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Le corpus exposé et justifié, nous pouvons à présent amorcer l’analyse du dragon dans la littérature anglaise médiévale. Cette analyse suivra deux axes, eux-mêmes situés sur un continuum ininterrompu. En effet, le dragon médiéval, à l’instar des dragons mythologiques préalablement présentés et étudiés, oscille incessamment entre animal et divinité, deux statuts très distincts et néanmoins liés l’un à l’autre. Notre objectif sera ainsi, d’une part, de déterminer la place et le rôle du dragon de la littérature médiévale anglaise selon ces deux pôles fonctionnels d’animal et de divinité. D’autre part, dans un cadre comparatif et interculturel, nous chercherons à savoir si ce dragon médiéval n’est que réécriture mythologique, héritage des mythologies occidentales et de la tradition judéo-chrétienne, ou si nous pouvons y discerner une nouvelle figure mythologique proprement médiévale. Nous suivrons la règle d’or sur l’étude comparative de Georges Dumézil, « à savoir qu’elle permet de reconnaître et d’éclairer des structures de pensée, mais non pas de reconstituer des événements, de ‘fabriquer de l’histoire’, ni même de la préhistoire »1. Dans ce deuxième chapitre, nous allons tout d’abord nous intéresser à la nature animale du dragon, puis à son rôle proprement narratif, l’analyse littéraire intertextuelle étant notre paradigme de recherche.

I) LE DRAGON, L’ANIMAL

Dans la littérature médiévale anglaise, nous constatons que le dragon se caractérise, dans le sens qu’il se voit attribuer des caractéristiques de plus en plus précises, grâce à une littérature de plus en plus friande de descriptions tératologiques. Et avant d’être considéré comme un monstre, le dragon y est d’abord dépeint comme un animal, monstrueux certes, mais néanmoins un animal. De plus, le succès grandissant des bestiaires au Moyen-Âge impliquant un besoin de décrire, répertorier et classifier les animaux contraint le dragon médiéval à être défini au regard d’une faune existante et reconnue. Notons qu’au Moyen-Âge, la taxonomie2 est encore très influencée par les travaux des auteurs antiques : Pline l’Ancien, Théophraste, Pedanius Dioscoride, mais surtout Aristote (384-322 av. J.C.)3. Ce dernier, par

1 Cité dans BALLESTRA-PUECH, Sylvie. Op.cit., p. 15

2 Du grec τάζις, « mise en ordre, arrangement, bon ordre » et νοµός, « usage, coutume, loi », la taxonomie ou taxinomie est donc la science qui décrit et classifie les organismes vivants.

BAILLY, Anatole. Op.cit., pp. 593 et 853

ses ouvrages Histoire des animaux (ΠΕΡΙΤΑΖΩΙΑΙΣΤΟΡΙΩΝ), Parties des animaux (ΠΕΡΙ ΖΩΙΩΝ ΜΟΡΙΩΝ) et De la génération des animaux (ΠΕΡΙ ΖΩΙΩΝ ΓΕΝΕΣΕΩΣ), décrit et classifie de manière très générale le règne animal et végétal, reposant sur une observation de l’apparence, du comportement et de l’habitat des animaux. Cette classification demeure une référence au Moyen-Âge et les bestiaires médiévaux s’en inspirent très fortement. Il faudra attendre la Renaissance pour que l’amélioration des techniques et des appareils d’observation complètent et contredisent la classification d’Aristote. Avec ce goût grandissant pour la description et la classification animale, le public médiéval ne se contente plus des descriptions laconiques et évasives — parfois ambiguës —, des textes mythologiques et cherche à concrétiser et à classifier une figure dragonesque auparavant si imprécise, oscillant constamment entre le réel et l’irréel4, et cette concrétisation s’opère d’abord par l’animalisation du dragon.

