Lobular invasive carcinoma of the breast is a molecular entity distinct from luminal invasive ductal carcinoma.
Gruel N, Lucchesi C, Raynal V, Rodrigues MJ, Pierron G, Goudefroye R, Cottu P, Reyal F, Sastre‐Garau X, Fourquet A, Delattre O, Vincent‐Salomon A.
Eur J Cancer, 2010, 46: 23992407.
Les cellules tumorales des ILC sont des cellules rondes, régulières et non cohésives entre elles, ce qui en fait un bon modèle d’étude des défauts de polarisation et d’adhésion à la matrice extracellulaire dans la carcinogenèse mammaire. A l’heure actuelle, un défaut majeur de la polarité a été largement décrit et documenté dans ces tumeurs: l’absence de jonctions adhérentes, dû à la perte d’expression de la E‐cadhérine (Acs G et al, 2001 ; Wahed A et al, 2002) et ce, dès le stade in situ (Vos CB et al, 1997). Afin d’identifier d’autres altérations de la polarité cellulaire ou les défauts d’adhésion cellule‐matrice, qui pourraient expliquer la forte fréquence de métastases viscérales associées à ces tumeurs, nous avons réalisé une étude combinée génome/transcriptome sur une série de 21 carcinomes lobulaires purs, comparée à 41 IC‐NST RO+ et de même grade (Table 3).
Table 3: Caractéristiques cliniques et phénotypiques des ILC. Statut gg: statut ganglionnaire.
RO: Récepteur aux oestrogènes. RP: Récepteur à la progestérone. E‐CADH : E‐cadhérine. pos: positif. Del: délétion. *: le gène est amplifié si le rapport du signal tumeur/normal ≥ 2 à son locus
11. Analyse génomique
Les ILC sont caractérisés par des profils génomiques complexes, avec un grand nombre d’anomalies interstitielles et de rares amplifications.
Comme cela a déjà été montré dans une série un peu moins conséquente (Bertucci F et al, 2008), nous confirmons que les ILC présentent des altérations génomiques récurrentes (trouvées dans plus de 40% des cas) et communes avec les IC‐NST RO+ de même
grade, comme les gains des chromosomes 1q12‐q44 (73% des ILC) et 16pter‐p11.2 (45% des ILC) et les pertes des régions 16q11.2‐q24.2 (84% des ILC) et 17pter‐p12 (50% des ILC), Ces altérations communes, retrouvées dans la majorité des tumeurs (de 45 à 84% des ILC) pourraient suggérer un précurseur commun entre ces deux entités tumorales, hypothèse validée par la co‐existence de lésions in situ canalaires et lobulaires dans plus de 60% des cas (Abdel‐Fatah TM et al, 2007). Figure 27: Altérations génomiques trouvées dans les ILC. Les gains sont indiqués en orange et les pertes en vert. Les altérations spécifiques de ce sous‐type tumoral sont encadrées.
D’autres altérations génomiques distinguent spécifiquement les ILC des IC‐NST. Parmi elles, nous avons mis en évidence l’amplification de la région 11q13.2‐q13.4 dans 24% des cas analysés. Cette amplification est associée à la surexpression de la cycline D1 (p‐val=5x10‐4). Nous avons également observé deux régions de perte
spécifiques des ILC, jamais décrites aussi précisément dans les études précédentes: les régions 13q21‐q31 et 22q11‐q12, perdues respectivement dans 46% et 50% des cas. Ces régions contiennent notamment les gènes KLF5 (13q22.1), dont la perte d’expression est corrélée à un mauvais pronostic (Kwak MK et al, 2008) et CYSTA (22q11.23), qui joue un rôle dans la stabilisation du cytosquelette d’actine et des microtubules, et dont la perte peut également induire des altérations de l’adhésion cellulaire.
