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Il apparaît cependant nécessaire de procéder à une réévaluation du poids du facteur religieux dans la chute de l’ancien régime et dans la période de transition, puis dans la phase

de consolidation des nouvelles institutions. Cette relecture de l’influence des organisations,

des acteurs et des discours religieux permet de relativiser l’importance de certains actes, tout

en mettant en lumière d’autres dynamiques. La reformulation des interactions entre le

religieux et le politique, est tout à la fois marquée par la réactivation d’anciennes modalités

d’intervention et de participation, mais aussi par l’émergence de nouvelles procédures et de

nouveaux acteurs. Ces dynamiques de réinvestissement de l’espace public par le religieux

vont fortement marquer l’ensemble du processus de transformation démocratique, en

participant à la construction d’un imaginaire politique fortement imprégné de religieux, qui

sera l’objet du chapitre suivant. Elles créent les conditions rendant possible l’élaboration et la

diffusion de cet imaginaire.

Section 1 : Le retour du religieux dans l’espace public béninois : la Conférence nationale

et la période transitoire (1990-1991)

Il convient de rappeler ici les grandes étapes qui ont conduit à la tenue de la

Conférence nationale. L’année 1989 est marquée par le développement d’une contestation

généralisée, liée à une crise politique, économique et sociale2. Des mobilisations collectives

multisectorielles se développent dans la fonction publique, l’enseignement et à l’Université.

En août, M. Kérékou procède à un remaniement ministériel et décide d’une amnistie partielle

des prisonniers politiques, tandis que les exilés volontaires sont conviés à revenir dans le

pays. Le 7 décembre, à l’issue de la session conjointe spéciale du Comité central du PRPB, du

Comité permanent de l’ANR et du Conseil exécutif national, la renonciation officielle au

marxisme-léninisme est officialisée. Par ailleurs, une Conférence nationale est convoquée

pour le mois de février « regroupant les représentants authentiques de toutes les forces vives

de la nation, quelles que soient leurs sensibilités politiques », afin de permettre « l’avènement

d’un renouveau démocratique ».

Il faut aussi rappeler ici que les acteurs religieux n’ont pas réellement participé à cette

contestation3. L’Église catholique est restée silencieuse jusqu’au printemps 1989, sa

hiérarchie préférant garder une attitude prudente, voire complaisante, dans ses relations avec

le pouvoir. A l’occasion du carême, les évêques diffusent cependant une lettre pastorale,

intitulée Convertissez-vous et le Bénin vivra qui connaîtra un grand retentissement dans tout le

pays. La tonalité du document est cependant encore très modérée. Certes, les évêques font un

2

Voir Richard Banégas, « Mobilisations sociales et oppositions sous Kérékou », Politique africaine, n° 59,

octobre 1995, pp. 25-44 ; Théophile Vittin, « Bénin : du “système Kérékou” au renouveau démocratique” »,

pp. 93-115 in Jean-François Médard, dir., États d’Afrique noire : formations, mécanismes et crises, Paris,

Karthala, 1991 ; Richard Banégas, « Retour sur une “transition modèle”. Les dynamiques du dedans et du dehors

de la démocratisation béninoise », pp. 23-94 in Jean-Pascal Daloz et Patrick Quantin, dir., Transitions

démocratiques africaines, Paris, Karthala, 1997.

3

Contrairement à une certaine vision reconstruite a posteriori par des acteurs religieux ou véhiculée par des

hommes politiques. Adrien Houngbédji, alors président de l’Assemblée nationale, écrit par exemple : « C’est

aussi un lieu commun d’évoquer le rôle joué dans l’avènement de ce Renouveau démocratique par la presse, les

étudiants, les travailleurs, les autorités spirituelles et la diaspora (…) Il faut souligner également

l’extraordinaire courage et la lucidité de nos autorités religieuses, de toutes confessions, qui dénoncèrent le

régime honni ». A. Houngbedji, « Le Renouveau démocratique du Bénin. Genèse, enjeux et perspectives »,

Revue juridique et politique, indépendance et coopération, 48

ième

année, n° 1, janvier-avril 1994, p. 19. Un

observateur comme Joseph Roger de Benoist peut écrire, faisant directement référence à l’exemple béninois, que

le réveil des revendications démocratiques « a été directement provoqué dans plusieurs pays par des

déclarations des Églises ». Une telle affirmation ne correspond pas à la réalité chronologique des faits. J. R. de

Benoist, « Les “clercs” et la démocratie », Afrique contemporaine, n° spécial, 4

ième

trimestre 1992, p. 185.

