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ANTICIPATION CLINIQUE ET SON MECANISME GENETIQUE :

76 IV. GENES CANDIDATS :

V. ANTICIPATION CLINIQUE ET SON MECANISME GENETIQUE :

L’accroissement plus ou moins important de répétitions de trinucléotides constitue une nouvelle forme dynamique de mutation de l’ADN dont le mode de transmission revêt des caractéristiques cliniques particulières comme l’anticipation.

Le concept d’anticipation est apparu au début du XXème siècle et avait été initialement décrit dans les maladies mentales par Morel en France dès 1857. Il est défini par l’aggravation ou la survenue plus précoce d’une maladie au cours des générations successives au sein d’une même famille [103]. Sur le plan biologique, l’anticipation est associée à une augmentation ou « expansion » du nombre de répétitions de triplets (séries de trois nucléotides répétées consécutivement par exemple CGG CGG CGG) au niveau de certaines régions de l’ADN. Les répétitions de type CAG ou CGG sont les plus fréquemment observées. Le génome humain comprend plusieurs milliers de loci caractérisés par des répétitions de triplets plus ou moins importantes mais qui restent toujours inférieures à une valeur seuil et dont la transmission est stable d’une génération à l’autre. Dans le cas d’une maladie avec anticipation, à un locus donné, ce nombre de répétitions augmente au cours des générations successives (au moment de la méiose) et devient instable, parallèlement à l’aggravation clinique ou à la survenue plus précoce de la maladie. Lorsque ces expansions sont situées dans une région transcrite en ARN et que le nombre de répétitions dépasse une certaine valeur (entre 35 et 40 en général), ce mécanisme peut aboutir à une mutation qualifiée de dynamique. En outre, quand ces répétitions sont présentes dans une région codante du génome, elles peuvent entraîner la synthèse de séquences répétées d’acides aminés.

Toutefois, les expansions observées dans la chorée de Huntington par exemple sont associées à certains haplotypes (ensemble d’allèles suffisamment liés entre eux pour être transmis comme une unité). Ces haplotypes sont caractérisés par des allèles normaux longs qui auraient une plus grande probabilité d’atteindre la zone de prémutation et pourraient ainsi constituer un réservoir de mutations dans certaines populations. Dans des maladies associées à une importante instabilité de fragments d’ADN telles que le syndrome du X fragile, il existe préalablement à la mutation, un stade de prémutation. Chez le sujet normal, la longueur des

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répétitions de triplets reste inférieure à une valeur seuil et est transmise sans changement aux générations suivantes. Lors de l’apparition d’une prémutation chez un individu, la longueur des répétitions de triplets augmente légèrement, conférant une instabilité à la séquence de l’ADN qui peut ainsi continuer à croître lors des méioses successives. Dans de rares cas, le nombre de répétitions peut décroître et le phénotype du sujet porteur peut redevenir normal à la génération suivante. Cependant le plus souvent, le nombre de répétitions s’accroît et la maladie devient de plus en plus sévère ou de plus en plus précoce au cours des générations successives au sein d’une même famille.

En général, les maladies liées à des expansions de triplets sont classées selon le type de répétition et selon leur traduction éventuelle. La grande majorité des maladies résultant d’expansions de trinucléotides touche le système nerveux central et a pour conséquence un retard mental ou des troubles cognitifs. Ces maladies sont fréquemment associées à des symptômes psychiatriques comme les troubles affectifs ou schizophréniques. Dans nombre de ces maladies, la longueur des séquences de répétitions de triplets est corrélée avec la sévérité ou l’âge de début de la maladie. Plusieurs équipes ont alors recherché l’existence de ces mutations dynamiques chez des sujets schizophrènes en absence de maladie neurologique. En effet, la découverte récente de ces mutations a conduit à reconsidérer la question de l’anticipation clinique initialement observée dans les pathologies psychiatriques.

