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VERS UNE ANALYSE SYNTAXIQUE EN TERMES DE SCISSION ACTANCIELLE

Dans la deuxième partie de notre travail, nous adoptons une démarche essentiellement comparative, puisque nous tâchons de cerner au mieux les spécificités sémantiques, cognitives et syntaxiques des structures SN1 Vperception SN2 Vinf en les confrontant successivement aux relatives prédicatives (4.), à la complétive que P (5.) et aux prédicats de l’objet complétifs et amalgamés (6.).

Notre objectif principal, d’ordre syntaxique, est de démontrer que la discontinuité formelle de la séquence SN2 Vinf n’affecte pas sa constituance et qu’elle est simplement liée à la façon dont le verbe recteur sous-catégorise l’infinitive. Cela devrait ainsi nous permettre de valider notre hypothèse de départ, qui était que les constructions infinitives régies par un verbe de perception constituent in extenso le complément du verbe transitif direct qui les régit. Dans ce but, nous tâcherons de prouver principalement que les termes SN2 et Vinf entretiennent (en plus du lien sémantique de prédication) une forte cohésion syntaxique malgré leur disjonction apparente.

4. Analyse sémantico-logique et cognitive des ICP

Nous appellerons désormais Infinitives de Compte rendu de Perception (ICP) les constructions infinitives qui constituent notre objet d’étude, l’ICP n’y désignant que la séquence entre crochets : J’entends [les oiseaux chanter]. Parallèlement, la phrase complète sera désignée par l’étiquette CRPD : « nous appellerons compte rendu de perception directe (CRPD) une phrase dont le verbe principal est un verbe de perception et qui rapporte la perception directe, non médiée par une activité cognitive, d’un thème. Dans les CRPD, ce thème est, plus précisément, un stimulus, qui provoque la perception. Deux types ontologiques sont susceptibles d’être stimulus dans un CRPD, à savoir les entités et les procès » (MILLER & LOWREY 2003 : 140). Nous proposons la dénomination ICP en écho à KLEIBER (1988), qui utilisait celle de RCP (Relatives de Compte rendu de Perception) pour désigner les relatives du type Je le vois qui arrive. sans avoir à se prononcer sur leur statut fonctionnel : prédicatives, déictiques, pseudo-relatives ?

Nous allons à présent mettre à l’épreuve une analyse sémantico-logique des ICP s’inscrivant dans le cadre théorique de la sémantique des événements d’HIGGINBOTHAM (1984)234, qui constitue en quelque sorte une version remaniée de la sémantique des situations de BARWISE (1981). À la suite de HATCHER (1944) et de KLEIBER (1988), nous considérons le(s) référent(s) de SN2 comme le véritable objet de perception de V dans le cadre de la RCP : « A voit B qui... always presents B as seen in the midst of activity (or state) ; it describes a visual impression in which B is the focal point, the center of an irradiating activity » (HATCHER 1944 : 279). La question qui guidera notre réflexion est de savoir si l’ICP engage cognitivement le même type de perception que la RCP. L’hypothèse que nous défendrons à la suite d’HIGGINBOTHAM (1984) est que l’ICP révèle la perception d’un événement (et par là même celle de ses protagonistes) : « […] ce que l’on perçoit c’est à la fois l’entité désignée par l’objet

