• Aucun résultat trouvé

3. MÉTHODOLOGIES CHOISIES

3.2 En amont de la préparation de séquence expérimentée en classe : étude des albums du corpus

3.2.2 Analyses littéraires des deux albums et réflexions

La lecture de type analytique menée sur les deux albums a permis de dégager en plus des spécificités et des enjeux de chacun, leurs différences et surtout leurs similitudes. Ce travail a finalement pris la forme d’un tableau comparatif en deux colonnes (annexe p.6-8), détaillant les couvertures et proposant un découpage pour une lecture segmentée des histoires en parallèle.

Dès la première de couverture, on remarque que les deux ouvrages ont un prénom comme titre : le premier est un palindrome qui permet un jeu de mot avec « autobiographie / biographie d’Otto », le second est une référence au groupe de résistants allemands « Die Weiße Rose » fondé par des étudiants de l’université de Munich en 1942 et qui inspira d’autres mouvements de résistance. Il est aussi composé de deux couleurs qui évoquent l’enfance, la pureté et l’innocence. Les personnages principaux sont ainsi immédiatement identifiés et le lecteur se sent tout de suite plus proche. Bien que très différentes à première vue, les images renforcent cette empathie : l’ours (abîmé et cerné par une ombre noire) et la petite fille (regard triste, serrant son manteau sur elle et regardant par la fenêtre un convoi de soldats blessés) donnent une impression de solitude et de tristesse.

55

Pour plus de clarté, les deux analyses seront ici présentées séparément, chacune débutant par un bref résumé, puis elles s’orienteront sur trois axes : narratif, figuratif et idéologique.

● Otto162 :

L’histoire commence de nos jours alors qu’Otto, un ours en peluche posé dans la vitrine d’un antiquaire, réalise qu’il est vieux. Il décide de raconter sa vie. L’ours effectue un retour dans les années 30, au moment où il est fabriqué dans une usine allemande, puis il retrace ses années d’enfance avec David (le petit garçon qui l’a reçu comme cadeau) et son ami Oskar. Puis vers 1941, David est obligé de porter une étoile jaune mais les trois amis ne comprennent pas vraiment pourquoi. Plus tard, David et ses parents sont emmenés par la Gestapo et l’ours est confié à Oskar. Tous les deux sont très tristes et se sentent seuls. Puis le papa d’Oskar part pour le front et plus tard encore une bombe tombe sur l’immeuble de la famille, projetant l’ours dans les airs. Un soldat noir américain le ramasse et une balle les traverse tous les deux. Le soldat est persuadé qu’Otto lui a sauvé la vie et l’ours devient un héros national. De retour en Amérique, le soldat offre l’ours à sa fille et le bonheur semble revenir dans sa vie. Mais celui- ci est de courte durée car une bande de voyous l’arrache à la petite fille, le rue de coups et il atterrit dans une poubelle. Ramassé par une femme qui vit dans la rue, il finit dans la vitrine d’un antiquaire. Il y reste pendant de longues années, jusqu’à ce qu’un vieux monsieur le remarque et l’achète : c’est Oskar qui a survécu au bombardement et qui l’a reconnu grâce à la tâche d’encre violette. Comme l’histoire est émouvante, elle passe dans les journaux et permet aussi à David qui est revenu des camps de concentration de les retrouver. Les trois amis réunis décident de finir leur vie ensemble, en paix.

Concernant l’axe narratif, le récit intègre dans une partie relatant les évènements d’un passé très proche, les faits évoquant sa vie passée, il est donc construit sur une structure avec flashback. Les temps du récit autobiographique sont respectés. Les évènements du passé sont évoqués de manière assez imprécise (pas de date) puisque ce sont des souvenirs qu’évoque le personnage une fois adulte. Cependant on peut dater les différents évènements à partir de références historiques et situer le début de sa vie dans les années 1930 pour finir dans les années 2000. Le récit couvre donc une période de soixante-dix ans. On peut segmenter le récit en quatre parties : le début de la vie et l’enfance heureuse, la violence des déportations et de la Seconde Guerre mondiale, la violence urbaine et les violences sociales, les retrouvailles et la vie paisible.

56

Le registre de langue est courant et ne devrait pas poser de problème de compréhension aux jeunes lecteurs, mais il est bien celui d’un adulte qui emploie le passé simple pour raconter son histoire. Le rythme du récit alterne entre moments de quiétude et instants tragiques, voire traumatiques. La fin de l’histoire est heureuse.

Pour l’axe d’analyse figuratif de cet album, nous pouvons noter que chaque page est illustrée et chaque illustration est accompagnée d’un texte narratif donnant plus de précisions sur celle-ci ou inversement. Les couleurs dominantes sont froides, avec quelques touches de jaune et de rose. Elles ont soit un aspect « délavé » soit assombri. Le trait est assez grossier et le dessin peu réaliste, comme si les détails avaient été effacés par la violence des évènements. Les illustrations occupent majoritairement l’espace de chaque page, ils sont parfois enfermés dans un cadre mais débordent la plupart du temps. L’utilisation récurrente d’une ombre portée noire pèse sur les personnages comme une menace tangible. La violence et la mort sont représentées de manière assez crue dans les scènes de combats mais nous notons qu’elles sont éludées au moment des disparitions des deux familles, comme si elles étaient alors indicibles.