1) Aspect physique du dragon et uniformisation de son animalité

Rares sont les dragons mythologiques qui sont uniquement considérés comme des animaux, communs et soumis au règne de la nature. Dans les nombreux textes gréco-romains, celtiques, germaniques et bibliques que nous avons étudiés, seul le dragon de l’Histoire Naturelle de Pline est décrit comme un animal à proprement parler, au même titre que l’éléphant, tandis que dans les autres textes, il est entité spirituelle ou divine. Au contraire, la littérature médiévale anglaise procède à une « animalisation » grandissante du dragon5, animalisation qui commence par son aspect physique. Nous constatons qu’elle procède de deux manières : par l’uniformisation de l’aspect physique du dragon et par le rapprochement de ces caractéristiques physiques de celle d’autres animaux plus communs. Nous analyserons tour à tour les différents traits et attributs physiques du dragon et tenterons de démontrer leur uniformisation littéraire, en les comparant aux dragons mythologiques et bibliques.

4 « Pour la culture médiévale, la frontière est floue qui sépare les animaux véritables des animaux imaginaires. Loin d’être purement chimériques, ces derniers font partie des modes de pensée et de sensibilité ordinaires, voire de la vie de tous les jours. »

DUCHET SUCHAUX, Gaston et Michel PASTOUREAU. Le Bestiaire médiéval. Dictionnaire historique et bibliographique. Paris : Le Léopard d’Or, 2002, p. 62

À cette citation, nous ajoutons que la connaissance du monde animal et végétal s’est toujours limitée à ce que l’homme était en mesure d’observer, la connaissance étant constamment tributaire du niveau de technologie de l’observateur. Au Moyen-Âge, les instruments d’observation sont rares et peu fiables, cette connaissance est donc parcellaire, et rien ne permet d’affirmer que le dragon n’existe pas.

5 « Le dragon est traité par les encyclopédistes médiévaux comme un animal à part entière. »

SODIGNE-COSTES, Geneviève. « Du boa au monstre volant : réalité et mythe du dragon chez les encyclopédistes du XIIIème siècle » dans BUSHINGER, Danielle et Wolfgang SPIEWOK, dir. Le dragon dans la culture médiévale. Actes du Colloque du Mont Saint-Michel du 31 octobre et 1er novembre 1993. Greifswald : Reineke-Verlag, 1993, p. 65

a) Les ailes

Les ailes nous apparaissent comme l’attribut le plus fréquent chez les dragons du corpus choisi, et par conséquent, la capacité de voler est une fonction récurrente. Les deux dragons maudits de Bevis of Hampton, le dragon de Sir Degaré, le dragon Belsabub de l’hagiographie de sainte Margaret, le vieux dragon de Beowulf, le dragon décrit dans le bestiaire De Proprietatibus Rerum, les dragons de l’Anglo-Saxon Chronicle, ainsi que le dragon vu dans le rêve du roi Arthur et que nous retrouvons dans les textes du Brut, de l’Historia Regum Britanniae et de l’Alliterative Morte Arthure nous sont tous décrits comme possédant des ailes ou comme sachant voler. Cette régularité contraste avec les dragons mythologiques qui, ainsi que nous l’avons précédemment montré, ne possèdent que très rarement des ailes. En effet, dans la mythologie gréco-romaine, seul Typhon se voit accorder des ailes, de même que les dragons de Médée, mais ces derniers sont à peine mentionnés. La mythologie celtique ne dote d’ailes que les filles du roi d’Isbernia changées en dragons afin qu’elles puissent poursuivre les fils de Tuireann. Néanmoins, chez les encyclopédistes antiques, les dragons-animaux ont généralement des ailes6. Aucun des dragons de la mythologie germanique ne possède d’ailes, et nous ne trouvons de dragon volant dans la tradition judéo-chrétienne que dans le Livre d’Isaïe, mais rien n’est précisé à son sujet.

En leur conférant de manière presque systématique des ailes, la littérature médiévale anglaise donne à ses dragons un accès à la dimension aérienne. Le dragon médiéval vole et se rapproche ainsi de la catégorie animale des oiseaux. Il n’est jamais précisé si ce sont des ailes de plumes ou de peau, mais puisqu’il nous est parfois indiqué que le dragon est couvert d’écailles (Alliterative Morte Arthure v. 766) ou de cuir (Sir Tristrem v. 1451), il nous semble évident que le dragon médiéval se rapproche davantage de la chauve-souris que de l’oiseau, mais nous analyserons davantage ce point ultérieurement. Donner au dragon l’accès au ciel, c’est également lui donner une plus grande force dans la bataille, puisqu’il ne combat plus sur un plan, mais sur deux. Et puisque le héros n’a pas accès au plan de combat vertical, sa victoire n’en est que plus glorieuse.