234 « L’approche qui sera développée ici, que j’appellerai « analyse des comptes rendus de perception en termes d’événements individuels », implique que les compléments de phrases comme [John saw Mary cry. John a vu Mary pleurer.], qui sont probablement phrastiques du point de vue de leur syntaxe superficielle, se comportent en fait sémantiquement comme des syntagmes nominaux (NP), et, plus spécifiquement, comme des descriptions indéfinies d’événements individuels » (pp. 149, 150). À ce sujet, cf. également LABELLE (1996) qui, à la suite de ROCHETTE (1988), distingue entre les ICP de catégorie sémantique ÉVÉNEMENT : « la catégorie sémantique ÉVÉNEMENT, dont la réalisation canonique est I – que l’on pourrait traduire par T, si l’on admet une multiplicité de catégories fonctionnelles, correspond à une Action dont la réalisation est indépendante de l’événement décrit par le verbe principal. Il s’agit d’une description définie d’une action ou d’un état de fait qui n’a pas de valeur de vérité propre. Le complément phrastique correspondant est un IP à l’infinitif ou un C’ au subjonctif » (p. 2) et les ICP de catégorie sémantique ACTION : « la catégorie sémantique ACTION, dont la réalisation canonique est V, correspond à un événement réduit qui n’a pas d’existence indépendante de l’événement dénoté par le verbe principal (Pierre veut partir). Le complément phrastique correspondant est un VP ; les compléments verbaux dans les constructions dites à restructuration sont de ce type » (pp. 1, 2).

direct du verbe de perception […] et le procès dans lequel cette entité est impliquée […] » (MILLER & LOWREY 2003 : 159).

Pour ce faire, nous envisagerons trois approches : d’abord, nous montrerons que l’ICP constitue une unité, un bloc logique (4.1.) ; ensuite, que les restrictions sélectionnelles ne permettent pas de postuler que V sélectionne sémantiquement SN2 (4.2.) ; enfin, que le(s) référent(s) de SN2 ne constitue(nt) pas cognitivement l’objet de perception de V (4.3.).

4.1. Les ICP constituent une unité logique

Un premier moyen de montrer que l’ICP engage la perception de l’événement dénoté par l’infinitif est, selon nous, de démontrer le caractère monobloc de ces structures au niveau logique de l’analyse.

Pour cela, nous utiliserons six tests syntaxiques qui devront révéler l’adjacence, la cohésion de l’ICP (4.1.2.) ; mais avant cela, il nous a paru intéressant de constituer une liste des différentes observations qui nous ont conduit à interpréter l’ICP comme la dénotation d’un événement (4.1.1.).

4.1.1. Intuition sémantique d’un prédicat à deux arguments

L’intuition sémantique que nous avons d’un prédicat (de perception) à deux arguments – l’ICP étant l’argument final – provient de l’observation de phénomènes hétéroclites, que nous livrons ici dans l’ordre dans lequel ils nous sont apparus et uniquement comme indices d’une intuition linguistique.

Constat 1

Soit l’exemple [13] :

[13] J’observais son comportement quand elle avait affaire à un célibataire […]. Dans mon lexique intérieur, j’avais appelé ça « la parade nuptiale de mademoiselle Mori ». Il y avait quelque chose de comique à regarder mon bourreau se livrer à ces singeries qui diminuaient tant sa beauté que sa classe.

Si le lecteur se pose la question de savoir à quoi est dû le comique de la situation dans [13], il répondra plus probablement par [13a] que par [13b] qui apparaît sémantique tronquée :

[13a] Ce qu’il y avait de comique, c’était (le fait) de regarder mon bourreau se livrer à ces singeries qui diminuaient tant sa beauté que sa classe.

[13b] ???Ce qu’il y avait de comique, c’était (le fait) de regarder mon bourreau. Même observation si l’on annule l’extraposition de l’ICP :

[13c] (Le fait de) Regarder mon bourreau se livrer à ces singeries qui diminuaient tant sa beauté que sa classe avait quelque chose de comique.

[13d] ???(Le fait de) Regarder mon bourreau avait quelque chose de comique.

Or, le succès de [13a, c] et l’échec de [13b, d] indiquent bien que le regard de la narratrice n’est pas verrouillé sur mademoiselle Mori mais sur la parade nuptiale qu’elle est en train d’exécuter. Et intuitivement, nous comprenons que ce qui est comique à regarder, ce n’est pas le bourreau en lui-même mais ce qu’il fait au moment où on le regarde, à savoir des singeries : « l’une des

propriétés sémantiques centrales qui unifie l’ensemble des constructions de type CRPD […] est que le stimulus de la perception est le procès dénoté par la séquence SN + SV qui suit le verbe de perception » (MILLER & LOWREY 2003 : 158).

