CHAPITRE III : ORDRE ET DESORDRE ORIENTATIONNEL DANS LES
III. C.2. Analyse structurale
Nous avons donc entrepris d’étudier à nouveau la structure de KC60 et RbC60, mais cette fois
par diffraction des rayons X sur monocristaux [243]. Les cristaux (~10-2 mm3) de KC60 et RbC60 ont été obtenus grâce à une collaboration avec J. Hone et A. Zettl, à Berkeley, où ils sont préparés par
dopage stœchiométrique de monocristaux de C60 à 400°C ; la phase polymère se forme ensuite par
refroidissement lent.
Nous sommes partis de l’analyse suivante. Les groupes d’espace orthorhombiques raisonnables compatibles avec la symétrie moléculaire sont Immm et Pmnn. Les orientations des chaînes polymères sont différentes selon les groupes considérés. La structure Pmnn présentant des plans de glissement, si l’orientation de la chaîne passant par l’origine de la maille est donnée par
l’angle µ, celle passant par son centre aura l’orientation -µ (Figure 48(a)). Dans le groupe à corps
centré Immm, deux types de configurations peuvent être considérées : i) une configuration ordonnée, avec pour les orientations de toutes les chaînes µ=0° ou µ=90° (Figure 48(b)), et ii) une configuration
désordonnée si µ≠0° et 90° : en ce cas, l’existence des plans miroirs perpendiculaires à
b
etc
AC60 polymérisé
Dans une expérience de diffraction, i) on distingue entre Immm et Pmnn par les conditions d’extinction des réflexions de Bragg h+k+l impair pour Immm, ii) des plans de diffusion diffuse perpendiculaires à
*
a
, dus au désordre orientationnel interchaînes, doivent être observés dans la phase désordonnéeImmm.
Figure 48. Représentation schématique des orientations des chaînes pour les groupes d’espace : (a) Pmnn, (b) Immm ordonné, (c) Immm désordonné et (d) I2/m. Les traits épais hachurés indiquent la projection des plans de cyclo-addition définis par les atomes C1 sur le plan cristallographique
( )b,c
. Ils indiquent les orientations des chaînes polymères.Nous avons étudié les composés AC60 en combinant trois sortes d’expériences de diffusion X.
La méthode de précession nous a permis de tester la condition d’extinction des pics de Bragg et de caractériser les échantillons (structure en domaines). La technique de diffraction film fixe, échantillon fixe, sous vide, nous a permis d’étudier l’existence de diffusion diffuse. Enfin, nous avons mesuré quantitativement les intensités des pics de Bragg sur diffractomètre à trois cercles.
Les photographies de précession ont été réalisées sur plusieurs échantillons, afin d’assurer la généralité de nos résultats. Les échantillons ont typiquement pour mosaïques : ~2°, largeur totale à
mi-hauteur, pour KC60 et 2.5° pour RbC60. Les photographies ont mis en évidence un arrangement
complexe des positions des pics de Bragg, qui présente néanmoins la symétrie cubique (Figure 49). Ceci est dû à l’existence de différents domaines dont les diagrammes de diffraction se superposent (comme pour le microcristal, §II.A.2). L’apparition de ces domaines résulte de la transition à ~350K de la phase cubique vers une phase orthorhombique de plus basse symétrie (cf. discussion §II.D.2). A l’aide de simulations des diagrammes de diffraction, nous avons confirmé les valeurs des paramètres de maille trouvées par Stephens et al. [224], et nous avons déterminé les relations d’orientations entre
les domaines (nous avons réalisé une analyse similaire dans C60 polymérisé sous pression [244,245]).
Nous avons ensuite pu indexer les pics de diffraction sur les différentes photographies de précession
réalisées. Nous avons montré que l’on observe des réflexions h+k+l=2n+1 dans KC60, mais pas dans
RbC60. KC60 possède donc un réseau primitif (P) tandis que celui de RbC60 est corps centré (I).
Nous avons ensuite réalisé des expériences sous vide, avec un très bon rapport signal/bruit,
afin d’étudier la diffusion diffuse; le cristal AC60 et le film étaient fixes. Nous avons réalisé les mêmes
expériences sur un cristal de C60 pur de même volume. Pour un désordre orientationnel des chaînes
polymères, la diffusion diffuse est calculée comme étant du même ordre de grandeur que pour les
c b
µ
molécules en rotation dans C60i. Cette diffusion, facilement mesurée pour C60, n’a pu être observée
dans KC60 ni dans RbC60 (Figure 50). On peut donc en conclure que les chaînes sont ordonnées à la
fois dans KC60 et dans RbC60.
Figure 49. Photographies de précession des plans (hhl)cubique –CuKα- pour (a) KC60 et (b) RbC60. Les réflexions encerclées en blanc vérifient h+k+l=2n+1, d’après [246]. Pour comparaison, je présente en (c) le même plan de diffraction dans C60 cubique pur : l’effet de superposition de pics dû aux domaines est bien visualisé en comparant les réflexions dans les carrés.
