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3.2.1 Présentation

Depuis les travaux de Pratt et Robinson en 1922, et de Willstätter et Everest en 1913, il est

reconnu que les anthocyanes sont des molécules responsables de couleurs spécifiques dans le

règne végétal. Elles représentent le groupe le plus important de pigments solubles dans l’eau

visibles par l’œil humain. Du grec άνθη « fleur » et κυανού « bleu », les anthocyanes sont

principalement responsables des couleurs des pétales de fleurs ainsi que des fruits.

Dans le raisin de Vitis vinifera, les anthocyanes sont la principale source de couleur des vins

rouges jeunes, avec une concentration variant entre 350 et 1500 mg/L (Leone et al., 1984).

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Leur structure est considérée comme des plus simples, comparée aux anthocyanes trouvées

dans d’autres plantes telles que les orchidées, les pétunias ou le chou rouge (Brouillard et al.,

2003). Les anthocyanes sont extraites des pellicules du raisin et de la pulpe s’il s’agit de

cépages teinturiers (Amrani-Joutey et Glories, 1995; Pecket et Small, 1980), tels que le

Gamay de Bouze Nou l’Alicante Henri Bouschet N. Pendant la vinification, les anthocyanes

sous leur forme cation flavylium sont la principale source de la couleur rouge des vins,

cependant elles restent relativement instables. Les principales anthocyanes libres sont au

nombre de neuf : cinq formes 3-O-monoglucosides (Figure 8), comprenant la malvidine-3-O

-glucoside (appelée œnine), la pæonidine-3-O-glucoside (pæonine), la pétunidine-3-O

-glucoside (pétunine), la delphinidine-3-O-glucoside (myrtilline) et la cyanidine-3-O-glucoside

(kuromanine) ; auxquelles viennent s’ajouter les anthocyanes acylées : les acétylglucosides, et

les para-coumaroylglucosides

.

Dans les baies de raisin de Vitis vinifera, la malvidine-3-O

-glucoside (Mv3G) et ses formes acylées représentent 60 à 80 % de la totalité des anthocyanes

(Somers et Vérette, 1988).

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3.2.2 L’équilibre des anthocyanes dans le vin rouge

A Équilibre en fonction du pH

En conditions acides, une anthocyane est présente sous la forme cation flavylium, possédant

un oxygène chargé positivement. C’est un cation stable car sa charge est délocalisée sur

l’ensemble du cycle qui est stabilisé par résonnance.

Dans la zone de pH du vin (entre 3,0 et 4,0), l’ion flavylium, de couleur rouge, est le siège de

deux types de réactions (Brouillard et Dubois, 1977), une réaction acide-base et une réaction

d’hydratation, qui conduisent à l’équilibre avec trois autres formes (Figure 9) :passage du

cation à la base quinonique via un transfert de proton et correspondant à l’équilibre

rouge  mauve ; équilibre entre le cation et la base carabinol (incolore) via une hydratation

suivie d’un transfert de proton ; ouverture de l’hétérocycle et réarrangement en chalcone

(jaune pâle).

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B Équilibre en présence de SO

2

En présence de dioxyde de soufre (SO

2

), les solutions d’anthocyanes sont fortement

décolorées. En milieu aqueux, le SO

2

se combine avec l’eau pour produire de l’acide

sulfureux, qui s’équilibre selon l’équation suivante (Danilewicz, 2007) :

A pH 3.2, 96 % de l’acide sulfureux (SO

2

+ H

2

O) se trouve sous la forme d’anion HSO

3

-(hydrogénosulfite) (Barbe, 2000). Les anions formés réagissent avec l’anthocyane sous sa

forme flavylium (A

+

) le plus probablement sur les carbones 2 et 4 de l’hétérocycle, par

analogie avec la réaction d’hydratation (Berké et al., 1998). Le produit ASO

3

H ainsi formé est

incolore (Figure 10).

Glories (1984) a montré que si le vin rouge ne possédait que des anthocyanes à l’état libre, sa

couleur serait très peu intense à l’image de celle observée pour un vin rosé. En outre le

pourcentage de coloration dépend, pour des conditions de SO

2

données, de la concentration en

anthocyanes ; plus elle est élevée plus la coloration est importante (Ribéreau-Gayon et al.,

2012). Heureusement, les mécanismes impliquant les anthocyanes pour former des complexes

polymérisés et des pigments dérivés sont présents, ce qui explique que le vin conserve sa

couleur malgré son vieillissement. Par ailleurs, l’effet décolorant du SO

2

sur ces structures est

très faible voire inexistant (Glories, 1978).