Constat 2

Soit l’exemple [34] :

[34] Les trois chats me regardaient avec consternation vider leur pitance dans mon ventre. Si l’on applique à [34] la glose de CHEBIL (2004), on acceptera intuitivement [34a], difficilement [34b] et pas du tout [34c] :

[34a] Il y avait les trois chats, il y avait moi en train de vider leur pitance dans mon ventre et le procès de REGARDER AVEC CONSTERNATION dont les trois chats étaient l’agent et moi (en train de vider leur pitance dans mon ventre) l’objet de perception. [34b] ???Il y avait les trois chats, il y avait moi et le procès de REGARDER AVEC

CONSTERNATION dont les trois chats étaient l’agent et moi l’objet de perception.235 [34c] *Il y avait les trois chats, il y avait moi et le procès de REGARDER AVEC

CONSTERNATION VIDER LEUR PITANCE DANS MON VENTRE dont les trois chats étaient l’agent et moi l’objet de perception.

Or, dans le cadre théorique de CHEBIL (2004), le succès de [34a] et l’échec de [34c] tendent à prouver que le complément argumental de V n’est pas SN2 mais l’ICP.

Constat 3

Soit l’exemple [1] :

[1] Plusieurs heures après, la délégation s’en alla. La voix tonitruante de l’énorme monsieur Omochi cria : – Saito-san ! Je vis monsieur Saito se lever d’un bond, devenir livide et courir dans l’antre du vice-président.

Si l’on transpose la narration en dialogue et si l’interlocuteur intervient en posant une question sur le CRPD, celle-ci portera plus naturellement sur l’ICP [1a, aa] que sur SN2 [1b, 1ba] :

[1a] Que s’est-il passé ?

[1aa] Pourquoi s’est-il précipité ainsi ?

[1b] ???Est-ce qu’il portait une cravate ou un nœud papillon ? [1ba] ???De quelle couleur il a les yeux ?

Constat 4

En allemand, quand un verbe monocomplétif direct est employé à un temps composé du passé, son participe passé est placé après le complément d’objet direct – contrairement à ce qui se passe en français :

(1) Ich sehe Peter. / Je vois Pierre.

(1a) Ich habe Peter gesehen. / *J’ai Pierre vu.

235 On perd de l’information en chemin, à savoir : "vider leur pitance dans mon ventre". [34b] serait une bonne glose pour Les trois chats me regardaient avec consternation.

(1b) *Ich habe gesehen Peter. / J’ai vu Pierre.

Dans ce contexte-là, il nous paraît significatif que le participe passé soit nécessairement placé après l’infinitif dans le cadre d’une l’ICP :

(2) Ich habe Peter laufen (ge)sehen. / *J’ai Pierre courir vu. (2a) *Ich habe Peter gesehen laufen. / *J’ai Pierre vu courir. (2b) *Ich habe gesehen Peter laufen. / J’ai vu Pierre courir.

Du reste, le succès de (2) et l’échec de (2a) sont d’autant plus révélateurs quand on observe ce qui se passe dans le cadre d’une RCP, où le participe passé précède nécessairement la relative : (3) Ich habe Peter gesehen, wie er über die Strasse ging. / *J’ai Pierre vu qui traversait la

route.

(3a) ?Ich habe Peter, wie er über die Strasse ging, gesehen. / *J’ai Pierre qui traversait la route vu.

(3b) *Ich habe gesehen Peter, wie er über die Strasse ging. / J’ai vu Pierre qui traversait la route.

