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Analyse du texte lu

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la France et sa périphérie (Alsace, Suisse, Belgique)

4. Accents ouest-africains en français

4.5. Analyse du texte lu

57 Méthode

Le texte lu par les 52 locuteurs ouest-africains et les 21 locuteurs français présentés en 4.2.2 a été segmenté et étiqueté phonétiquement par alignement automatique. Le principe en a été exposé dans les chapitres précédents. Le système du LIMSI, avec les mêmes modèles acoustiques indépendants du contexte, a ici été utilisé.

Deux types d’alignements ont été effectués : un alignement standard pour l’analyse de la prosodie et un alignement avec variantes de prononciation non-standard pour l’analyse de la réalisation du /R/. Dans ce deuxième alignement, les variantes [||w] étaient autorisées. Les modèles acoustiques ont été enrichis avec les modèles espagnols pour le [] apical, puisque ce dernier n’appartient pas à l’inventaire de phonèmes du français standard, et un nouveau dictionnaire de prononciation a été construit. L’élision du /R/ était également permise dans l’alignement. Des taux d’alignement ont ensuite été calculés, simulant une catégorisation en [] dorsal, [] apical et [w] labialisé ou élidé.

58 Analyse de la prosodie

La F0 a été mesurée toutes les 10 ms en utilisant PRAAT et SNACK. Deux façons d’assigner une valeur de F0 à chaque phonème issu de l’alignement automatique ont également été comparées. La première consistait à moyenner toutes les mesures disponibles pour chaque phonème. La seconde consistait à ne retenir que les phonèmes voisés sur au moins 70 % de leurs trames dans les calculs de la F0 moyenne — sinon, les phonèmes étaient

considérés comme non-voisés. Quels que soient l’outil et la méthode utilisés, on aboutit à des résultats très similaires. Seuls les résultats obtenus en moyennant les mesures de PRAAT prises toutes les 10 ms seront présentés.

Deux types d’analyse ont été menés pour suivre les mouvements mélodiques. Le premier prenait en compte tous les polysyllabes (c’est-à-dire les mots contenant au moins deux voyelles et potentiellement un schwa final). Il y avait 127 polysyllabes différents dans le texte PFC (ex. village, Beaulieu). Des mots comme virgule ou parenthèse, qui pouvaient être produits par les locuteurs, n’ont pas été pris en considération parce qu’ils ne faisaient pas partie du texte. Ceci laissait au moins 1000 occurrences par point d’enquête. La deuxième analyse s’est concentrée sur les suites clitique-polysyllabe. Pour les clitiques, nous avons considéré des mots-outils fréquents comme le, la, les (cf. chapitres 3 et 8). Il y avait 20 clitiques différents dans le texte PFC, aboutissant à au moins 500 contextes clitique-polysyllabe par point d’enquête (ex. une bataille).

La différence de F0 (en demi-tons) entre les voyelles finale et initiale de polysyllabes a été calculée comme précédemment (cf. § 4.4.1). Les résultats sont donnés dans le tableau 4.8.

Une ANOVA a été menée avec la variable dépendante F0 et le facteur indépendant Pays d’enquête (5 niveaux : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal et France). Le Pays s’est révélé avoir un effet significatif [F(4, 8943) = 57,782 ; p < 0,001]. Des tests de Student deux à deux ont révélé que toutes les différences sont significatives avec p < 0,01, sauf celles entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire [p = 0,05] et entre le Mali et la France [p = 0,56].

Burkina Faso Côte d’Ivoire Mali Sénégal France

1,5 1,1 0,5 -0,4 0,6

Tableau 4.8 : F0 moyen (en demi-tons entre les voyelles finale et initiale de polysyllabes appartenant au texte lu.

Comme dans le tableau 4.5 pour des données plus contrôlées mais aussi plus restreintes, la seule valeur négative de F0 s’observe au Sénégal, où elle est de -0,4 demi-tons en moyenne. En comparaison, la valeur moyenne de F0 est de 0,6 demi-tons en France. Il y a donc une différence d’1 demi-ton en moyenne.