b) La gueule et les crocs

L’un des aspects physiques des dragons le plus souvent décrits est la gueule. Nous comprenons que la gueule et les crocs du dragon suscitent un certain intérêt puisque lors de l’affrontement avec le dragon, le premier danger est celui de se faire mordre, de perdre un

membre ou tout simplement de se faire dévorer. L’auteur de Bevis of Hampton nous décrit les oreilles et le front durs du dragon, puis ses crocs très longs (v. 2661 à 2664). Les crocs du dragon sont également décrits dans Sir Degaré (v. 349) et Beowulf (v. 2692) et Bartholomaeus Anglicus les compare à des scies.

Lorsque les crocs ne sont pas décrits, c’est la gueule du dragon qui est dépeinte comme large, comme dans la Stanzaic Life of Saint Margaret (v. 181) ou puissante, comme dans Saint George and the Dragon (v. 14). La description des crocs féroces et acérés et de la gueule redoutable du dragon contribue à en faire un animal puissant et cruel, renforçant par là sa dangerosité, mais également son animalité. En effet, une telle description nous pousse à rapprocher le dragon d’animaux comme l’ours, le lion, ou encore et surtout le crocodile, ce qui nous rappelle la comparaison que nous avons établie auparavant entre Léviathan et le crocodile. Notons que si les crocs du dragon d’Arès de la mythologie gréco-romaine sont symboles de fertilité, puisqu’elles donnent naissance aux Thébains, les crocs des dragons médiévaux ne sont désormais plus que symboles de férocité et de mort.

Enfin, il est parfois précisé que le dragon médiéval a une crête (Ashmole Bestiary, De Proprietatibus Rerum) ou une crinière (Bevis of Hampton v. 2667), à l’image du lion et du coq, symbole de panache, de masculinité et de domination. Une comparaison est à nouveau induite avec des animaux existants, et le fait que les dragons mythologiques ne portent pas de crinière nous laisse penser que celle-ci porte des valeurs proprement médiévales.

c) Le feu et le venin

Hormis les dragons de l’Historia Brittonum, et de Saint George and the Dragon, tous les dragons du corpus médiéval crachent du feu, ou du venin, et parfois les deux. Le dragon de Dublin dans Sir Tristrem crache du feu (v. 1471-1472), celui de Sir Degaré exhale de la fumée et du feu de ses naseaux (v. 333-334), dans le Brut, les deux dragons de la tour de Vortigern crachent du feu (v. 7968-7969), de même que le dragon du songe d’Arthur dans l’Historia Regum Britanniae et dans l’Alliterative Morte Arthure (v. 772). Les dragons de l’hagiographie de Stanzaic Life of Margaret, de Beowulf, de l’Anglo-Saxon Chronicle et du

Brut de Laȝamon sont légèrement différents car ils ne crachent pas de feu, mais sont eux-mêmes embrasés : « brennynge as the blacke fyre » (Stanzaic Life of Margaret v. 182), « byrnende », « fȳre befangen » (Beowulf v. 2272 et 2274), « fyrenne dracan » (Anglo-Saxon Chronicle entrée 793), « a berninge drake » (Brut v. 12773).

D’autres dragons médiévaux produisent et répandent du venin. Le sang du dragon de

avoir coupé la langue de la bête (v. 1525-1526). Le dragon de Sir Degaré est venimeux (v. 348), Bevis of Hampton prédit en rêve qu’il sera brûlé par le venin d’un dragon (v. 2710-2711), fait qui se produit lors du combat (v. 2828), et le deuxième dragon, celui qui s’est enfui à Rome, répand tous les sept ans dans la ville éternelle une vapeur qui rend tous les habitants malades (v. 2647). Le héros Beowulf est empoisonné par la morsure du dragon (« āttor on innan » v. 2715), dragon qui exhale un « souffle empoisonné »7 (« oreðes ond attres » v. 2523). Le dragon du rêve d’Arthur dans l’Alliterative Morte Arthure crache des flammes venimeuses (v. 772) et celui que rencontre sainte Victoria empoisonne la ville de Tribula d’une vapeur mortelle. Le dragon de l’Ashmole Bestiary est décrit comme ayant du venin, mais un venin inoffensif car la force de l’animal réside ailleurs, de même que le dragon décrit dans De Proprietatibus Rerum qui attaque de son venin tant en mordant qu’en piquant sa proie grâce au dard de sa queue, mais qui, selon Bartholomaeus Anglicus, possède bien moins de venin que les autres espèces de serpents.

