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Les antécédents : l’entourage du cardinal Médicis, la construction d’un réseau et d’une iconographie

Jean de Médicis était venu à Rome pour la première fois en 1500, pendant le pontificat de Jules II, parallèlement à d’autres humanistes de renom. Suite au deuxième exil de sa famille, après la mort de son frère Pierre à Florence (1503)79, il devint l’acteur principal de la politique « médicéenne »

auprès de la Curie romaine en renouant, pour ce faire, des relations diplomatiques avec sa ville natale, selon une perspective antirépublicaine et anti-française. L’amitié ancienne avec Galeotto Franciotti della Rovere, puissant neveu de Jules II, cardinal de Saint Pierre in Vincoli, homme très influent et protecteur d’humanistes, fut déterminante et stratégique pour accéder aux milieux curiaux et établir un lien fort avec le pontife80 ; la collaboration entre le Médicis et le cardinal Franciotti aurait même

perduré après la mort prématurée81 de ce dernier. La médiation du cardinal, homme aimable et cultivé, et d’ores et déjà protecteur d’Érasme, aida certainement Jean à plaider le sort de sa famille auprès de Jules II, et à préparer ainsi la restauration du régime médicéen à Florence (un événement qui ne fut possible que lorsque l’affrontement entre Louis XII et le pape éclata de façon dramatique). Une fois nommé légat pontifical, fidèle à Jules II, le cardinal devint très influent au sein de la Curie. Il fut impliqué dans les vicissitudes de la Ligue contre le roi de France Louis XII, jusqu’à la restauration des Médicis, et put également (et surtout !) s’agréger plus durablement encore au parti pontifical, ainsi qu’au pontife lui-même, lequel lui confia dès lors des charges importantes.

Du fait de sa libéralité et de son caractère affable, le cardinal jouissait en outre d’une grande renommée auprès du pape et de la cour pontificale, mais aussi du peuple. Sa demeure située à côté de Saint Eustache, près du palais Madame, devint un centre de rayonnement de la culture où la faction favorable aux Médicis et aux florentins s'opposait au gouvernement de Soderini82. Selon des sources

79 Pour l’histoire des Médicis la bibliographie est très étendue. Les membres de la famille ont été impliqués dans l’affrontement de nature politique dans un premier temps, puis religieux, dans un deuxième, qui avait vu s’affronter Jules II et Louis XII.

80 RODOCANACHI 1931, p. 23.

81 P. CHERUBINI, DBI, Vol. 50, 1998 Le cardinal fut le trait d’union parmi plusieurs humanistes. Par ex. RENAUDET 1954, p. 93.

31 contemporaines, le palais, richement décoré, et la bibliothèque, pourvue de manuscrits très anciens, représentaient « un centro di studio e d’eleganza, di dotti trattenimenti e di spensierata gaiezza »83. À

l’exemple du Magnifique, le jeune cardinal tentait de recréer dans la capitale, et malgré les difficultés financières, l’héritage politique et culturel des Médicis, comme pour déplacer la cour médicéenne de Florence à Rome84. Dans sa demeure, il s’évertuait, en accueillant des artistes ou des entretiens

littéraires, à préserver le prestige des Médicis à Rome, et cela, en dépit du renversement de la situation politico-culturelle et des difficultés traversées par la famille.

Rome connut alors un flux impressionnant d’artistes florentins porteurs d’idées nouvelles, ainsi que des symboles et des éléments figuratifs élaborés dans les cercles florentins, notamment lors des réunions à Carreggi, tous imprégnés d’un néoplatonisme de matrice ficinienne. Bien avant l’élection de Jean au pontificat, un langage figuratif lié à la famille des Médicis fut donc transposé dans la capitale85. Le cardinal s’attachant notamment à préserver et à diffuser une iconographie médicéenne représentée par le mythe de la felix aetas, élaboré par son père au nom de la gloire familiale.

C’est à cette époque que le jeune cardinal, alors que le sort de sa famille florentine restait incertain, fut en mesure de nouer des amitiés et des liens profonds avec des humanistes86. Souvent, il les avait déjà connus lors de son enfance, du fait d’affinités culturelles et intellectuelles entre sa famille et les humanistes florentins. Il s’agissait notamment de ressortissants de l’aristocratie florentine qui s'étaient opposés au régime républicain de Pierre Soderini, ainsi que d’autres écrivains dont il avait fait la connaissance pendant ses années d’exil, au gré de ses pérégrinations dans les cours italiennes. Malgré les difficultés économiques, Jean de Médicis sut, à cette époque, constituer et animer un véritable cénacle d’artistes et de lettrés, mettant ce cadre à profit pour tisser des alliances, d’apparence culturelle certes, mais destinées à jouer un rôle essentiel dans le retour en force de sa famille à Florence87.