1. Anticipation et schizophrénie :

Il convient d’abord de citer le travail déjà de Penrose qui a examiné 3 000 schizophrènes appartenant à des familles comportant plusieurs sujets atteints, au sein de plusieurs générations successives, à la recherche d’un phénomène d’anticipation. Il a observé une diminution significative de l’âge de début de la maladie au fur et à mesure des générations successives. Cependant, il attribuait ce phénomène d’anticipation à des biais d’analyse :

 Choix préférentiel de familles au sein desquelles les parents ont un âge de début tardif. En effet, les parents dont l’âge de début est plus précoce auraient, du fait de leur pathologie, une fertilité réduite. Des biais de remémoration pourraient également intervenir dans la détermination rétrospective de l’âge de début ;

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 Choix préférentiel de familles dont la descendance a un âge de début précoce. Il pourrait s’agir alors des formes les plus sévères qui pourraient être plus facilement dépistées. Les cas d’enfants dont l’âge de début de la maladie est tardif pourraient également être moins fréquents car, au moment de l’étude, ils n’auraient pas encore dépassé la période dite à risque de développer la schizophrénie ;

 Choix préférentiel de paires parents-enfants développant en même temps la maladie dans une plage de temps donnée.

Les études ont essayé de prendre en compte ces biais. La plupart de ces études, sauf une réalisée à partir des familles issues d’un isolat situé en Micronésie, a retrouvé un phénomène d’anticipation pour l’âge de début (6 à 18,5 ans soit 13 ans en moyenne) dans des échantillons de familles dites unilinéales (un seul des deux parents est supposé transmettre la maladie), comportant plusieurs sujets schizophrènes et incluant deux à trois générations. Un total d’environ 900 familles a été analysé. Ainsi, par exemple, parmi les toutes premières études, Thibaut et al [104] ont analysé 26 familles et ont observé une diminution significative de l’âge de début de la schizophrénie dans la jeune génération (en moyenne 10 ans), comparativement à la génération des sujets plus âgés (parents, oncles et tantes). La prise en compte de certains biais d’analyse possibles (choix préférentiel de familles au sein desquelles les parents ont un âge de début tardif, effet de censure de l’âge auquel le sujet est analysé pour ce qui concerne la génération des enfants) ne modifie pas les résultats. Yaw et al [103] ont étudié un petit échantillon de 15 familles comportant chacune plusieurs sujets schizophrènes et ont analysé séparément les paires en fonction de l’âge de début précoce ou tardif de la schizophrénie chez les parents. Ils ne trouvent pas d’anticipation au sein des paires à âge de début précoce du parent (mais il s’agit de dix paires).

D’autres biais, tels que la possibilité d’un effet cohorte dans la schizophrénie (modification de l’âge de début, de la sévérité ou de la fréquence d’une maladie à l’échelle d’une population entière, au cours des décennies successives), ont été récemment décrits

[105]. La réduction de la fertilité, chez les schizophrènes les plus sévèrement et les plus

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d’anticipation. Enfin, la plupart des études ont sélectionné des familles à transmission unilinéale, ce qui n’exclut pas la possibilité d’un appariement préférentiel, parmi les couples étudiés, avec une autre personne porteuse de gènes de susceptibilité, mais n’exprimant pas cliniquement la schizophrénie. La situation idéale serait l’inclusion systématique de probands, indépendamment de leur histoire familiale, et leur étude prospective jusqu’à ce que la génération des parents et des enfants atteigne la fin de la période « à risque » de développer la maladie.

En ce qui concerne l’accroissement de la sévérité de la maladie au cours des générations successives, les données sont plus controversées, en partie à cause de la difficulté à établir des critères stables de mesure de la sévérité de la maladie. Le nombre et la durée des hospitalisations, parfois utilisés dans certaines études, ne constituent pas un indice très fiable de mesure de la sévérité.

Petronis et Kennedy [106] ont réexaminé les données issues des études familiales, de jumeaux et d’adoption, dans la perspective de mutations instables. Ils montrent que certaines déviations, par rapport à un mode de transmission mendélien simple, qui sont habituellement considérées comme des arguments en faveur d’une hérédité polygénique, peuvent s’interpréter avec un modèle de transmission des gènes instables. Cette explication permet de rendre compte de certains phénomènes inexpliqués, tels que le nombre élevé de formes apparaissant comme non familiales; la discordance parfois observée chez les jumeaux monozygotes (qui peut être liée à des expansions différentes pendant la période postzygotique); l’identité du taux de psychose dans la descendance de jumeaux monozygotes pour la schizophrénie; les variations importantes du phénotype à l’intérieur d’une même famille (pénétrance et expressivité variables liées à la taille plus ou moins grande de l’expansion ou encore à l’existence de mosaïques dans les cellules somatiques).

Cependant, les modes de transmission inhabituels sont beaucoup plus fréquents dans les maladies psychiatriques que dans les maladies à expansions de répétitions, suggérant ainsi que les mutations dynamiques ne sont probablement pas le seul mécanisme génétique impliqué dans la schizophrénie.

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