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Plusieurs études ont déjà démontré le potentiel de l’analyse pollinique pour révéler, dans les contextes archéologiques funé- raires, la présence de dépôts végétaux au contact des individus inhumés (coussins, couronnes, bouquets, litières…), ou de traitements « aromatiques » du cadavre (pour une synthèse de ces études, voir par exemple Bui Thi Mai, Girard 2003 ; Corbineau, Bui Thi Mai 2014 ; Corbineau 2014). Ces études sont néanmoins encore trop rares pour autoriser la compilation de synthèses chrono-typologiques, quelles que soient les régions et les périodes considérées. La fouille du mausolée de Jaunay- Clan fournissait ainsi une bonne occasion de rechercher de telles pratiques mortuaires chez les élites pictonnes. Ce travail s’inscrit dans la continuité de l’enquête interdisciplinaire (et notamment palynologique) menée plus de dix ans auparavant sur les caveaux de Naintré (Bui Thi Mai, Girard 2010 ; Farago- Szekeres, Duday 2013).

L’analyse des échantillons a été réalisée en deux temps18.

Une première série de huit échantillons a été traitée en 2012-2013 dans le cadre d’une thèse de doctorat (Corbineau 2014), afin d’évaluer la faisabilité d’une expertise de plus longue haleine. L’étude complète a finalement été menée en 2016.

18. Analyses réalisées par R. Corbineau.

Fig. 52 – Sépulture Sp294, textile 1, coupe avec deux nappes

(cliché et DAO : A. Rast-Eicher).

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É

CHANTILLONNAGE

Au total, 38 échantillons ont été analysés (fig. 59). Au fond des deux cuves en plomb, des échantillons mixtes (résidus orga- niques et sédiments) ont été prélevés dans les régions des pieds, des genoux, du bassin, du thorax et du crâne des individus afin de rechercher et de spatialiser un signal pollinique. Les échan- tillons 41 et 46 correspondent, quant à eux, à la matière jaunâtre

présente sur les crânes. Dans la sépulture Sp293, l’échan- tillon 723 est constitué du sédiment piégé entre la cuve du sarco- phage en pierre et la paroi du cercueil en plomb, là où les clous de chaussure ont été retrouvés. Sur le couvercle du cercueil de la sépulture Sp294, quatre échantillons de « poussières » incrustées

Fig. 55 – Sépulture Sp294, textile 5 sur le couvercle du sarcophage peu

après l’ouverture de la tombe. La toile de fond en lin est encore à peine visible, elle longe le bord du couvercle (cliché : A. Rast-Eicher).

Fig. 56 – Sépulture Sp294, textile 5 sur le couvercle du sarcophage peu

après l’ouverture de la tombe (cliché : M.-J. Ancel).

Fig. 57 – Sépulture Sp294, textile 5, détail avec toile du fond

(cliché : A. Rast-Eicher).

Fig. 58  – Sépulture Sp294, textile  5, dessin d’un fragment cordiforme

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dans le plomb ont été récoltés sous les restes de textile. Enfin, sur ce même couvercle, l’échantillon 27 a été collecté dans un amas de sédiments infiltrés à l’intérieur du sarcophage. Cet échantillon de référence a pour fonction principale de renseigner la compo- sition pollinique des niveaux encaissants, et donc à repérer de potentielles pollutions. Malheureusement, le couvercle du cercueil en plomb Sp293, dérobé sur le site immédiatement après sa mise au jour, n’a pas pu faire l’objet de prélèvements.

A

NALYSE

Les échantillons ont été préparés selon les protocoles de traitement physico-chimiques classiquement employés pour extraire le matériel sporo-pollinique des sédiments archéo- logiques (Girard, Renault-Miskovsky 1969). Ils ont ensuite été montés sur lames minces et analysés au microscope optique en transmission. Idéalement, une somme comprise entre 200 et 300 grains de pollen a été comptée au minimum. Néanmoins, de telles sommes n’ont pas toujours été atteintes. Les pourcentages de chaque taxon pollinique ont été calculés relativement à la somme totale de grains comptés, spores exclues. Un intervalle de confiance de 95 % a été appliqué à chaque valeur (à l’excep- tion des grains indéterminés).