Constat 5

Depuis ROSENBAUM (1967), les générativistes considèrent que l’exemple (4) repose sur un prédicat trivalent et l’exemple (5) sur un prédicat bivalent :

(4) I persuaded John to come.236 (ROSENBAUM 1967 : 95)

(5) John expected Mary to open the door.237 (MILLER & LOWREY 2003 : 159)

Or, dans ce contraste, seule la construction infinitive de (5) constitue une unité au niveau sémantico-logique de l’analyse. À la suite de MILLER & LOWREY (2003), nous considérerons que les ICP (6) sont à analyser comme (5) et non comme (4) :

(6) John saw Mary open the door. (MILLER & LOWREY 2003 : 159)

(6a) TO SEE (x, y) : ‘x (someone) sees y (something)’ ; x = John, y = Mary opens the door. (6b) *TO SEE (x, y, z) : ‘x (someone) sees y (someone else) do z (something)’ ; x = John, y

= Mary, z = Mary opens the door.

Notons que cette hypothèse, qui fait du procès à l’infinitif l’argument final du prédicat de perception, signifie par conséquent « que le SN qui suit le verbe de perception n’est pas sémantiquement un argument de celui-ci, mais est uniquement l’argument sujet du verbe qui suit. En termes transformationnels classiques, ceci signifie que les verbes de perception sont des verbes à montée du sujet en position objet et non des verbes à contrôle par l’objet » (MILLER & LOWREY 2003 : 158).

4.1.2. Cohésion de l’ICP

Les cinq constats précédents sont pour nous autant d’indices révélateurs de l’unicité sémantico-logique de l’ICP et nous orientent indirectement vers la lecture d’un CRPD à prédicat bivalent, dont l’ICP serait l’argument final.

236 TO PERSUADE (x, y, z) : ‘x (someone) persuades y (someone else) to do z (something)’ ; x = I, y = John, z = John comes.

Pour défendre cette hypothèse, nous souhaitons maintenant avancer quelques arguments linguistiques – syntaxiques et sémantiques.

4.1.2.1. Commutation

Soit les exemples [67] et [91] :

[67] Mon père était marin-pêcheur, ma mère institutrice. J’aime vivre au bord de la mer. J’aime voir les bateaux arriver au port. Cela me donne l’impression de connaître le monde.

[91] Et de me voir lire ceux que je tournais en dérision devant mes étudiants, vous trouvez ça intelligent ?

À la suite de MILLER & LOWREY (2003), on constatera que l’ICP est en distribution avec des structures typiquement syntagmatiques, telles que SN [67a] et que P [91a] :

[67a] J’aime voir l’arrivée des bateaux au port.

[91a] Et de voir que je lis ceux que je tournais en dérision devant mes étudiants, vous trouvez ça intelligent ?

Or, le fait que SN2 ne puisse pas subsister quand une ICP est remplacée par SN ou par que P prouve bien que la commutation n’englobe pas que l’infinitif :

[67b] *J’aime voir les bateaux leur arrivée au port. [67c] *J’aime les voir leur arrivée au port.

[91b] *Et de me voir que je lis ceux que je tournais en dérision devant mes étudiants, vous trouvez ça intelligent ?

4.1.2.2. Questionnement Soit l’exemple [81] :

[81] – Pendant les dix années que nous avons passées ensemble, je ne l’ai presque jamais vue sourire. Elle allait parfois s’asseoir au bord de la mer. Elle regardait l’horizon pendant des heures.

Dans le dialogue en cours, l’interlocuteur pourrait intervenir après le CRPD (i.e. après sourire) en posant la question Qu’est-ce que SN1 V ? :

[81a] Qu’est-ce que tu n’as presque jamais vu pendant les dix années que vous avez passées ensemble ?

RADFORD (1975) souligne que cette question porte bien sur l’ICP complète, comme le montre le rapprochement de [81a] avec [81b], où la question ne porte plus que sur SN2, ce qu’indique notamment le maintien de l’infinitif :

[81b] Qui est-ce que tu n’as presque jamais vu sourire pendant les dix années que vous avez passées ensemble ?

