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Trente ans de politique de la ville

Trente ans de politique de la ville

Dès le début des années 1970, la question du devenir social et urbanistique des Grands ensembles est posé. En 1973, une circulaire ministérielle dite « circulaire Guichard » met un arrêt à la production de ce type de logements, considérant qu’ils sont « peu conformes aux aspirations des habitants et sans justification économique »9. Deux ans plus tard, les premiers programmes expérimentaux via les clubs « Habitat et Vie sociale » sont lancés. Une circulaire ministérielle en date du 3 mars 1977 officialise la procédure. L’originalité de la démarche engagée par l’Etat consiste à croiser l’approche sociale (le mieux être des populations) avec la nécessaire prise en compte de la dégradation matérielle d’une grande partie des parcs locatifs. Les opérations menées tout d’abord dans le cadre des programmes « Habitat et Vie sociale » puis sous l’égide du Fonds d’aménagement urbain (FAU) peuvent légitimement être considérées comme les prémices de ce qui deviendra officiellement à partir de 1981 la Politique de la Ville.

A cette date, aussitôt la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle passée, des émeutes éclatent dans plusieurs villes de la banlieue lyonnaise, en particulier à Venissieux et Vaulx en Velin. Les rodéos nocturnes de voitures qui sont ensuite brûlées sous le regard des caméras marquent l’opinion publique et obligent le gouvernement à donner rapidement une réponse à ce que l’on présente généralement comme la manifestation de colère de jeunes habitants des cités populaires des grandes agglomérations.

Lors du congrès des HLM le 28 octobre 1981, le premier ministre Pierre Mauroy annonce la création d'une Commission nationale pour le développement social des quartiers (CNDSQ), chargée de traiter les questions relatives à l'habitat social. L’animation de cette instance est confiée au maire de Grenoble, Hubert Dubedout, qui remet l’année suivante son rapport intitulé Ensemble, refaire la ville. Celui-ci fait des propositions qui vont avoir pour conséquence de bouleverser pour une large part les pratiques administratives en cours.

Désormais, il va être question en particulier de travailler à l’échelle d’un quartier, de manière transversale, et autour d’objectifs contractuels définis en concertation avec les habitants.

L’ambition de la Politique de la ville est surtout d’apporter une réponse globale aux difficultés que connaissent les grands ensembles. Il s’agit de répondre à la fois aux dégradations matérielles que connaît ce type d’habitat mais également aux difficultés sociales des populations qui y vivent et qui sont composées largement d’immigrés arrivés une décennie

9 Circulaire du 21 mars 1973 relative aux formes d’urbanisation dites grands ensembles et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat, Journal officiel, 5 avril 1973.

plus tôt dans ces logements délaissés par les classes moyennes. Pour répondre à la question urgente de la lutte contre la délinquance (celle des jeunes en particulier), l’accent est désormais mis sur la prévention avec la création de conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance (CCPD et CDPD). En matière éducative, Alain Savary, ministre de l'Éducation nationale, propose la mise en place de zones d'éducation prioritaires qui recevront des moyens supplémentaires de fonctionnement afin d’aider les enfants de ces quartiers à venir à bout de leurs difficultés. En complément, suite au Rapport Schwartz, des missions locales pour l’emploi seront créées.

Près de 150 quartiers, parmi lesquels les Minguettes ou la cité des Quatre-Mille de La Courneuve, sont ainsi engagés dans une procédure de DSQ dans le cadre de la mise en place du IXème plan (1984-1988). Parallèlement, la mission “Banlieues 89” est confiée à deux architectes, Roland Castro et Michel Cantal-Dupart, avec pour mission de “faire des banlieues aussi belles que les villes”. Implicitement, il s’agit d’une nouvelle condamnation des grands ensembles jugés comme étant, par leurs formes architecturales, des obstacles à l’épanouissement des populations qui y vivent. Qu’il s’agisse de tours ou de barres, la concentration de logements et le manque d’équipements s’y rapportant s’avèrent être les deux critiques les plus couramment émises à leur égard. A la veille de la cohabitation de 1986, Castro sera nommé délégué interministériel aux banlieues. Mais très vite, la plupart des projets envisagés ne pourront être menés à leur terme faute de financements. Le tournant de la rigueur décidé par le gouvernement en 1983 restreint en effet toute une série de projets. Par ailleurs, le retour au pouvoir de la droite entre 1986 et 1988 ne remet toutefois pas en cause le principe même de la Politique de la Ville même si certains députés libéraux y voient une omniprésence de l’Etat dans la vie économique et sociale des quartiers en difficultés.