Le rapport du dragon médiéval au feu et au venin (ces deux aspects sont indéniablement liés car tous deux brûlent les chairs) nous semble être la caractéristique dragonesque majeure héritée des mythologies occidentales. En effet, de tous les dragons mythologiques que nous avons analysés dans le premier chapitre de ce travail, la plupart entretiennent ce même rapport étroit avec le feu ou le poison : Typhon, Hydre, Chimère, les dragons du bouclier d’Héraclès et les dragons attaquant Héraclès enfant dans la mythologie gréco-romaine, Adanc et les dragons poursuivant les fils de Tuireann dans la mythologie celtique, Iormungand et les serpents de Nastrǫnd dans la mythologie germanique, Léviathan et le dragon de l’Apocalypse dans la tradition judéo-chrétienne. Mais s’il y a ici réappropriation d’une caractéristique dragonesque mythique, celle-ci est une nouvelle fois standardisée dans la littérature médiévale. En effet, nous pouvons dire que le rapport entre le dragon médiéval et le feu est clairement circonscrit : soit le dragon crache du feu de sa gueule, soit le feu émane de tout son corps, et le venin découle soit des crocs, soit de la queue du dragon. La place n’est plus laissée à la fantaisie imaginative du public lisant ou écoutant, contrairement aux mythologies dans lesquelles la rareté et la pauvreté des descriptions permettent au public de compléter à son gré les lacunes laissées par les textes.

Enfin, le rapport du dragon médiéval avec le feu et le venin le rapproche de deux autres reptiles connus au Moyen-Âge : la salamandre qui, disait-on, pouvait résister au feu (et

cela dès Pline l’Ancien8), et le serpent venimeux qui empoisonne ses victimes en les mordant9. Nous pouvons également rapprocher le dragon du scorpion qui lui aussi sécrète du venin par sa queue et était connu au Moyen-Âge, ou encore du basilic, extrêmement venimeux, et considéré, au même titre que le dragon, comme un animal authentique10. Ces analogies renforcent l’idée que le dragon de la littérature médiévale anglaise subit une véritable animalisation, une intégration au règne animal déjà existant.

d) La queue

Les dragons que combattent Bevis of Hampton et Sir Degaré, ainsi que les dragons des deux bestiaires du corpus choisi possèdent un autre attribut mettant en exergue leur force, il s’agit de la queue. Dans les deux romances, nous remarquons que la queue est décrite comme longue et puissante et que le dragon combat le chevalier en le frappant violemment de sa queue. Les deux bestiaires nous informent que la force principale du dragon réside dans sa queue et qu’il s’en sert pour attaquer l’éléphant.

La queue est un attribut très rarement cité dans les descriptions des dragons mythologiques. En effet, nous remarquons que dans seulement trois de ces textes, la queue est mentionnée : le monstre de la Colline Douloureuse (mythologie celtique) tient dans sa queue une pierre magique, Iormungand (mythologie germanique) est si grand qu’il se mord la queue et le dragon de l’Apocalypse balaie les étoiles du ciel de sa queue. La queue y est déjà symbole de force et de puissance physique ou magique, mais cette symbolique est amplifiée dans la littérature médiévale. En citant presque systématiquement la queue du dragon, la littérature médiévale anglaise met en relief la puissance physique du dragon, mais en fait également un symbole de virilité masculine, symbole que nous étudierons plus tard. Enfin, la queue rapproche une fois de plus le dragon du monde des reptiles, que ce soit aux grands