Figure 10 :Deux formes possibles de l’anthocyane incolore ASO

3

H après réaction avec l’anion HSO

3-

.

3.2.3 La dégradation des anthocyanes

Dans le vin rouge, les anthocyanes libres évoluent rapidement. Leur concentration diminue

considérablement durant les premiers mois d’élevage des vins. Cette diminution est due,

d’une part à des réactions de combinaison avec différents composés du vin, d’autre part à des

réactions de dégradation. La stabilité des anthocyanes dépend de différents facteurs : le type

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de molécule, le pH, la température de conservation, l’oxygène, l’exposition à la lumière, la

composition de la solution (Ribéreau-Gayon et al., 2012).

Trois types de réactions ont été mises en évidence : la dégradation thermique, la dégradation

oxydative et la dégradation en présence de cétones.

A Dégradation thermique

Le chauffage à 100°C d’une solution d’anthocyanes entraîne une décoloration rapide et

irréversible (Hillmann et al., 2011). De plus, le pourcentage de dégradation est corrélé à

l’augmentation de température et à la concentration en anthocyanes en solution (Galvin,

1993). Le déplacement des équilibres vers la forme chalcone et les formes incolores des

anthocyanes est l’explication la plus probable (Ribéreau-Gayon et al., 2012). La température

est donc un point primordial à prendre en considération pour l’élevage et le vieillissement des

vins. En général les caves de stockage sont thermostatées pour garder une température

optimale et constante toute l’année.

B Dégradation oxydative

En solution hydroalcoolique acide et exposées à la lumière, les anthocyanes se décolorent en

quelques jours (Laborde, 1987). L’oxygène et la lumière semblent agir comme des

catalyseurs, et un pH plus élevé accélère la réaction (Abyari et al., 2006; Bordignon-Luiz et

al., 2007; Tseng et al., 2006). Les anthocyanes pourvues de deux groupes hydroxyles

adjacents sur le cycle B (ortho-diphénols ou o-diphénols) peuvent former des ortho-quinones

par oxydation. La malvidine-3-O-glucoside et la paeonidine-3-O-glucoside, qui ne sont pas

des ortho-diphénols, sont plus résistantes à l’oxydation que la cyanidine-3-O-glucoside

(Cheynier et al., 1995; Kader et al., 1999; Mazza et Brouillard, 1987).

C Dégradation en présence de cétones

La présence de cétones est aussi un facteur pouvant causer la dégradation des anthocyanes. En

milieu acide et aqueux contenant de l’acétone, celles-ci donnent des composés orangés

(Glories, 1978). Différents mécanismes sont proposés pour expliquer ce phénomène :

hydrolyse des anthocyanines et formation de dihydroflavonols ; rupture de l’hétérocycle avec

formation d’acides benzoïques ; ou bien condensation avec l’acétone par double liaison

polarisée, avec formation de composés orange (Ribéreau-Gayon et al., 2012).

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3.2.4 La réactivité des anthocyanes

Une anthocyane peut à la fois se comporter comme une entité électrophile, c’est-à-dire qu’elle

va réagir en arrachant une paire d’électrons à son partenaire de réaction pour former une

liaison (accepteur d’électrons) ; mais elle peut également se comporter comme une entité

nucléophile, c’est-à-dire qu’elle va attaquer son partenaire de réaction en lui fournissant une

paire d’électrons (donneur d’électrons).

Les charges partielles, notées δ, symbolisent une asymétrie dans la distribution des électrons

d’une liaison chimique, créant ainsi une attraction sur le nuage électronique plus forte ou plus

faible selon l’électronégativité de l’élément considéré. Si l’attraction est plus forte la charge

partielle est positive (δ

+

), si l’attraction est plus faible la charge partielle est négative (δ

-).

En prenant exemple avec la malvidine-3-O-glucoside (Figure 11), les charges partielles sont

réparties de la manière suivante : charge partielle négative (δ

-) au niveau du noyau A, en

positions 6 et 8, lorsque l’anthocyane subit une réaction d’hydratation et prend la forme

hémiacétal : l’anthocyane se comportera alors comme une entité nucléophile ; charge partielle

positive (δ

+

) en position 4 de l’hétérocycle C : l’anthocyane se comportera ici comme une

entité électrophile.

Figure 11 : L’anthocyane, entité électrophile et nucléophile.

δ

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4 ÉVOLUTION DES ANTHOCYANES ET DES FLAVANOLS AU

COURS DE LA VINIFICATION ET DE L’ÉLEVAGE

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