Le foisonnement des initiatives mais aussi, il faut le dire, le manque de résultats va conduire le gouvernement confié à Michel Rocard au lendemain de la réélection de François Mitterrand en 1988 à revoir le dispositif de la Politique de la Ville. Après le temps de l’utopie généreuse, vient celui de la rationalisation des techniques et des moyens, notamment financiers.

Successivement vont être créés la Délégation interministérielle à la ville (DIV) en 1988 dont le rôle sera d’être en quelque sorte la cheville ouvrière de la Politique de la ville et surtout le Ministère de la ville en 1990 dont le premier détenteur sera Michel Delebarre, ancien proche collaborateur de Pierre Mauroy et véritablement personnalité politique de premier plan à être

interministérielle est achevée avec la création de postes de sous-préfets à la ville chargés d’animer et de coordonner l'intervention de l'État localement. Il leur appartient en particulier de recentrer les projets initiés dans le cadre de la Politique de la ville autour d’objectifs globaux aussi variés que la lutte contre l’échec scolaire, le développement associatif ou bien encore la lutte pour l’insertion des jeunes dans le tissu économique local. Une dernière innovation de taille marque cette seconde étape : l’agglomération est de plus en présentée comme l’échelon pertinent d’intervention pour la Politique de la Ville. Le développement social des quartiers cède d’ailleurs progressivement la place à celui de développement social urbain. Il s’agit cette fois aussi de mieux prendre en compte les enjeux liés aux problématiques d’aménagement du territoire. Le dépassement de l’échelle du quartier s’incarne dans la mise en place à titre expérimental de 13 contrats de ville en 1991. La procédure est généralisée en 1994 par la signature de 214 contrats dans le cadre du Xie plan (1994-1999). Un arsenal spécifique de textes législatifs vient appuyer la politique de la ville.

Il s’agit tout d’abord de la loi Besson votée le 31 mai 1990, qui énonce la dominante sociale désormais privilégiée dans la politique du logement. Elle rend notamment obligatoire l'élaboration d'un plan départemental d'action pour le logement des plus défavorisés (PDLD) qui sera construit et mis en œuvre, conjointement par le préfet et le président du Conseil général, en collaboration avec les collectivités locales, les bailleurs sociaux, les caisses d'allocations familiales, les associations à vocation humanitaire et sociale. Elle prévoit aussi l'institution d'un Fonds de solidarité pour le logement (FSL). Quant à la loi du 13 mai 1991 sur la solidarité financière, elle institue trois mécanismes distincts de péréquation en faveur des communes pauvres supportant de lourdes charges liées aux dysfonctionnements urbains : la dotation de solidarité urbaine (DSU) dont le principe est de prélever des cotisations sur les communes riches pour les transférer aux communes les plus pauvres, notamment celles qui ont un parc important de logements sociaux. Surtout, la loi d'orientation pour la ville, votée le 13 juillet 1991, établit en particulier qu'un « droit à la ville » doit être assuré à tous les citoyens.

L’outil de référence de la Politique de la ville est désormais le Contrat de ville censé rassembler toutes les procédures contractuelles agissant dans le cadre de la Politique de la ville. Il s’agit là aussi d’une évolution notable dans la mesure où certains ministères comme l’Education nationale ou Jeunesse et Sports vont financer désormais une partie de leurs projets en fonction d’objectifs définis conjointement avec différents partenaires locaux tels que les centres sociaux ou certaines associations. Pour les territoires les plus en difficultés, qui nécessitent à ce titre une intervention lourde, l’Etat met en œuvre les Grands projets urbains

(GPU) dont l’objectif est de répondre à des enjeux aussi complexes que celui par exemple de l’enclavement d’un quartier, voire de toute une ville. Il s’agira, par exemple, dans le quartier de la Bourgogne à Tourcoing, de mettre en œuvre le passage du métro afin de relier cette ancienne ZUP avec le centre ville ainsi qu’avec le reste de la métropole lilloise. Dans la ville voisine de Roubaix, d’anciennes friches industrielles, grâce à la manne financière du GPU, seront transformées en hôtels d’entreprises ou en jardins publics.