On a une majorité de mouvements mélodiques descendants au Sénégal (59 % vs 27–

44 % dans les autres points d’enquête). Pour vérifier s’il est pertinent d’interpréter ce résultat en termes d’accent initial, nous avons regardé les contextes clitique–polysyllabe. Les contours mélodiques en demi-tons par rapport à la F0 de la voyelle du clitique sont schématisés dans la figure 4.6.

Figure 4.6 : contours mélodiques (en demi-tons par rapport à la F0 de la voyelle du clitique) de suites clitique–polysyllabe.

Seul le Sénégal présente un contour montant-descendant, typique d’un accent initial.

On peut y voir un transfert prosodique du wolof -— tous les locuteurs sénégalais sauf un étaient de langue première wolof. Comme les Wolof, les locuteurs songhay et tamasheq du nord du Mali ont des langues non-tonales [Lyche & Skattum, 2010]. Les textes lus par de tels locuteurs, au nombre de 5 dans notre corpus, ont été regardés plus en détail. Mais leurs contours mélodiques sont très proches de ceux des autres locuteurs maliens. Ces locuteurs, comme les Français natifs, peuvent être considérés comme ayant un ton sous-spécifié sur la voyelle initiale des polysyllabes. En revanche, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, la différence nulle ou faible de F0 entre la voyelle initiale du polysyllabe et celle du clitique qui précède peut être interprétée comme un patron bas-haut (LH) sur le polysyllabe.

59 Analyse de la prononciation du /R/

Il y avait plus de 1000 occurrences de /R/ dans le texte PFC. Afin d’analyser leur prononciation à l’aide de l’alignement automatique avec variantes, comme expliqué en § 4.5.1, nous avons eu recours à un xénophone pour rendre compte de la réalisation en []

apical. Dans les résultats d’alignement automatique rapportés dans le tableau 4.9, cette variante part en quelque sorte avec un handicap en comparaison avec les résultats de l’annotation manuelle rapportés dans le tableau 4.6. Elle est de façon rassurante rarement sélectionnée en français standard. Toutefois, elle est alignée dans une majorité des cas (c’est-à-dire que l’aligneur a considéré que le [] apical était le plus proche de ce qui avait été prononcé) au Burkina Faso et au Mali, comme dans les stimuli annotés manuellement de l’expérience perceptive.

%/R/ Burkina Faso Côte d’Ivoire Mali Sénégal France

[] apical 62 38 61 39 12

[] dorsal 26 42 29 50 76

[w] labialisé ou élidé

12 20 10 11 11

Tableau 4.9 : pourcentage de /R/ apicaux, dorsaux, labialisés ou élidés, alignés automatiquement dans le texte PFC.

Le [] dorsal est le plus souvent aligné au Sénégal, alors que c’est en Côte d’Ivoire qu’on a le taux le plus élevé de labialisation/élision, en accord avec le tableau 4.6. Ces résultats suggèrent que l’alignement automatique avec variantes de prononciation est bien adapté pour caractériser diverses réalisations du /R/ français.

4.6. Conclusion

Le but de ce chapitre était double : examiner dans quelle mesure divers accents ouest-africains en français peuvent être distingués et trouver des indices phonétiques discriminant des variétés de français parlées dans la sous-région d’Afrique de l’Ouest. Une expérience perceptive a dans un premier temps été menée, dont la tâche consistait (entre autres choses) à identifier l’appartenance ethnolinguistique et le pays de résidence de 20 locuteurs mossi, akan, bambara, sénoufo et wolof, enregistrés au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal. Elle a montré que des accents ouest-africains (notamment sénégalais et ivoirien) peuvent être identifiés par des auditeurs ouest-africains sans que le style (lu ou spontané) ni le niveau d’études des locuteurs ne semble affecter les résultats. Parmi les appartenances ethnolinguistiques, seul le groupe sénoufo n’a pas bien été reconnu — en accord avec la conscience linguistique auto-évaluée par les auditeurs.