Les résultats de l’analyse sont présentés dans un diagramme (fig. 60). Les 38 échantillons se sont révélés relativement pauvres en matériel pollinique avec des concentrations estimées allant de 17 à 1 769 grains de pollen par gramme de sédiment ou de résidu. Avec des totaux de grains comptés inférieurs à 100

en dépit du comptage de plusieurs lames minces, six échan- tillons ont été jugés ininterprétables. C’est en particulier le cas de deux des échantillons de matière jaunâtre prélevés sur le crâne des deux individus (41 et 46), qui étaient pratiquement stériles. Dans les autres échantillons, des sommes comprises entre 102 et 282 grains ont été atteintes. Cette faible concen- tration générale exerce une influence notable sur les valeurs de l’analyse qui présentent de très larges intervalles de confiance. Pour autant, le pollen ne porte pas les stigmates d’une corrosion sévère, puisque la majorité des particules a été déterminée pour un total de 69 taxons. Cinq morphotypes de spores de ptérido- phytes ont également été rencontrées, dans des proportions assez faibles toutefois.

Le pollen des taxons arboréens présente des valeurs cumulées comprises entre 4 % et 53 %. L’assemblage est principalement composé de pin (Pinus), des chênes à feuillage persistant et caduc (Quercus types ilex et robur), de l’aulne (Alnus) et du noisetier (Corylus), tandis que les occurrences des autres taxons

de cette catégorie 19 sont beaucoup plus irrégulières. Parmi ces

dominants, les valeurs du chêne à feuillage persistant (type ilex), variant de 0 % à 29 %, montrent une forte amplitude liée peut-être à une plus ou moins longue exposition des surfaces à la pluie pollinique correspondant au moment de l’inhumation, selon la position des étoffes par exemple.

Le pollen des plantes herbacées présente des valeurs cumulées comprises entre 47 % et 96 %. Il est caractérisé par la présence systématique et largement dominante des Poacées non cultivées et des céréales (seigle exclu), accompagnées de façon plus discrète par de nombreux autres taxons communs dans la région du site. Certains groupes d’échantillons se singula risent aussi par des valeurs très élevées de Lamiacées de type Mentha et d’Astéracées de type Taraxacum. Selon toute vraisem blance, la surreprésentation du type Taraxacum pourrait résulter d’un phénomène de conservation différentielle lié à la tapho nomie du gisement, et non de gestes funéraires (Bui Thi Mai, Girard 2010 ; Lebreton et al. 2010 ; Corbineau 2014, p. 345). Les occurrences de céréales et de Lamiacées méritent en revanche de plus amples commentaires utiles à l’interprétation archéologique (fig. 59 et 60).

L

ESCÉRÉALES

(C

EREALIATYPE

)

Les séquences polliniques dites « naturelles », ou « hors-site archéologique » (les tourbières et les lacs par exemple) posté- rieures au Néolithique livrent généralement des valeurs de céréales comprises entre 1 % et 10 %, plus rarement jusqu’à 20 %, même dans les niveaux les plus caractéristiques d’une forte pression agricole sur le paysage. Des mesures effectuées en bordure de parcelles cultivées à partir de sols actuels, de mousses ou de pièges à pollen, confirment d’ailleurs que la production et la dispersion pollinique des céréales autogames

19. Le sapin (Abies), le saule (Salix), le bouleau (Betula), le peuplier (Populus), le tilleul (Tilia), l’orme (Ulmus), le frêne (Fraxinus), le charme (Carpinus), l’érable (Acer), le buis (Buxus), le groseillier (Ribes), les Rosacées (Prunus type), la callune (Calluna), la bruyère (Erica), les Cistacées, le genévrier (Juniperus), le lierre (Hedera helix), le chèvrefeuille (Lonicera), le noyer (Juglans) et la vigne (Vitis).

Fig. 59 – Spatialisation des résultats de l’analyse palynologique

G al lia , 7 6 -1 , 2 01 9, p . 1 27 -1 84 Fig. 60  – Diag

ramme présentant les assemblag

es polliniques des échant

illons analysés. L

es valeur

s sont indiquées en pourc

entag es a vec un int er valle de c onfi anc e de 95 % (D A O : R. C orbineau).