12. Profil transcriptomique
L’analyse transcriptomique que nous avons réalisée montre que les ILC représentent une entité à part parmi les carcinomes infiltrants de type luminal (Figure 28). Nous
avons confirmé que cette entité présentait une sous‐expression de la E‐cadhérine, associée à une dérégulation des gènes impliqués dans l’adhésion cellulaire (ADAM12, LOXL2, CEACAM5, CEACAM6, THBS4, SORBS1). La protéine LOXL2 peut influer qualitativement et quantitativement sur certaines protéines de la polarité. En effet, elle coopère avec SNAIL pour réprimer l’expression de la E‐cadhérine (Peinado H et al, 2005). De plus, elle régule négativement l’expression et/ou altère la localisation subcellulaire des protéines PAR‐3, Claudine 1 et LGL‐2 (Moreno‐Bueno G et al, 2011). Sa surexpression est associée à un mauvais pronostic (Peinado H et al, 2008 ; Barker et al, 2011). La série de tumeurs étudiées présente également une sous‐expression de la protéine PAR‐3. L’absence de jonctions adhérentes (absence d’expression de E‐cadhérine) et serrées (sous‐expression de PAR‐3) pourrait ainsi expliquer le phénotype morphologique caractéristique des cellules tumorales de type lobulaire (ie petites cellules rondes).
Figure 28: Expression différentielle entre les ILC et les ICNST. Clustering hiérarchique non
supervisé: chaque colonne représente une tumeur, chaque ligne, un gène. Statut histologique: ILC, blanc ; IC‐NST, noir. Grade: I, blanc ; II, gris ; III, noir. Evènements (présence de métastases ou autres cancers), noir.
D’autres gènes impliqués dans l’adhésion à la matrice (MMP11, ITGA2B, ITGA6, ITGB1, ITGB3) et l’invasion (TWF1, ACTR2, AQP1, PAK1) sont également spécifiquement dérégulés dans les ILC. Cette dérégulation, associée à des défauts des constituants de
la matrice extracellulaire (sous‐expression des collagènes 11α1, 1α1, 6α1, de la fibronectine et de la spondine, surexpression des laminines α2, α5, β1, β2 et β3), pourrait expliquer la forte proportion de métastases observées chez ces patientes .
13. Conclusion
Les tumeurs de type lobulaire présentent un défaut majeur d’adhésion à la matrice extracellulaire (modulation d’expression des intégrines et de leurs ligands), accompagné d’une altération de la polarité apico‐basale. En effet, les cellules carcinomateuses n’ont pas de jonctions adhérentes (absence d’expression de E‐cadhérine), présentent des défauts des jonctions serrées (sous‐expression de la protéine PAR‐3) et surexpriment la protéine LOXL2, qui pourrait moduler l’expression ou la localisation subcellulaire de protéines de la polarité, telles LGL‐2 et claudine 1, et, initier la formation de métastases, comme cela a déjà été montré dans les cancers du sein de type basal‐like ou les carcinomes épidermoïdes. Cibler ces protéines pourrait représenter des pistes de thérapie de choix, visant à limiter la diffusion métastatique, surtout que l’on sait, qu’à l’heure actuelle, outre l’hormonothérapie, aucun traitement ciblé n’existe pour les carcinomes mammaires de type lobulaire.
Une analyse plus fine des altérations moléculaires retrouvées dans ces tumeurs nous a permis d’identifier d’autres cibles thérapeutiques et pourrait permettre, à terme, de proposer de nouveaux traitements. En effet, nous avons observé des amplifications du gène CCND1 dans environ un quart des tumeurs analysées (24% des cas), conduisant à la surexpression de la cycline D1. Une thérapie ciblée par les inhibiteurs de l’hydrolase EglN2 pourrait donc être envisagée. En effet, des expériences in vitro réalisées sur la lignée RO+ T47D ont montré que l’hydrolase EglN2 contrôlait la
carcinogénèse mammaire (prolifération cellulaire, effet transformant), via son interaction avec la cycline D1 (Zhang Q et al, 2009).