Le succès de [81a] est alors significatif, puisque seuls les V monocomplétifs directs permettent d’ordinaire la question Qu’est-ce que SN1 V ? : « There is evidence that structures such as [I saw John leave.] have a noun clause underlying structure in which the surface matrix object appears uniquely as the subordinate clause subject. How else could we account for the fact that the whole accusative and infinitive structure apparently functions as an underlying S-constituent, and can thus be questioned by an appropriate pro-S form : What did you see ? » (RADFORD 1975 : 58) 4.1.2.3. Pronominalisation du COD de l’infinitif

Soit l’exemple [87] :

[87] – Que vous prépariez-vous donc à dire à ma pupille ? – Vous le savez bien. – Je veux vous l’entendre dire.

Malgré les apparences, le proclitique l’ est le COD pronominalisé de dire et non d’entendre, ce que montrent le test du questionnement [87a], le repositionnement de l’ sur l’infinitif [87b] et l’impossibilité de cumuler l’ et le [87c] :

[87a] – Qu’est-ce que vous voulez m’entendre dire ? – Ce que vous vous prépariez à dire à ma pupille.

[87b] Ce que vous vous prépariez à dire à ma pupille, je veux vous entendre le dire. [87c] *Ce que vous vous prépariez à dire à ma pupille, je veux vous l’entendre le dire.

Or, le fait que le COD de l’infinitif puisse remonter jusqu’à V prouve selon nous – bien qu’indirectement – l’adjacence de l’ICP. Nous en prenons pour preuve la comparaison avec ce qui se produit quand V régit deux actants complétifs :

(7) Je vous somme/conjure/supplie de me dire ce que vous vous prépariez à dire à ma pupille.

(7a) Je vous somme/conjure/supplie de me le dire. (7b) *Je vous le somme/conjure/supplie de (me) dire. 4.1.2.4. Négation

Soit l’exemple [144] :

[144] La tension augmente et les pressions sont exercées de toutes parts. Gene Hinkel, le chef jaugeur est venu nous signaler que quelqu’un nous avait vus ne pas embarquer la porte qui devait l’être. À quoi nous avons répondu que nous en avions une autre. Et ce soir il est revenu à la charge ayant découvert qu’il nous manquait une ficelle inutile mais indispensable sur le mât.

À la suite de LABELLE (1996), nous considérons la présence de la négation NE PAS dans l’ICP comme une preuve du caractère intrinsèquement phrastique de cette structure. En effet, si l’on admet :

(i) que NE PAS est une négation phrastique ou propositionnelle, contrairement à NON PAS qui est une négation de constituant :

(8) Paul a acheté du vin non pas français mais californien. (8a) *Paul a acheté du vin ne pas français mais californien. (9) Je me souhaite de ne pas me tromper en affirmant cela ! (9a) *Je me souhaite de non pas me tromper en affirmant cela !

(ii) que l’ICP ne relève pas du contrôle chomskyen, i.e. que l’infinitif n’est pas le résultat de la réduction EQUI de que P par coréférence de SN3 avec SN2 :

[144a] *Gene Hinkel, le chef jaugeur est venu nous signaler que quelqu’un nous avait vus que nous n’embarquions pas la porte qui devait l’être.

(iii) que l’ICP relève toutefois d’un contrôle de type lexicaliste, i.e. que la matrice lexicale de V inclut SN2 comme contrôleur de l’infinitif mais exclut notamment SN1 :

(10) J’ai cru voir Pierre ne pas s’arrêter au feu rouge : un de ces jours, il/*elle/*je n’aura(i) plus aucun point sur son/mon permis !238

alors, le succès de [144] (plus précisément celui de la présence de la négation NE PAS dans l’ICP) constitue une preuve tangible du caractère intrinsèquement phrastique de l’ICP et de son adjacence : « si l’on admet que ne est un indice de la présence de I (au moins de T), la possibilité de trouver la négation de phrase dans cette construction, précédée d’un NP sujet, indique qu’il s’agit au moins d’un IP (c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un VP nu) » (LABELLE 1996 : 10). 4.1.2.5. Phénomène de portée

Soit l’exemple (11) :

(11) J’ai vu un douanier contrôler chaque voiture.

L’interprétation la plus immédiate est qu’un seul et même douanier contrôle plusieurs voitures : (11a) J’ai vu un douanier contrôler chaque voiture : il y a passé des heures !