8 « Telle est la salamandre, animal qui a la forme d’un lézard, le corps étoilé […]. Elle est si froide que par son contact, elle éteint le feu tout comme ferait la glace. » (« Sicut salamandrae, animal lacertae figura, stellanum […]. Huic tantus rigor ut ignem tactu restinguat non alio modo quam glacies. »)

PLINE L’ANCIEN. Histoire naturelle – Livre X. Paris : Les Belles Lettres, 1961, p. 34 Traduction de E. de Saint Denis

9 Dans l’Aberdeen Bestiary, folio 65v : « Quorum tot venena, quot genera, tot pernicies, tot dolores, quot colores habentur. » (« Il existe autant de serpents venimeux que d’espèces de serpents, autant qui provoquent souffrances ou mort que les différentes couleurs qu’ils portent »)

The Aberdeen Bestiary.

<http://www.abdn.ac.uk/bestiary/translat/65v.hti> (18 avril 2012)

Notre traduction, d’après la transcription de Morton Gauld et Colin McLaren.

10 « Le venin qu’il [le basilic] répand de loin ou de près consume et détruit toutes choses vivantes. […] Comme les basilics, les scorpions vivent en terrain sec et deviennent hydrophobes dès qu’ils touchent l’eau. Leur sifflement est le même que celui du basilic qui tue par son seul sifflement avant même de mordre ou de brûler. » DUPUIS, Marie-France et Sylvain LOUIS. Op.cit., p. 147

serpents qui étouffent leurs proies grâce à leur queue, ou aux crocodiliens qui se servent de leur queue pour avancer plus vite dans l’eau.

e) Le cuir et les griffes

Le dragon de Sir Tristrem a le cuir si dur que la lance du chevalier se brise à son contact (v. 1451-1452), et le dragon de Bevis of Hampton voit son flanc et son poitrail comparés à du cuivre et à de la pierre (v. 2676-1677). Ces deux faits nous fournissent une nouvelle caractéristique du dragon médiéval : sa peau et son corps sont si durs qu’il est difficile de le blesser. La dragon de l’hagiographie de sainte Victoria est recouvert d’écailles. Le dragon du rêve d’Arthur dans l’Alliterative Morte Arthure est également recouvert d’écailles d’argent formant des pointes le rendant invulnérable (v. 776-777). Cet aspect, absent chez le dragon mythologique, assimile une nouvelle fois le dragon médiéval à la faune existante, tel le crocodile et l’ensemble des reptiles connus pour leur cuir épais, mais également l’éléphant, que les fauves n’attaquent pas car sa peau est trop épaisse.

Les griffes sont un attribut absent chez le dragon mythologique, chez les auteurs antiques, seul Hérodote lui attribue des griffes et une peau couverte d’écailles et très résistante11. Au contraire, dans l’Alliterative Morte Arthure, le dragon du songe d’Arthur lacère le dos de l’ours de ses griffes (v. 800), et dans la Stanzaic Life of Margaret, le dragon Belsabub est décrit comme possédant plusieurs mains, plusieurs pieds et des griffes à chaque orteil (v. 193). Ces griffes nous rappellent d’une part les animaux sauvages et terrifiants que la littérature médiévale apprécie tant : l’ours, le lion, le loup ; et d’autre part elles évoquent les serres des grands rapaces tels l’aigle, le faucon ou le vautour, analogie renforcée par la possession d’ailes du dragon et sa nouvelle accession au domaine aérien. Tous ces animaux sont également perçus comme féroces et dangereux au Moyen-Âge, perception qui jouera dans le phénomène de folklorisation du dragon médiéval que nous étudierons plus tard.

f) Le comportement animal

Nous avons noté le comportement du dragon lors du combat, frappant son adversaire de sa queue, le brûlant de son feu et de son venin et le lacérant de ses crocs et de ses griffes. À l’instar de ces attitudes, le comportement du dragon hors du combat se rapproche de celui d’autres animaux. Notons d’ailleurs que les bestiaires médiévaux classent le dragon parmi les serpents, et le texte de Beowulf le décrit comme « hring-bogan » (v. 2561), « serpent

sinueux »12. Le bestiaire du codex Ashmole 1511 ne nous dit pas explicitement que le dragon rampe mais il nous informe que tous les serpents rampent (« De serpentibus »), et que le

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