(a)
(c)
AC60 polymérisé
(a) (b)
Figure 50. Photographies monochromatiques (CuKα), cristal fixe, film fixe : (a) pour un cristal C60, (b) pour un cristal RbC60, d’après [247]. En (a) et (b), l’anneau central doit être ignoré (diffusion par la colle tenant l’échantillon, etc). En (a), les flèches indiquent la diffusion diffuse due à la rotation des molécules de C60 à température ambiante.
Nous avons finalement analysé quantitativement les intensités des pics de Bragg de KC60 et
RbC60. Les mesures ont été réalisées sur spectromètre à trois cercles. En dépit de l’existence des
variants orientationnels, nous sommes parvenus à mesurer un nombre suffisant de pics isolés provenant d’un seul domaine. Nous avons alors minimisé le facteur de confiance ((Eq. 10)) :
∑ ∑ −∑
=
calc calc obs obsF
F
F
F
R
, qui quantifie l’écart entre facteurs de structure mesurés et calculés.Nous avons affiné les facteurs de Debye-Waller, la position des atomes C1 sur la molécule distordue
par la polymérisation et l’orientation des chaînes [243]. Je vais ici me contenter de discuter le résultat
important pour les différences structurales entre KC60 et RbC60, à savoir l’orientation des chaînes. Sur
la Figure 51, nous avons représenté le facteur de confiance –déjà minimisé par rapport aux autres
paramètres- en fonction de l’angle µ. Pour KC60, nous avons minimisé le facteur de confiance à
Rmin≈0.16 pour µ≈51°, dans le groupe d’espace Pmnn. Pour RbC60, avec le groupe d’espace Immm,
nous avons trouvé Rmin≈0.24 pour µ≈48°. Or, si les chaînes ne sont ni parallèles à
b
(µ=90°) niparallèles à
c
(µ=0°), elles sont désordonnées (Figure 48(c)). La valeur trouvée pour l’angled’orientation des chaînes est donc en contradiction avec l’absence de diffusion diffuse. Nous avons ainsi été amenés à considérer un groupe d’espace de symétrie plus basse qu’orthorhombique. Le
groupe d’espace considéré, compatible avec la symétrie des chaînes de C60, est le groupe
monoclinique I2/m où toutes les chaînes polymères sont parallèles (Figure 48(d)). L’affinement des
intensités des pics de Bragg pour I2/m donne une meilleure valeur du facteur de confiancei : Rmin≈0.06
pour µ≈47°, qui valide notre hypothèse monoclinique. Notons que nous n’avons pas mesuré de
déviation de l’angle
( )b,c
par rapport à 90° pour une résolution expérimentale de 0.5°, mais que la
i Pour calculer les facteurs de structure, nous avons considéré des volumes égaux de domaines dans lesquels les chaînes ont toutes l’orientation µ etde domaines dans lesquels elles ont toutes l’orientation (−µ).
déviation attendue est faible car les atomes de carbone sont répartis de manière relativement homogène autour de l’axe des chaînes.
Figure 51. Facteur de confiance en fonction de l’angle µ d’orientation des chaînes, d’après [243].
Pour résumer, nous avons pu, en combinant expériences photographiques et expériences au
compteur, analyses de diffraction et de diffusion diffuse, montrer que les composés KC60 et RbC60 ont
en réalité des structures différentes. En accord avec Stephens et al. [224], les angles d’orientations
des chaînes sont trouvés voisins (51° dans KC60 et 47° dans RbC60). Mais les groupes d’espaces
différents, Pmnn pour KC60 et I2/m pour RbC60, impliquent des orientations relatives des chaînes tout
à fait différentes. Leurs orientations sont alternées (angles µ et −µ) dans KC60, tandis que les chaînes
sont parallèles dans RbC60 (Figure 48(a) et (d), Figure 52).
On montre par symétrie que les environnements des alcalins ne dépendent que de la valeur
absolue de l’angle d’orientation des chaînes, et qu’ils sont donc très similaires dans KC60 et RbC60.
Par contre, les manières dont les chaînes voisines se font face diffèrent notablement dans les deux composés (figure 3 dans réf. [243]). Nous présentons l’interprétation suivante pour expliquer la structure différente des deux composés, interprétation qui est confortée par quelques calculs
énergétiques simples dans la réf. [246] . Les interactions alcalins-C60 favoriseraient
µ
≈ 45° dans lesdeux composés. Mais les interactions C60-C60 seraient elles très sensibles aux distances interchaînes
et les orientations relatives différentes des chaînes dans KC60 et RbC60 seraient dues aux faibles
Angle d ’orientation µ (degrés)
F
AC60 polymérisé
importants de la pression. Et en effet, des mesures de résistivité ont mis en évidence une transition autour de 5kbar et 180K [235(b)], tandis que des études de résonance magnétique nucléaire montrent la disparition de l’état magnétique basse température sous pression [226]. Des études structurales sous pression seraient très intéressantes.
(a) (b)
Figure 52. Mailles de (a) KC60 et (b) RbC60. Les traits fins indiquent les C60 ou alcalins hors du plan