre des faux snuff :

Les gros plans sont obtenus grâce à un effet de zoom maladroit, ce qui accentue l’aspect authentique de la vidéo. L’effet obtenu, plutôt grossier d’un point de vue esthétique, est volontaire : sans cet artifice, les zooms s’intercaleraient entre d’autres plans larges, ce qui signifierait que le film a été monté. Or, un snuff se doit d’être tourné en plans-séquences7.

Reconnaître le snuff à travers les vidéos macabres entraîne un impact majeur sur la crédibilisation de la légende urbaine. Ces films prouvent que le danger que représente la production de meurtres enregistrés est une réalité concrète que l’on peut difficilement démentir. La vidéo macabre se suffit à elle-même pour authentifier les snuff movies, et ce, de façon bien plus convaincante que ne le faisaient auparavant un mondo ou un film pornographique. Elle suscite également, mais avec une violence jusqu’à présent inégalée, la crainte qu’elle n’est que la pointe d’un iceberg et qu’il se trouve assurément encore plus horrible sur Internet : les images de corps tués au nom d’aucune cause, outre la jouissance de celui qui les observe. Avec cet argument identique à celui de Citizens for Decency pour dénoncer la misogynie du cinéma X au tournant des années 60, la légende urbaine retrouve son pouvoir de conviction qu’elle avait perdu au cours de ses années d’épuisement dans

6

Nous reprenons ici ce terme généralement employé par certaines communautés Web pour désigner des enregistrements documentant d’authentiques images de violence.

7

FINGER, op. cit. p. 72. Bien que ces films semblent tournés sur le qui-vive et que leur esthétique maladroite apparaisse comme un symptôme des conditions de tournage, les nombreuses similitudes avec l’hypothétique mise en scène des snuff pourraient impliquer une part d’inspiration. Cette théorie, que nous nous permettons de suggérer ici avec une part de prudence, pourrait faire sens lorsque l’on tient compte que l’intention première derrière ces vidéos d’exécution consiste à semer la peur. En plus de montrer la vision déjà traumatisante d’une mort, il serait logique de tenter d’amplifier la terreur en mettant en image une idée cauchemardesque ayant hanté l’imaginaire collectif d’une génération que cette dernière reconnaîtra sur le champ. Si cette proposition risque d’être démentie par des informations factuelles auxquelles nous ne pouvons avoir accès, elle nous apparaît néanmoins envisageable.

l’imaginaire collectif que nous évoquions à la fin du troisième chapitre. L’actualité confirme d’ailleurs cette thèse régulièrement en rapportant la saisie de documents clandestins qui, tout comme les vidéos macabres, constituent pour la société un sommet de l’obscénité et de la transgression.