Mais BURZIO (1986) souligne qu’une seconde interprétation est possible, où chaque porte rétroactivement sur un pour en modifier quantitativement la référence :

(11b) J’ai vu un douanier contrôler chaque voiture : ils y ont passé des heures !

Cela est d’autant plus significatif, selon nous, que la portée de chaque sur un est manifestement bloquée quand V régit deux actants complétifs :

(12) J’ai forcé/obligé un douanier à contrôler chaque voiture.

(12a) J’ai forcé/obligé un douanier à contrôler chaque voiture : il a fait du bon boulot ! (12b) *J’ai forcé/obligé un douanier à contrôler chaque voiture : ils ont fait du bon boulot ! Pour expliquer le succès de (11b) et l’échec de (12b), nous avançons l’hypothèse que chaque peut porter sur un quand ils appartiennent au même domaine local ou propositionnel (11c, d) mais pas dans le cas contraire (12c, d), ce qui expliquerait pourquoi la RCP bloque ce type de portée rétroactive (11e, 11f) :

(11c) *J’ai vu un douanier qu’il contrôlait chaque voiture. (11d) J’ai vu qu’un douanier contrôlait chaque voiture.

(12c) J’ai forcé/obligé un douanier à ce qu’il contrôle chaque voiture. (12d) *J’ai forcé/obligé qu’un douanier contrôle chaque voiture.

(11e) J’ai vu un douanier qui contrôlait chaque voiture. (LABELLE 1996 : 23)

(11f) *J’ai vu un douanier qui contrôlait chaque voiture : ils étaient au moins cinq collègues. 4.1.2.6. Intercalation d’un complément locatif entre SN2 et Vinf

Soit l’exemple (13) :

(13) J’ai vu ton frère qui empilait des boîtes.

Comme l’a montré LABELLE (1996), on peut manifestement intercaler un complément locatif entre SN2 et la RCP (13a), le complément locatif étant alors nécessairement un complément de V puisque la RCP lui est sémantiquement subordonnée (13b, c) :

(13a) J’ai vu ton frère à l’atelier qui empilait des boîtes. (13b)

− Que faisait-il là ? − Il empilait des boîtes. (13c)

− Que faisait-il ?

− *Il empilait des boîtes à l’atelier.

Notons que l’observation de LABELLE (1996) vaut également, selon nous, pour un complément temporel :

(13d) J’ai vu ton frère hier qui empilait des boîtes.

(13e) − Que faisait-il quand tu l’as vu ? − Il empilait des boîtes. (13f) − Que faisait-il ? − *Il empilait des boîtes hier.

Soit maintenant l’exemple (14) : (14) J’ai vu ton frère empiler des boîtes.

Manifestement, dans le cadre d’une ICP, il est difficile d’intercaler un complément locatif ou temporel entre SN2 et Vinf :

(14a) *J’ai vu ton frère à l’atelier empiler des boîtes. (14b) *J’ai vu ton frère hier empiler des boîtes.

La même contrainte semble d’ailleurs active dans la construction inversée, où l’infinitif précède son sujet de prédication :

[37a] *Nous avons entendu passer de notre cachette les gardiens du cimetière qui hâtaient les retardataires.

[37b] *Nous avons entendu passer hier les gardiens du cimetière qui hâtaient les retardataires. Toutefois, dans ce dernier cas de figure, si le complément intercalé est clairement rattaché à l’infinitif et non à V ou à P, la phrase gagne son acceptabilité :

[26] Tout cela se déroula très vite et j’eus à peine le temps de me retourner pour voir foncer sur moi la masse du vice-président.

[42] Ainsi, on voyait marcher dans la rue une jeune femme enjouée, tenant par la main une microscopique créature parée comme ne l’eussent pas osé les princesses des Mille et Une Nuits.

[62] Il profitait de cette journée douce et grise quand il avait vu venir en sens inverse, sur le trottoir, une apparition : une jeune fille d’une splendeur sidérante, vêtue comme pour un

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