constat des maux qui affectent la société béninoise « régionalisme, détournement, corruption,

népotisme, gabegie, défaut de conscience professionnelle, paresse, individualisme,

incompétence notoire, etc. », mais ils refusent l’opinion qui consiste « à rejeter toute la

responsabilité de notre malheur sur ceux qui détiennent le pouvoir politique et

administratif », et préfèrent évoquer une commune responsabilité : « nous sommes tous

acteurs, donc tous responsables à différents niveaux, de la situation ; tous sans exception

aucune (…) La racine des causes de notre situation réside dans le fait que nous n’aimons pas

réellement notre pays et que nous ne nous aimons pas les uns et les autres ». Mais, si les

responsabilités sont à ce point partagées, alors plus personne n’est vraiment coupable. Comme

le montre Florence Boillot, cette attitude était commune à tous les évêques africains qui ont

pris la parole à partir de la fin des années 80. Ceux-ci « préfèrent d’ailleurs éviter d’attribuer

la faute aux gouvernants et responsables politiques, et adoptent la thèse de la culpabilité

collective qui consiste à dire que tout le monde est responsable de la crise politique »4. Pour

changer la situation, il convient alors d’« accepter de se remettre en question (…) Avant de

vouloir changer les hommes et les structures, il est nécessaire que chacun s’engage

résolument dans la voie du changement intérieur », de « revenir à Dieu » ce qui est « la

condition imprescriptible d’un véritable changement ».

Cette prise de position de l’épiscopat béninois apparaît finalement très modérée dans

ses critiques. Elle est, par exemple, beaucoup moins virulente que ne l’étaient certaines

interventions de B. Gantin à la fin des années 1960. Les termes de « démocratie », de

« pluralisme » ou de « droits de l’homme », ne figurent pas dans la lettre pastorale. Cette

prudence peut s’expliquer par le poids (réel ou imaginaire) du PCD dans la contestation

sociale5. Le document épiscopal, en restant très général, en ne faisant pas référence aux

mobilisations alors en cours, et en se livrant à un partage des responsabilités, qui atténue

forcement la culpabilité des détenteurs du pouvoir, joue sur un registre très éloigné du PCD.

L’influence de la lettre pastorale paraît moins liée à son contenu réel qu’à son poids

symbolique. Elle constitue la première intervention publique d’acteurs religieux, et l’une des

plus retentissantes de la société civile courant 1989, alors que les mouvements sociaux se

4

Florence Boillot, « L’Église catholique face aux processus de changement politique du début des années

quatre-vingt-dix », L’Année africaine 1992-1993, Bordeaux, CEAN, 1992, p. 122. Dans cette étude, l’auteure

montre clairement que les lettres pastorales ont très rarement anticipé les processus de transition et que l’Église a

plus accompagné et commenté les changements politiques en Afrique noire qu’elle ne les a précédés et suscités.

développent6. Avec les premiers signes d’apaisement du régime, des prises de position de plus

en plus critiques voient le jour dans les milieux catholiques. En décembre, dans un message

« aux chrétiens et à tous les hommes de bonnes volontés » lu dans toutes les paroisses, les

évêques justifient leur intervention dans le débat public : « en ces circonstances décisives, vos

évêques ont une conscience encore plus vive de leurs responsabilités. Un silence même priant,

de leur part, constituerait une démission »7. Début février 1990, La Croix se montre encore

plus offensive : « Veut-on vraiment aboutir à un consensus national ou s’agit-il tout

simplement d’une mascarade ? Le peuple a soif de démocratie, il la veut, il y court et il

l’obtiendra contre vents et marées »8.

Il faut en effet attendre la convocation de la Conférence nationale pour voir de

nombreux acteurs religieux sortir des églises, temples, mosquées ou couvents. Car, si le

religieux n’a pas joué de rôle décisif dans la contestation du régime, la Conférence nationale,

puis la période transitoire qui va lui succéder, vont lui permettre de réinvestir la sphère

publique et d’accompagner tout le processus de changement politique, selon différentes

procédures. Certaines d’entre elles réactivent des pratiques d’intervention remontant à

l’époque coloniale ou à l’Indépendance, d’autres s’inscrivent en réaction à la politique

conduite par le régime révolutionnaire ou encore relèvent de la contingence et de l’incertitude

qui ont caractérisé tout le processus.

1) La Conférence nationale et le surgissement du religieux dans la sphère publique

La Conférence nationale, qui s’est tenue du 19 au 28 février 1990, reste pour les