La production d’un nouveau rapport demandé par Martine Aubry à Jean-Pierre Sueur après le retour de la gauche au pouvoir en 1997 souligne néanmoins les limites de la Politique de la Ville. Dans son rapport intitulé Demain la ville, remis le 13 février 1998, le député maire d’Orléans met en avant les pesanteurs de l'administration, la frilosité des collectivités locales, et les effets très inégaux de ce qui a été entrepris depuis 1981. Il avance cinquante mesures pour refaire partir la Politique de la Ville, notamment l'augmentation des crédits et une programmation décennale ; la création de Conseils d'agglomération, le retour d’un ministère en charge de ces questions.

Le nouveau ministre, Claude Bartolone, annonce en 1998 une nouvelle série de décisions qui vont notamment se traduire par la signature d’une nouvelle génération de contrats de ville et la mise en place des Grands Projets de Ville (GPV) qui succèdent aux GPU.

Conjointement, la loi dite Chevènement, relative à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale, votée le 18 juillet 1999, innove en incitant à la création de communautés d'agglomération pour les aires urbaines regroupant au moins 50.000 habitants dont la commune-centre compte plus de 15.000 habitants. Dotées du statut juridique d'établissement public de coopération intercommunale, elles disposent d'un bloc de compétences obligatoires relatives au développement économique, à l'aménagement, aux transports, au logement et à la Politique de la Ville. La loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) présentée le 8 mars 2000 à l'Assemblée nationale et au Sénat, est votée le 13 décembre 2000. Elle vise à rendre les politiques urbaines plus cohérentes, à favoriser les mécanismes de solidarité dans la ville et à intégrer les politiques de déplacement dans le cadre du développement durable. Il s'agit aussi d'organiser une meilleure répartition des logements sociaux sur le territoire national, de proposer une plus grande mixité sociale et une diversité de l'habitat. Chaque commune devrait rassembler au moins 20% de logements dits sociaux sur son territoire. En parallèle, des plans de déplacement urbain (PDU) seront développés, avec

premier affiché par le nouveau ministre consiste à procéder dans les cinq ans à venir à la destruction de 200 000 logements jugés insalubres, ceci, afin de « casser les ghettos », d’en construire autant en remplacement et d’en réhabiliter le même nombre. Pour mener à bien cet ambitieux programme, une Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU) est constituée. Sa création marque surtout la volonté de l’Etat de procéder à un recentrage de ses missions sur la réhabilitation de grande envergure du cadre bâti. Quant au volet social de la Politique de la ville, il appartiendra désormais aux collectivités locales, dans le cadre de l’acte II de la décentralisation, d’y pourvoir, en complètement des crédits de droit commun. Même s’il est encore trop tôt pour émettre un avis motivé sur ce changement de cap, on peut en revanche, dès maintenant, tenter de dresser un bilan de la Politique de la ville conduite depuis trente ans.

Tout d’abord, s’il est courant de la critiquer pour ses insuffisances, ce qui parait effectivement juste au regard des événements auxquels nous venons d’assister, il n’en reste pas moins qu’elle a apporté des transformations profondes en matière d’action publique. L’un des acquis est d’avoir introduit la notion de contractualisation dans les procédures engagées. D’autre part, la Politique de la ville a également contribué, notamment par des dispositifs comme les fonds de participation des habitants (FPH), à intéresser les citoyens au devenir de leur quartier.

Il n’en reste pas moins que le déficit en matière d’intervention sociale reste grand ainsi qu’en ce qui concerne le sens donné aux mesures engagées. Sans aucun doute, la Politique de la ville souffre surtout d’un manque de lisibilité. Et s’il s’agit effectivement, selon l’expression de Marie Christine Jaillet, d’une politique au caractère “incertain”, il peut paraître aussi évident que cette politique publique doit être inscrite dans la durée et non pas uniquement comme une réponse ponctuelle aux flambées de violence qui secouent régulièrement certaines villes. Ainsi, il est sans doute utile de rappeler que ce n’est ni au milieu des années 1970, ni en 1981, que les pouvoirs publics prennent conscience du risque social qu’il y a de regrouper sur un même site plusieurs centaines, voir plusieurs centaines de milliers de personnes. Dès 1959, les concepteurs des grands ensembles français avaient ainsi créé une commission chargée de réfléchir aux problèmes de vie dans ce type de logement. Il importe désormais de replacer cette question dans la longue durée historique grâce à la considérable quantité d’archives disponible sur les différents sujets abordés depuis maintenant une trentaine d’années par la Politique de la Ville.

Thibault Tellier Maître de conférences à l’Université de Lille III (IUT-B)

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