Des indices perceptivement saillants, différenciant notamment les accents wolof (Sénégal) et akan (Côte d’Ivoire) ont ensuite été analysés sur le corpus expérimental. Des traits suprasegmentaux (différences de fréquence fondamentale sur les polysyllabes) et segmentaux (différentes réalisations du /R/) ont corroboré certaines impressions des auditeurs et/ou connaissances linguistiques sur les systèmes des langues en présence, tandis que le trait subsegmental de VOT ne s’est pas montré discriminant. Les différences les plus importantes qui ont été dégagées concernaient le Sénégal (avec une propension à l’accentuation initiale suivie de mouvements mélodiques descendants) et la Côte d’Ivoire (avec une tendance à l’élision ou à la vocalisation du /R/).

L’étape suivante a consisté à vérifier si les résultats liés aux deux premiers traits (ceux qui semblaient pertinents) pouvaient être étendus à un plus grand corpus. Nous avons continué à chercher les indices susceptibles d’être mobilisés pour distinguer entre accents ouest-africains, en termes de pays plutôt que d’appartenances ethnolinguistiques, ce qui nous a permis d’élargir l’ensemble de locuteurs. En utilisant l’alignement automatique en phonèmes, les textes lus par 52 locuteurs du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, du Mali et du Sénégal ont été analysés — et comparés aux lectures de 21 locuteurs de France. Les mesures ont pour une large part confirmé les premières tendances : patrons mélodiques descendants (HL) sur les polysyllabes et davantage de /R/ dorsaux au Sénégal, patrons LH sur les polysyllabes et davantage de /R/ élidés ou labialisés en Côte d’Ivoire.

Au-delà des mesures instrumentales, le fait que les accents du Sénégal et de Côte d’Ivoire soient les plus distincts (et les mieux identifiés) est à relier à des facteurs sociolinguistiques, géographiques et démographiques qui autorisent des hypothèses sur la structuration d’aires linguistiques dans les pays dits francophones d’Afrique de l’Ouest. Mais les spécificités de ces accents ne sont pas imputables aux mêmes processus. En Côe d’Ivoire, le français est largement approprié et nativisé, et l’accent s’est formé en l’absence d’une langue africaine dominante [Boutin & Turcsan, 2009]. Au Sénégal, le wolof joue un rôle

essentiel [Boutin & Gueye, à paraître], et des éléments de cette langue ont pu être transférés au contact du français : le wolof — langue sans tons lexicaux, alors que la plupart des autres langues d’Afrique d e l’Ouest sont des langues tonales — est notamment caractérisé par un accent initial (de mot) qui peut être transmis au français.

Des études plus approfondies sont nécessaires afin de trouver des indices discriminants pour le Mali et le Burkina Faso. Des travaux supplémentaires devront également porter sur la parole spontanée. Alors seulement pourra être envisagée une modélisation par classification automatique, comme cela a été développé dans le chapitre précédent et le sera de nouveau dans le prochain chapitre. Quant à l’approche globale, elle mérite d’être étendue à des auditeurs et des locuteurs d’autres origines. D’autres études sont enfin requises pour faire la part entre le national et l’ethnolinguistique : il faudrait inclure un plus grand nombre de locuteurs d’une même ethnie répartie sur plusieurs pays.

La méthodologie proposée ici, pour étudier quelques accents africains en français, peut être appliquée à d’autres accents : accents anglais, espagnols, etc. Dans les prochains chapitres, où nous travaillerons sur des langues de statuts comparables, comme le français, l’espagnol et l’italien, nous passerons sous silence toute une gamme de paramètres historiques et sociaux. Mais ceux-ci referont surface dès le chapitre 7, où sera évoqué notamment l’accent

« de banlieue », avec une attention particulière portée à la prosodie.

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