G al lia , 7 6 -1 , 2 01 9, p . 1 27 -1 84

(le froment, l’orge et l’avoine) sont plutôt faibles 20 : leurs valeurs

sont généralement, là encore, inférieures à 20 %. En revanche, les graines, la paille et la balle de céréales contiennent de très nombreux grains de pollen, comme l’attestent les analyses réalisées en contextes expérimentaux et archéologiques sur des niveaux de stockage et de battage qui enregistrent parfois des concentrations exceptionnelles représentant de 30 % à plus de

300 % 21 des assemblages (pour une synthèse de ces études, voir

Corbineau 2014, p. 345-346).

Eu égard à ces travaux, les valeurs des céréales relevées sur le couvercle en plomb de la tombe Sp294 dans les échantillons 29, 34, 38 et 39, variant de 23 % à 61 %, constituent de forts indices suggérant la présence de paille ou de balle sur toute la surface. En revanche, ces résultats n’indiquent ni la forme ni la fonction d’un tel dispositif. Quant à ses relations strati graphiques avec le tissu, elles restent à éclaircir.

Les céréales sont aussi très présentes à l’intérieur du cercueil en plomb Sp293, où plusieurs échantillons indiquent des valeurs supérieures à 20 % le long du squelette. Là encore, il n’est pas possible de livrer une restitution précise du dispositif, mais l’hypo thèse d’une litière paraît tout au moins envisageable. Dans le chevet de la cuve, les échantillons 47 et 884 présentent un signal moindre (8 % et 4,5 %). Leur emplacement correspond cependant à une zone de forte corrosion du métal, aussi une perte de matériel est-elle tout à fait probable. Situé à droite du crâne, l’échantillon 45 (19 % de céréales) doit être considéré comme le seul prélèvement fiable dans cette région. Localisé entre la cuve en plomb et la paroi du sarcophage, l’échan tillon 723 (22 % de céréales) suggère enfin qu’un dépôt analogue a été installé hors du cercueil, peut-être sur le couvercle en plomb à l’instar de la tombe Sp294.

L

ES

L

AMIACÉES

(M

ENTHATYPE

)

La famille des Lamiacées rassemble de nombreuses plantes présentes en France et dans la région du site. Le type Mentha en exclut un certain nombre, telles que les lavandes (genre Lavandula), les sauges (genre Salvia), l’hysope (Hyssopus offi- cinalis) ou la mélisse officinale (Melissa officinalis), mais il en regroupe toutefois de nombreuses autres comme certaines menthes (genre Mentha), les calaments (genres Clinopodium), les origans (genre Origanum) et les thyms (genre Thymus), entre autres (Beug 2004).

Entomophiles, les Lamiacées font appel aux insectes pour disséminer leur pollen. Elles produisent bien moins de pollen que les végétaux anémophiles qui utilisent le vent et leur pollen est très peu diffusé par voie aérienne. En conséquence, leurs occurrences dans les séquences « naturelles » sont généra- lement très discrètes. En atteignant jusqu’à 84 %, les valeurs qui les caractérisent dans la sépulture Sp294 résonnent donc comme une très nette anomalie qui ne peut résulter de la pluie pollinique contemporaine de l’inhumation. Étant donné le

20. Chez les céréales autogames, la fleur est fécondée par son propre pollen. Chez les céréales allogames, comme le seigle, la production a lieu par croisement entre individus différents. En conséquence, ces espèces ont une productivité pollinique plus élevée et une meilleure capacité de dispersion. 21. Lorsque les céréales sont exclues de la somme pollinique totale.

caractère clos et souterrain de la structure, la possibilité d’une contamination post-dépositionnelle liée à l’activité d’une colonie d’insectes pollinisateurs peut également être écartée. Il semble donc plus vraisemblable que ce signal, présent en continu depuis les épaules jusqu’aux pieds du défunt, témoigne de l’utilisation d’une plante en lien avec les rites mortuaires. Il pourrait s’agir d’une jonchée de brassées fleuries déposée au fond du cercueil ou par-dessus le corps, ou bien d’un onguent appliqué sur la peau. La seconde hypothèse est d’autant plus probable que de nombreuses Lamiacées possèdent des propriétés odoriférantes et antiseptiques (voir par exemple Lieutaghi 1996) qui ont pu être convoquées pour un traitement cosmétique funéraire.