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Aparté sur la physique du modèle d’Hubbard

Avant de plonger dans les équations de la théorie du champ moyen dynamique, il est

intéressant de s’attarder sur le modèle que cette méthode résout ainsi que sur la physique

qui lui est associée.

Proposé de façon indépendante par Gutzwiller [52], Kanamori [53] et Hubbard [54] en 1963

avec la volonté d’avoir un modèle simple qui rend compte des corrélations électroniques

dans un solide, le modèle d’Hubbard peut se définir à l’aide de l’Hamiltonien suivant :

ˆ

H =

i,j,σ

t

ij

ˆc

+U

i

ˆ

n

i↑

i↓

− µ

ˆ

c

ˆc

.

(2.18)

Ici, les indices i et j dénotent les sites du réseau et σ le spin de l’électron. t

ij

et µ représentent

respectivement les termes de sauts entre les sites i et j et le potentiel chimique. Les opé-

rateurs ˆn

= ˆc

ˆc

dénotent les opérateurs de densités. Enfin, la partie de l’Hamiltonien

proportionnelle à U , le terme d’interaction de Hubbard, est là pour rendre compte des

interactions coulombiennes écrantées dans le cristal. Ce terme d’interaction est purement

local dans le sens où deux électrons n’interagissent entre eux que lorsqu’ils se situent sur le

même atome.

On peut donc voir le modèle d’Hubbard comme une extension du modèle de liaison

forte. Ce dernier est par ailleurs présent dans le premier terme de droite dans l’équation2.18.

Dans ce modèle, les électrons sont libres de "sauter" d’un site i à un autre site j du réseau

avec une énergie cinétique−t

ij

. A partir de ce modèle, émergent des bandes d’énergie où

certaines valeurs d’énergies sont inaccessibles aux électrons. On parvient alors à diviser les

solides selon le remplissage des bandes au niveau de l’énergie de Fermi : isolant, conducteur,

semi-conducteur, etc.

L’ajout du terme d’Hubbard remet les atomes du solide au centre du problème de

la physique des électrons. Ainsi, la classification faite sur les solides à l’aide des bandes

électroniques peut se retrouver modifiée. A défaut de pouvoir le résoudre, Hubbard avait

notamment amélioré les approximations sur son modèle éponyme [55] et a rendu compte

de l’existence d’une phase d’isolant de Mott lorsqu’un solide est à demi-rempli, c’est-à-

dire lorsqu’il y a exactement un électron par site d’atome. Ce résultat est extrêmement

important pour la physique des électrons corrélés puisque le modèle des liaisons fortes d’un

réseau carré (ou triangulaire, la géométrie n’a pas d’importance) prédit que le solide sera

un conducteur à cette densité.

Mais qu’est-ce qu’une phase d’isolant de Mott ? Sa définition est assez simple à com-

prendre. Le coût en énergie que doivent payer deux électrons lorsqu’ils sont localisés sur

le même site est l’énergie potentielle U . Lorsque U a une valeur suffisamment élevée, la

configuration la plus favorable d’un point de vue énergétique est celle où chaque électron

est localisé sur un site et où il n’y a plus que des sauts virtuels d’électrons possibles, sinon il

faut payer le coût de l’énergie potentielle. Une illustration assez fidèle de l’isolant de Mott

est celui de l’embouteillage de voitures où la congestion est telle que plus aucune voiture ne

peut avancer, le coût de passer au dessus d’autres voitures avec sa voiture étant un prix trop

cher à payer par les conducteurs.

On peut se faire une idée de la densité d’états d’un isolant de Mott en résolvant le cas

où le terme cinétique, c’est-à-dire la première somme dans l’équation2.18, est absent. Dans

cette limite appelée la limite des fortes corrélations, le système est diagonal dans l’espace

réel et il est possible d’obtenir la fonction de Green de ce modèle à l’aide des équations du

mouvement [48]. A demi-remplissage, cette dernière s’écrit :

G

σ

(ω) =

1

2

(

1

ω + iη

U 2

+

1

ω + iη +

U 2

)

.

(2.19)

F i g u r e 2.1 Densité d’états locale pour différents régimes de l’interaction d’Hubbard norma-

lisée par rapport à la largeur de bande sans interaction W à température nulle. a) Densité d’états en l’absence d’interaction. b) Dans le régime des faibles interactions, on remarque que du poids spectral est transféré à la périphérie de la densité d’états. c) Dans le régime des fortes corrélation, caractérisé par une valeur de U comparable à celle de W , une structure en trois parties se dessine : les deux bandes d’Hubbard situées autour de±U/2 et un pic de quasi-particules au niveau de Fermi. d) Dans la phase de Mott, on retrouve seulement les bandes d’Hubbard. Un gap électronique d’une largeur comparable au terme d’Hubbard marque le caractère isolant de la phase. Figure tirée de [56]. .

La densité d’états se compose donc de deux pics situés à ω =

±U/2 et il existe un gap

électronique de largeur U . Lorsque l’on rajoute la partie cinétique mais que l’on reste dans

la limite des fortes corrélations caractérisée par t≪ U, ces deux pics connaîtront un élar-

gissement, mais la forme globale de la densité d’états n’est pas foncièrement changée. Une

phase d’isolant de Mott gardera ces propriétés générales issues de la physique des fortes

corrélation : deux bandes d’énergies situées autour de ω =

−U/2 et ω = U/2 et que l’on

appelle, respectivement, bande inférieure et supérieure d’Hubbard, ainsi qu’un gap de

charge au niveau de l’énergie de Fermi.

Entre le cas sans interaction et la phase de Mott, la densité d’états du système change

continument de forme comme illustré dans la figure2.1. Le transfert de poids spectral entre

les excitations cohérentes de particules, appelé aussi pic de quasi-particules, et les bandes

d’Hubbard augmente progressivement avec U . Lorsque U atteint une valeur critique qui est

souvent du même ordre de grandeur que la largeur de bande, une transition du premier

ordre entre la phase métallique et la phase d’isolant de Mott a lieu qu’on appelle la transition

de Mott.

La forme de l’interaction électron-électron est sûrement l’une des plus simples possibles.

Malgré cette extraordinaire simplicité, le modèle d’Hubbard capture une physique extrême-

ment riche avec une multitude de phases avec brisure de symétrie ou de phase exotique

comme les liquides de spins. Pourtant, il est tout aussi extraordinairement difficile à résoudre.

A ce jour, seulement deux solutions analytiques sont connues : à une dimension [57] et à

dimension infinie [45]. Pour des dimensions se situant entre ces deux extrêmes, l’utilisa-

tion de méthodes numériques comme la théorie du champ moyen dynamique est impérative.