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Un angle mort : la cohérence des décisions d’orientation

II. Facteurs et mécanismes dans la genèse des orientations

II.3. Un angle mort : la cohérence des décisions d’orientation

L’orientation est un enjeu important pour les élèves. On est donc en droit d’attendre un fonctionnement raisonnablement comparable d’un site à l’autre, au sens où, du moins sur une base scolaire (puisque l’orientation est censée se fonder sur la valeur scolaire), des élèves comparables ont effectivement des chances identiques d’obtenir des orientations identiques. Ceci suppose d’une part que les notes qui appréhendent cette valeur scolaire sont raisonnablement comparables, d’autre part que leur poids dans la décision est également voisin. Ces deux points posent en fait problème.

Les enseignants le savent bien : la valeur précise des notes est indexée au contexte précis où elles ont cours. L’enquête longitudinale de l’Iredu conduite dans les années 80 a permis de produire des chiffres inédits sur ce qu’on peut appeler les « biais » de notation tenant à l’établissement fréquenté. Pour chaque élève, on disposait dans cette enquête à la fois des notes scolaires et des scores à des épreuves de connaissances ; sans surprise, on a observé à cette occasion de forts « effets établissement » en matière de notation : un niveau donné de connaissances appréhendé sur la base d’épreuves standardisées de connaissance se voyait sanctionné par des notes souvent fort différentes. On avait, à cette occasion, observé la tendance vérifiée depuis maintes fois dans la littérature, à savoir une tendance à des notes plus indulgentes (c'est-à-dire plus hautes, à niveau de connaissances identique tel que mesuré par des épreuves standardisées) dans les établissements fréquentés par des élèves faibles et/ou de milieu défavorisé. En d’autres termes, la sévérité de la notation est moins grande dans les contextes dits difficiles.

Un problème, c’est que les décisions d’orientation se fondent sur ces notes, qui correspondent donc à des niveaux de connaissance inégaux selon les contextes. Ce qui pose problème en termes de justice, et peut aussi desservir les élèves dans la suite de leur cursus… Une seconde source d’incohérence concerne donc les décisions prises sur la base des notes (et aussi bien sûr d’autres critères tels que la demande des familles) : si la sévérité est variable d’un site à l’autre, ce qu’on peut appeler la sélectivité l’est également. Peu d’études précises sont disponibles sur ce point. Dans l’enquête de l’Iredu centrée sur l’orientation en fin de 5ème (dans les années 80), on avait observé que de fait, dans des modèles statistiques expliquant la décision d’orientation, le poids de la note de français, versus la note de mathématiques, variait sensiblement selon les établissements (de même d’ailleurs que le poids donné à l’âge scolaire). On avait pu également, à cette occasion, estimer l’importance de ce que nous avions appelé l’incohérence des décisions d’orientation. Ceci avait été fait en comparant les niveaux scolaires des élèves admis en 4ème, ou refusés, ou encore qui n’avaient pas demandé cette orientation. On avait alors observé que si les conseils de classe accordaient bien l’orientation en 4ème aux élèves les meilleurs, de nombreux élèves étaient admis avec un niveau inférieur à d’autres dont le seul « tort » était de ne l’avoir pas demandé (ce qui renvoie au caractère réactif des conseil de classe évoqué précédemment). Pour chiffrer l’ampleur de cette

incohérence, nous avions simulé ce que serait un fonctionnement purement méritocratique : partant du modèle estimant en moyenne (sur l’ensemble de la population) le poids donné de fait aux divers critères scolaires (notes et âge), nous avions imaginé que l’orientation en 4ème se faisait à partir d’un classement des x élèves correspondant le mieux à ces critères pour remplir les x places disponibles. On observait alors que 47% des élèves s’étant vu proposer un redoublement auraient de fait dû passer, tandis que 18,5% des élèves orientés en 4ème auraient dû se voir refuser cette orientation. Des calculs analogues avaient été faits concernant l’orientation en fin de 3ème. Toujours à l’aune de cette référence à un fonctionnement méritocratique, et pour l’accès à la 2nde C, on observait que 30% des élèves orientés dans cette section n’auraient pas dû y être…

Les écarts sont donc importants et ils révèlent qu’au-delà (ou plutôt en deçà) du fonctionnement moyen, les élèves ne sont pas « traités » de façon identique selon les établissements (soit que l’on ne donne pas le même poids aux critères habituels, aux diverses disciplines notamment, soit que d’autres critères, indépendants de la valeur scolaire, ne soit pris en compte). Ces deux phénomènes –biais locaux dans les évaluations, décisions d’orientation variables selon les sites, ou encore, différences et de sévérité et de sélectivité- peuvent déboucher à terme sur des difficultés bien réelles pour les élèves. Ceci apparaît nettement si on examine les parcours scolaires des élèves de ZEP.

A résultats comparables aux épreuves nationales d’évaluation en 6°, les élèves qui ont bénéficié pendant toute leur scolarité du classement de leur établissement en ZEP sont plus souvent orientés vers un second cycle long, mais y rencontrent davantage de difficultés scolaire, ce qui est très net lorsqu’on compare les taux de redoublement aux différents niveau du lycée : les lycéens originaires de ZEP semblent plus vulnérables aux exigences du lycée que leurs camarades qui n’ont jamais fréquentés les ZEP (45% des premiers contre 37% des seconds redoublent une classe du second cycle long général ou technologique). Cette différence se creuse encore lorsqu’on compare les chances d’atteindre le Bac sans redoubler : 12 points séparent ceux qui n’ont jamais fréquentés de ZEP (58, 3% de chance) par rapport à ceux qui les ont fréquentés tout au long de leur scolarité en premier cycle (46.6%). Et au total, ces élèves qui ont été scolarisés dans un collège ZEP et orientés en lycée décrochent plus souvent un Bac technologique.

Ce qu’il faut souligner, c’est que malgré l’existence de procédures nationales très précises, les décisions d’orientation sont de fait extrêmement décentralisées ; rien ne garantit alors un mode de fonctionnement identique d’un site à l’autre.