De nombreux témoignages évoquent le faste et la splendeur du cadre dans lequel le jeune cardinal recevait ses invités. Sous le signe de la sauvegarde du patrimoine et de la renommée du nom de sa famille, il avait notamment relevé la précieuse bibliothèque paternelle pour la transférer dans

83 Le cardinal avait réussi également à racheter et à transporter une partie de la bibliothèque de Laurent, que lui-même avait confiée aux frères de Saint Marco avant de partir en exil de Florence.

84 La politique de Jean fut alors de discréditer la République florentine, alliée des Français et gouvernée à partir de 1502 par Soderini, et favoriser en même temps, ceux qui avaient appuyé le régime médicéen.

85 Il arriva à restaurer les Médicis, suite à une volte-face de la politique de Jules II, persuadé que les Florentins avaient abrité le concile de Pise et qu’ils ne s’étaient pas opposés aux Français. Il fut défait par les Français à Ravenne, et obligé de s’enfuir à Mantoue.

86RODOCANACHI 1931, p. 21 et sv. Jean fut toujours accompagné dans ses démarches par son cousin Jules de Médicis (1478-1534, fils de Julien), « qu’il chérissait particulièrement » et avec lequel il avait partagé plusieurs années « aventureuses » en Europe et en Italie, après la chute des Médicis de Florence.

87 GIOVIO 1548, p. 33-34 ; GUICHARDIN, ed. 1929, III, p. 126 ; ROSCOE 1813, III, p. 37-40 ; PASTOR,IV.1 1893, p. 19- 22.

32 sa demeure romaine88. C’est ainsi, au cœur même de Rome, que le jeune cardinal inaugura, malgré les difficultés financières, une politique culturelle destinée à maintenir la renommée de sa famille et à favoriser son retour à Florence dans une perspective anti-soderinienne89. Il appela à lui des artistes, des lettrés et des philosophes, afin de promouvoir dans la capitale une iconographie médicéenne. Il soutenait ainsi sa famille, tout en préparant son élevation au pontificat90. En tant que cardinal, Jean participa ainsi, de manière très active, à la vie culturelle romaine. C’est à ce moment de sa vie qu’il bâtit son entourage, s’entourant d’amitiés d’enfance et d’humanistes d’envergure, souvent rencontrés pendant ses années florentines. Les créateurs du programme idéologique du futur Léon X vivaient ainsi, dès cette époque à son contact. Éminents humanistes, proches jadis des Médicis, ils avaient partagé l’expérience de l’exil avec le jeune cardinal ou s’étaient réunis à Rome autour du Palais Madame, dans son cénacle culturel. C’est entre Rome et Urbino que se déroulera la trame diplomatique du futur Léon X.

88 GUICHARDIN, Storie fiorentine, éd. 1931, p. 321-322 : « Ma creato el gonfaloniere a vita, ed essendo circa a uno anno di poi morto Piero nel Garigliano, el cardinale e Giuliano, o perché lo ordinario fussino di natura più civile ed umana, o perché considerassino che e’ portamenti di Piero non erano stati a proposito, cominciarono a tenere altri modi, ed ingegnarsi ad aparecchiare la tornata, non per forza e benevolenzia, e con beneficare e’ cittadini, non con offendergli né in piblico né in privato. E però non pretermettevano di fare spezie alcuna di piacere a quegli fiorentini che stavano o capitavano a Roma dando a loro grande aiuto e favore in tutte le occorrenzie ed espedizione loro, servendo ancora di danari o di credito chi n’avessi bisogno; ed in effetto la casa, la facultà, le forze e la riputazione tutta del cardinale erano a saccomanno de’ fiorentini […] Queste cose, divulgate a Firenze, avevano fatto che tutti quasi e’ fiorentini, a chi accadeva in Roma avere bisogno della corte o per espedizioni di benefici o per altro, facevano o personalmente o con lettere capo al cardinale de’ Medici […] ; e lui li serviva tutti prontissimamente, in modo che non solo avevano desti alla memoria molti degli amici vecchi, ma ancora degli altri nella città». Voir infra, I. 2., p. 37.

89 En résidant à Palais Madame, situé dans le quartier de Parione, entre Place Navona et le Panthéon, Jean avait animé un cénacle d’artistes, un lien de rencontre parmi tous ceux qui étaient proches de la puissante famille florentine.

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