Enfin, pour l’axe d’analyse idéologique, l’album en lui-même est pour les élèves un accès à la littérature et à la culture humaniste. Le thème de la violence permet d’aborder les valeurs démocratiques dont les droits de l’homme ainsi que des valeurs morales comme l’implication et la responsabilité de chaque citoyen. On trouve dans cet album les notions d’amitié, d’exclusion, d’héroïsme et de mémoire. Le personnage de l’ours, objet transitionnel, facilite l’identification du jeune lecteur à l’histoire et fait écho à l’âme d’enfant des adultes.

● Rose Blanche163 :

Le récit débute à l’hiver 1939, quand les hommes d’une petite ville d’Allemagne partent à la guerre, encouragés par les femmes et les enfants. La vie suit son cours presque normalement malgré le défilé permanent des camions et des chars. Un jour, Rose Blanche, une jeune Allemande, est témoin de l'arrestation d'un jeune garçon. Elle décide de suivre le camion qui l’emmène. Derrière des barbelés, dans une clairière, elle découvre des enfants affamés, marqués d'une étoile jaune. Discrètement, et avec ses maigres moyens, Rose Blanche leur apporte la nourriture qu'elle peut au fil des jours. Plus tard, les habitants fuient leurs maisons car les soldats

57

soviétiques arrivent et Rose Blanche trouve l’endroit déserté. Les enfants ont disparu. Un coup de feu retentit. Rose Blanche disparaît ce jour-là.

Cet album est proche de ceux auxquels sont habitués les élèves, c’est-à-dire présentant une histoire continue avec une situation initiale, des actions puis une situation finale. Le récit suit un schéma narratif classique et respecte les temps du récit. Il se compose de phrases assez courtes et le registre de langue est courant : le vocabulaire est usuel, les temps utilisés sont le présent, l’imparfait et le passé composé quand Rose Blanche raconte, le narrateur extérieur emploie le passé simple. Le niveau de lecture est tout à fait adapté à des élèves de CM. Le personnage principal de la fillette facilite l’entrée dans la lecture aux élèves et leur identification au récit. Le narrateur change au milieu du récit, suggérant une fin dramatique pour l’héroïne. Les lieux sont des lieux du quotidien sauf pour le camp de concentration (sans qu’il ne soit clairement mentionné : « Il y a des fils électriques tendus devant moi. Et derrière eux, des enfants qui se tiennent immobiles, et des maisonnettes de bois. »). De même, le lecteur ne dispose d’aucune information précise sur le moment où se déroule l’action, on sait que les saisons passent grâce aux changements dans les images. La fin de l’histoire est triste, l’auteur suggérant la mort de Rose Blanche dans le texte (« Un coup de feu claque. […] La mère de Rose Blanche attendit longtemps sa petite fille. ») et dans l’image (on voit le soldat pointer son canon vers la fillette). Mais, l’auteur termine sur une situation ouverte et tournée vers la vie qui continue : la dernière illustration représente la clairière au printemps recouverte de végétation et de fleurs, symbole de renaissance, et les derniers mots de la narration nous disent que « Le printemps chantait ».

Concernant l’axe d’analyse figuratif, chaque page est illustrée en pleine page avec une alternance de pages simples et de double-pages et chaque illustration est accompagnée d’un texte narratif donnant plus de précisions sur celle-ci ou inversement. Les illustrations, à la fois émouvantes et troublantes, sont nettes, minutieusement détaillées et très réalistes. Les couleurs qui dominent sont le rouge de la brique et le gris, la technique du lavis donne une impression froide et terne. On remarque la présence de rouge vif à chaque page sauf sur les illustrations des moments tragiques. Les fenêtres sont un élément marquant et omniprésent dans les différentes illustrations : grandes ouvertes sur le monde, les gens s’y penchent sur la première illustration pour regarder et saluer les soldats qui partent se battre pour eux. Leurs vitres transparentes permettent à Rose Blanche d’observer les évènements et la vie qui change en restant à l’abri, tandis que la réalité s’y reflète. Elles se dégradent en même temps que la situation des gens du village, jusqu’à être condamnées par des planches clouées et rendues

58

aveugles. Celles des baraquements du camp découvert par Rose Blanche sont brisées, comme les vies des enfants qui y sont enfermés.

A propos de l’axe d’analyse idéologique, le thème de la guerre permet d’aborder les valeurs démocratiques dont les droits de l’homme ainsi que des valeurs morales comme la tragédie de la guerre. L'innocence des jeunes victimes et la cruauté de leur sort frappent le lecteur. La réflexion est très bien documentée et la référence à de nombreux repères culturels est essentielle pour bien saisir le propos de l’album et sa portée. Pour accentuer le caractère universel de l'album, l’auteur laisse en blanc plusieurs aspects de la question, comme par exemple, ce que deviennent les enfants du camp, ce qui est arrivé à leurs parents, ou encore la violence des combats et les nombreuses victimes civiles de ce conflit.