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L’apogée de la publicité aux États-Unis

Chapitre 1 : L’APOGÉE DE LA PUBLICITÉ AUX ÉTATS-UNIS

1.1 La culture de bureau et la révolution créative

1.1.3 L’apogée de la publicité aux États-Unis

La première grande révolution dans le monde de la publicité selon Roland Marchand se réalise dans les années vingt, sur le fond de la reprise économique pendant et après la Première Guerre mondiale. Ce qui rend la publicité moderne à cette époque-là est la nouvelle

68 John Kenneth Galbraith, The Affluent Society, Boston, Houghton Mifflin, 1976, p. 76. 69 Lacroix, op cit., p. 425.

70 C. Wright Mills, op. cit., p. 82. 71 C. Wright Mills, op. cit., p.235.

emphase mise sur le consommateur plutôt que sur le produit.72 Tout en s’arrogeant le rôle de

missionnaire de la modernité, le message publicitaire ne s’adresse en fait qu’à une infime partie de la société américaine. Le portrait-robot du consommateur à l’époque pourrait être résumé à celui du citadin, blanc, aisé et éduqué. C’est à cette nouvelle classe moyenne supérieure que s’adresse la publicité avec des messages qui vendent plutôt l’idée de style et de prestige que des objets. Plus que la valeur de la marchandise, les slogans exaltent la récompense pour la poursuite du rêve Américain.73 Levé au statut d’un véritable art de la

manipulation, la publicité commence insidieusement à façonner les désirs du consommateur, à partir du constat que les produits ne répondent pas à une nécessité urgente mais servent plutôt comme outil d’accès à un monde plus attrayant.74 Cela contribue en même temps à

l’édification d’une image peu flatteuse du consommateur, vu comme un être guidé par ses instincts plutôt que par sa ration. “Advertisers in the Twenties become increasingly

committed to a view of consumer citizens as an emotional, feminized mass, characterized by mental lethargy, bad taste and ignorance.”75

Cette représentation de l’acheteur comme un individu immature et irrationnel est renforcée par les idées de Sigmund Freud, rendues extrêmement populaires à la même époque par sa fille, Anna Freud, et son neveu, Edward Bernays, le créateur des relations publiques. Suivant les théories de son célèbre oncle, Bernays montrait aux corporations comment contrôler les masses en liant la production à ses désirs inconscients. “ Être heureux signifie

être docile.”76 Fermement convaincu que la machine du bonheur était la clé de l’économie et

72 Marchand, op. cit., p. xxii. “This evolution toward an emphasis on consumer anxieties and satisfactions,

which culminated by the 1930, was what made American advertising modern.”

73 Marchand, op. cit., p. 24.

74 Marchand, op. cit., p. xvii. “The people are seeking to escape from themselves. They want to live in a more

exciting world.”

75 Marchand, op. cit., p. 69.

76 Adam Curtis, The Century Of The Self, mini-série TV, 4 épisodes, UK, BBC, 2002, 235 min, stereo, color. (en ligne) http://www.dailymotion.com/video/xyxlxj_the-century-of-the-self-1of4-happiness-

du progrès, son travail consistait à entrainer les Américains à désirer de plus en plus de produits.

Après l’élection de F.D. Roosevelt, la politique interventionniste du New Deal commence à déconstruire l’image d’un acheteur à la course d’un bonheur imaginaire. À travers les sondages effectués par George Gallup77 dans toutes les strates sociales, on

démontre que les consommateurs sont des êtres rationnels qui savent ce qu’ils veulent. La publicité ne doit pas manipuler leurs émotions, mais refléter leurs gouts et leurs préférences.

Dans les années cinquante, deux auteurs donnent un autre coup de grâce aux théories de Bernays. Le premier est Vance Packard dont le bestseller The Hidden Persuaders78 parle

de l’Amérique comme d’une nation réduite aux pantins destinés à faire la machine de production fonctionner. Le deuxième, c’est le philosophe Herbert Marcuse qui se lève contre l’application enfantine de la psychanalyse aux États-Unis, celle qui, parmi d’autres facteurs, avait contribué à la création de l’homme unidimensionnel, conformiste et réprimé. S’il est vrai que les êtres humains sont guidés par des désirs secrets, ces désirs ne sont ni violents ni maléfiques.79

Tout cela va changer dans les années soixante. La nouvelle révolution qui se prépare discrètement à partir des années cinquante est redevable à la conjugaison de plusieurs facteurs : la prospérité économique, la croissance démographique, le développement territorial, les nouveaux courants de pensée. La quantité de nouvelles agences qui voient le jour pendant la décennie s’explique par la concurrence grandissante entre compagnies pour vendre leurs produits à une population qui voulait oublier la pénurie de la Grande Dépression

77 George Gallup, diplômé en journalisme de l'Université de l'Iowa, avait fondé en 1935 sa propre entreprise de sondage d'opinion, l'American Institute of Public Opinion, dont la réussite partait du principe qu'il était possible de déterminer l'opinion des gens en fonction de leur âge, sexe, habitat, profession, religion, origine ethnique, etc. La constitution d'un échantillon représentatif de la population totale permet donc de prévoir ce que pense le public en général. (en ligne) https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Gallup (page consultée le 3 août, 2017) 78 Vance Packard, The Hidden Persuaders, N.Y., David McKay Company, Inc, 1957, p.3 : “The use of mass

psychoanalysts to guide campaigns of persuasion has become the basis of a multimillion-dollars industry.”

et les traumas de la Deuxième Guerre mondiale. Pas étonnant que Don Draper, la star de l’agence Sterling Cooper, tout comme la majorité des mad men80 de Madison Avenue, sont

des gens nés majoritairement pendant les années trente, dans des milieux défavorisés. Leur expérience est identique à celle de la majorité des Américains qui veulent assouvir leurs aspirations secrètes de parvenir à un statut qui leur était inaccessible avant.

Contrairement au début du siècle, lorsque le système de manufacture était basé sur la quantité, à partir de la décennie cinquante il se caractérise par la diversification grandissante de produits. Et cette variété de biens risquait de devenir un véritable casse-tête pour les consommateurs, des femmes majoritairement, perdus dans le labyrinthe des supermarchés. Avec l’avènement de l'auto-service dans les grandes chaînes et l’apparition des magasins à grande surface, ils ne peuvent plus demander l’avis directement au comptoir. Le rôle des publicités est de faciliter leur tâche en le guidant parmi les étals. À l’influx démesuré de nouveaux produits, les ventes nécessitaient aussi des stratégies inusitées.